guillaume lasserre
Travailleur du texte
Abonné·e de Mediapart

347 Billets

0 Édition

Billet de blog 25 janv. 2023

guillaume lasserre
Travailleur du texte
Abonné·e de Mediapart

William Wegman, l’art conceptuel des espèces compagnes

À Paris, la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois propose une traversée dans l’art de l’artiste américain en une soixantaine de pièces qui révèlent la grande cohérence de son œuvre au-delà de la diversité des média et des registres. « Agility conceptuelle » place l’exposition sous l’égide de l’activité ludique du sport canin et fait du chien le partenaire du processus de création.

guillaume lasserre
Travailleur du texte
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
WILLIAM WEGMAN Mask 1990 Color Polaroid 24 x 20 inches 61 x 50,8 cm Unique piece © Courtesy Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris

Pour sa première exposition monographique à la galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, William Wegman voit son œuvre abordée sous l'angle de l’Agility, jeu complice dans lequel maître et chien forment une équipe qui doit effectuer un parcours avec un minimum de pénalités dans un temps défini par un juge. Sans laisse ni collier, l’épreuve ludique se pratique à travers la voix et la gestuelle. « J’ai toujours considéré mon travail comme une activité ludique partagée[1] » affirme William Wegman, qui fait de l’animal le partenaire à part entière du processus de création plastique. Cette relation « d’attention stimulée qui profite autant aux chiens qu’au maître » se rapproche ici de celle que Donna Haraway, philosophe américaine et pratiquante assidue d’Agility, développe dans son « Manifeste des espèces compagnes, chiens, humains et autres partenaires[2] ». L’ouvrage, paru en 2003, décrit « une chorégraphie ontologique, un jeu vital inventé par les participants à partir des histoires de corps et d’esprit dont ils héritent et qu’ils adaptent pour composer les verbes de chair qui les font tels qu’ils sont ».

Illustration 2
Vue de l'exposition William Wegman. Agility conceptuelle, galerie Georges-Phillipe & Nathalie Vallois, Paris, du 9 décembre 2022 au 28 janvier 2023 © Photo : Tadzio

William Wegman est né le 2 décembre 1943 à Holyoke dans le Massachussetts. Très tôt, il a pour ambition de devenir peintre. Diplômé du Massachussetts College of Art and Design en 1965, il poursuit ses études dans la section peinture des Beaux-Arts de l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign d’où il obtient son MFA deux ans plus tard. Dès le début des années soixante-dix, son travail est exposé dans les galeries et les musées occidentaux, de la galerie Sonnebend à Paris et New York à la Situation Gallery à Londres, à Konrad Fisher à Düsseldorf. L’artiste participe aux expositions iconiques de l’époque telles « When attitudes become form » en 1969 ou la Documenta 5 à Kassel en 1972. Il fait figure de précurseur en étant l’un des premiers artistes à introduire la vidéo en tant qu’ustensile artistique.

Illustration 3
Vue de l'exposition William Wegman. Agility conceptuelle, galerie Georges-Phillipe & Nathalie Vallois, Paris, du 9 décembre 2022 au 28 janvier 2023 © Photo : Tadzio

Wegman quitte la côte Est pour s’installer Los Angeles à l’automne 1970, enseignant au California State College de Long Beach, où il vit dans un premier temps avant de lui préférer Santa Monica. C’est à Long Beach qu’il adopte, quelques jours seulement après son installation, son premier chien, un braque de Weimar à la robe de couleur gris argenté qu’il prénomme Man Ray. C’est le début d’une collaboration prolifique qui se poursuit avec Fay Ray à partir de 1986, puis sa descendance : Battina, Chips, Bobbin, Candy, Crooky et Chundo, assurant popularité et célébrité au braque de Weimar. S’il travaille en numérique avec un appareil Hasselblad, Wegman utilise également une chambre avec des films Polaroid 11x14 Noir et Blanc puis 20x24. Il s’installe définitivement à New York à l’automne 1972, poursuivant sa collaboration avec Man Ray. Le chien devient très vite la coqueluche de la scène artistique. Selon Wegman, Man Ray est « très calme et intéressé[3] » lorsqu’il est devant la caméra. « Dans ces portraits mis en scène, qui incluent parfois un autre chien ou une personne dans la prise de vue, Man Ray est une image d’une telle attention contenue qu'il ne semble pas tout à fait être un chien[4] » écrivait en 1983 le célèbre critique américain Sanford Schwartz dans la New York Review of Books.

Illustration 4
Vue de l'exposition William Wegman. Agility conceptuelle, galerie Georges-Phillipe & Nathalie Vallois, Paris, du 9 décembre 2022 au 28 janvier 2023 © Photo : Tadzio

Les images parodient notamment les nombreux types de photographies de magazines, des publicités pour la nourriture pour chiens aux images de haute couture. Dans son introduction à l’ouvrage « Man’s best friend[5] » – que Wegman dédie à Man Ray mort quelques semaines plus tôt –, Laurence Wieder raconte l’irruption fortuite du braque de Weimar dans le travail de William Wegman. Lorsqu’on refusait qu’il prenne place devant l’appareil photographique, il boudait, gémissait. Les photographies couleur que l’on retrouve dans le livre ont été réalisées entre 1979 et 1982, à l’aide d’un appareil photographique Polaroid grand format, principalement au studio Polaroid à Cambridge dans le Massachusetts. L’impression Polaroid grand format devient alors son moyen d’expression favori, l’instantanéité favorisant la spontanéité. Si elles marquent la phase ultime du partenariat avec Man Ray, les images Polaroid se poursuivront avec ses successeurs, à commencer par Fay Ray.

Illustration 5
Vue de l'exposition William Wegman. Agility conceptuelle, galerie Georges-Phillipe & Nathalie Vallois, Paris, du 9 décembre 2022 au 28n janvier 2023 © Photo : Tadzio

Occupant les deux espaces de la galerie rue de Seine, l’exposition prend soin de répartir également photographies, films, peintures, dessins et textes, et met en dialogue les pièces iconiques de la dynastie des braques de Weimar, indissociables de l’œuvre comme de la vie de Wegman. Une première partie intitulée « Espace d’espèces » propose d’abolir les frontières entre différents types d’espaces : pictural, architectural, bi ou tridimensionnel ; tout comme entre les espèces : hommes, chiens, animaux divers. Tandis que la seconde partie, « Espèce d’espaces » est dédié au jeu dont la notion occupe une place prépondérante dans l’art conceptuel de William Wegman. Jeux de balles, d’agilité mais aussi de langage, duo ou dédoublements, autant de formes relationnelles privilégiées qui réunissent l’artiste et sa muse canine. Si elles amusent souvent, les photographies de William Wegman sont aussi d’une immense beauté, d’une grande énigme. Elles attestent de la maitrise technique de l’artiste. Photographe remarquable, William Wegman est aussi un écrivain prolifique, un peintre aventureux. « Depuis le début des années 90, les cartes postales ont trouvé leur place dans mes peintures[6] » explique-t-il. « Les cartes que j'utilise déterminent la direction de la peinture, suggérant le style et l'échelle et le problème de savoir comment, par exemple, une carte postale de Madonna Inn des années 70 pourrait éventuellement se connecter à une carte postale de la chambre du général Grant devient un problème qui m’intéresse. Les cartes postales m’emmènent dans des directions que je n’aurais pas pu imaginer ». Ses propos sont illustrés par plusieurs tableaux récents alliant cartes postales et peinture acrylique à l’image de « Gallery openings » (2015) ou « Stallion hotel » (2020).

Illustration 6
WILLIAM WEGMAN Stallion Hotel 202 Acrylic and postcards on wood panel 20 x 24 inches 50,8 x 61 cm © Courtesy Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris

Artiste conceptuel, William Wegman continue de mener une carrière qui n’est toujours pas statique ni prévisible. Son œuvre se construit à la croisée d’un art qui amuse et surprend et d’un autre qui défie et transforme, à la faveur d’un humour doucement subversif, éminemment subtil, qui ébranle le quotidien pour mieux en révéler l’étrangeté.   

Illustration 7
Vue de l'exposition William Wegman. Agility conceptuelle, galerie Georges-Phillipe & Nathalie Vallois, Paris, du 9 décembre 2022 au 28 janvier 2023 © Photo : Tadzio

[1] Cité dans le communiqué de presse de l’exposition Agility conceptuelle, galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris, du 9 décembre 2022 au 28 janvier 2023.

[2] Donna Haraway, Manifeste des espèces compagnes. Chiens, humains et autres partenaires [The Companion Species Manifesto], préface Vinciane Despret, Flammarion, Climats, Essais, 2019, 168 pp.

[3] Belle Hutton, “Man Ray the Weimaraner, William Wegman’s Original Muse”, AnOther Magazine, 25 septembre 2018, https://www.anothermag.com/art-photography/11191/man-ray-the-weimaraner-william-wegmans-original-muse Consulté le 24 janvier 2023.

[4] Sanford Schwartz, « The lovers », The New York Review of Books, 18 août 1983, https://www.nybooks.com/articles/1983/08/18/the-lovers/ Consulté le 22 janvier 2023.

[5] Man's Best Friend: Photographs by William Wegman, introduction de Laurence Wieder, New York: Harry N. Abrams, Inc., 1982, 64 pp.

[6] Cité dans William Wegman : In the studio, exposition en ligne, Sperone Westwater, 2020, https://speronewestwater-viewingroom.exhibit-e.art/viewing-room/william-wegman#tab:thumbnails;tab-1:slideshow Consulté le 20 janvier 2023.

Illustration 8
WILLIAM WEGMAN WIliam Wegan 2017 Ink on paper 11 x 8 1/2 inches 27,9 x 21,6 cm © Courtesy Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris

William Wegman, « Agility conceptuelle » - Sur une proposition de Martin Bethenod. Jusqu’au 28 janvier 2023 - Du lundi au samedi, de 10h30 à 13h et de 14h à 19h30. 

Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois
36, rue de Seine
75 006 Paris 

Illustration 9
WILLIAM WEGMAN On Red, Blue, Green 1988 Color Polaroid 24 x 20 inches 61 x 50,8 cm Unique piece © Courtesy Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte