
Agrandissement : Illustration 1

La pièce s'ouvre sur un décor de latrines. Celles-ci sont celles de l'école de Lucas, dix ans, élève de CM2, qui s'y est enfermé après avoir piqué une grosse colère contre la maitresse au sujet d'un devoir pour lequel ils n'ont pas tout à fait le même point de vue. Pour traiter la question « inventez votre super héros », Lucas a imaginé Normalito, dont le superpouvoir est de rendre les gens normaux. C'est bien là le début du point de discorde, la maitresse arguant du fait qu'il ne s'agit pas un superpouvoir, qu'il doit s'agir d'un atout extraordinaire à utiliser dans un moment extraordinaire. Au cri de « Je suis Normalito, je rends tout le monde normaux », Lucas n'en démord pas. Vivant avec ses deux parents qui appartiennent à la classe moyenne, c'est un garçon « normal », ni beau, ni laid, avec un QI dans la moyenne, en même temps, il incarne une position spécifique, celle d’un petit male blanc occidental. Sa position d'enfant ordinaire le fait se sentir médiocre, lui donne l'impression de ne susciter aucun intérêt, d'être insignifiant. « Nous les normaux on va disparaitre ! » affirme-t-il, jugeant que dans sa classe, ils sont de moins en moins. La maitresse le gronde, affirmant qu'il ne faut pas penser comme ça. Enfermé dans les toilettes, Lucas défend son opinion à voix haute quand arrive Iris, la fille la plus ennuyeuse de la classe, décrochant toujours les meilleures notes, sachant tout, raisonnable en tout, bref déjà adulte. Iris est ce que l’on appelle un Zèbre, terme forgé il y a une quinzaine d’années pour désigner les enfants à haut potentiel, autrefois appelés surdoués. Bien décidée à devenir normale, elle l'interroge: « C'est vrai que tu peux rendre les gens normaux ? Tu peux essayer avec moi. » Après une phase de rejet, les deux enfants vont finir par s’apprivoiser. La maman de Lucas, venue le chercher à l’école, invite Iris à se rendre chez eux le lendemain, rendez-vous qui va devenir hebdomadaire. Lucas bientôt découvre à son tour les parents d’Iris. Ils réalisent vite tous deux que l’autre famille correspond mieux à leurs espérances. Iris, subjuguée par les parents de Lucas, leur intérieur subtilement aménagé où tout, mobilier et objets de déco, paraît imaginé spécifiquement pour le lieu – la maman de Lucas est architecte d’intérieur –, ne comprend pas ce que ce dernier trouve à ses parents à elle, qu’elle tient pour inintéressants, irresponsables, ennuyeux. « Pour toi être normal, c'est être bête ? » lui rétorque-t-elle lorsque, se délectant de pouvoir faire n’importe quoi chez eux, il lui fait remarquer que sa famille à l’air normale. Il passe de plus en plus de temps chez Iris, même si elle n'est pas là, ce qui pour lui revient au même. La plupart du temps, elle est chez ses parents à lui.

Agrandissement : Illustration 2

Si, dans un premier temps, Lucas tente de se débarrasser d’Iris, ils vont fuguer ensemble, se réfugiant dans les toilettes de la gare, domaine sur lequel règne Lina. On la découvre dans un époustouflant numéro de danse, un ballet sexy des balais digne du solo de Jennifer Beals dans le film Flashdance. Elle aussi a un secret. Quand des parents inquiets se pointent lui demandant si elle n'a pas vu deux enfants de dix ans trainer par ici, elle comprend que le jeu de cache-cache des gamins n’en est pas tout à fait un. Devant les remarques déplacées du père d'Iris, elle répond que les seuls enfants qu'elle a vus sont repartis avec leurs deux papas. « Une famille dans laquelle on aurait voulu naître » leur affirme-t-elle, avant de préciser aux enfants sortis de leur cachette « Je dénonce pas moi », pas moins en colère contre eux de s’être fait duper. Après les avoir dûment réprimandés, elle se laisse aller, malgré sa carapace qui semble indiquer qu’elle a connu son lot de chagrin, à évoquer son frère. Lina souhaite aller vers plus de transparence. « J'ai le bon métier pour ça » dit-elle avec un brin d’humour. Elle n’est pas tout à fait une femme comme les autres. Elle est née dans un corps d’homme qui ne lui correspondait pas. Dame pipi dans les toilettes de la gare lui semblait le meilleur endroit pour passer inaperçue, se sentir normale. Une femme invisible à qui l’on laisse quelques pièces jaunes sans même la regarder. C'est à Lina qu'Iris se confie lorsqu'elle découvre horrifiée du sang dans sa culotte. A ce moment précis débarque Alain. Il se présente à Lucas comme étant le frère de Lina, la cherche. Il vient lui annoncer que son fils (à elle) se marie mais qu'elle n'est pas invitée. Iris, métamorphosée, va servir d'intermédiaire entre cet homme et Lina, lui expliquant que son frère ne reviendra pas, mais qu’il a gagné une sœur.

Agrandissement : Illustration 3

« Normalito » est une commande passée à Pauline Sales par Fabrice Melquiot pour le Théâtre Am Stram Gram de Genève qu’il dirige depuis 2012. Dans ce théâtre dédié à l’enfance et à la jeunesse, elle est invitée à réfléchir sur les supers normaux à l’heure où les singularités sont mises en avant, où chaque parent espère son enfant surdoué, unique, à l’image d’Iris qui à la question que veux tu faire comme métier quand tu seras grand·e, répond Président de la République. « Est-ce donc si compliqué de s’avouer normal? De mener son existence de femme et d’homme ? De ne pas posséder de dons particuliers ? De supers pouvoirs ? », s’interroge l’autrice dans sa note d’intention. Comment rendre désirable la normalité ? Assumer sa non singularité ? D’autant que l’idée de normalité n’est pas universelle. Elle varie selon l’époque, la culture, l’individu même. Pauline Sales imagine une pièce pour trois comédiens, un conte sur la normalité et la différence qui porte en lui les notions de tolérance et d’altruisme. A travers l’histoire de ces deux enfants que tout oppose : deux mondes, deux classes sociales, deux attentes bien différentes de la vie, elle désamorce les peurs que peuvent nous inspirer l’autre, celui que l’on juge différent car on ne le connaît pas. Ainsi, le personnage trans de Lina tient un rôle pivot dans la pièce. Bienveillante envers les enfants qui la considère normale, elle demeure invisible pour la plupart des gens qu’elle croise, ce qui lui va bien à elle qui précisément recherche l’anonymat des gens ordinaires. Surtout, elle est jugée anormale par sa propre famille, son fils particulièrement, qui a du mal à accepter son changement de sexe. C’est portés par le courage de ce troisième personnage que Lucas et Iris vont pouvoir dépasser leurs différences et grandir, se respecter, s’aimer. Car au bout du compte, comme le dit Pauline Sales, ne sommes nous pas tous semblables et tous différents ?
« Normalito » texte et mise en scène de Pauline Sales, avec Antoine Courvoisier, Anthony Poupard et Pauline Belle. Spectacle vu lors de sa création au Théâtre Am Stram Gram de Genève en février 2020.
Théâtre Am Stram Gram du 17 février au 3 mars 2020
Route de Frontenex, 56 CH - 1207 Genève
Le Carreau du Temple (Les Plateaux Sauvages hors les murs) du 13 au 15 mars 2020 (dans le cadre du parcours enfance et Jeunesse du Théâtre de la ville)
4, rue Eugène Spuller 75 003 Paris
Le Quai des rêves, Lamballe, 19 - 20 mars 2020 (annulé)
La Maison du Théâtre, Brest, 26 - 27 mars 2020 (annulé)
Les Scènes du Jura - Scène nationale, Lons-le-Sonnier, du 30 au 31 mars 2020 (annulé)
Théâtre du Champ du Roy, Guingamp, 3 avril 2020 (annulé)
Le 11, Avignon, du 3 au 26 juillet 2020