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Billet de blog 3 décembre 2016

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L’étiquetage des produits des colonies : une discrimination anti-israélienne ?

Pour le CRIF, la réglementation française et européenne qui impose un étiquetage spécifique aux produits issus des colonies constitue une forme de discrimination anti-israélienne. Un argument mal fondé, qui masque une fois de plus la volonté d’assimiler toute critique de la politique israélienne à de l’antisémitisme.

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Réagissant à la décision du gouvernement français d’appliquer la réglementation européenne imposant un étiquetage spécifique aux produits issus des colonies du Golan, de Jérusalem-Est et de Cisjordanie, et relayant une déclaration officielle de Benyamin Netanyahu, le CRIF a publié, le 29 novembre, un communiqué protestant contre ce qu'il considère comme une « discrimination d’Israël ». [1]

Il semble en premier lieu avoir échappé au CRIF que cette mesure ne constitue en rien une discrimination, ni même une sanction ,  mais seulement la fin d’un régime dérogatoire qui exonérait jusqu'à présent Israël de l’obligation commune imposée à tous les pays importateurs de mentionner l’origine de leurs produits, qui lui permettait d’estampiller made in Israël  des produits fabriqués dans des territoires que l’Etat hébreu occupe au mépris du droit international.

Par ailleurs, l’un des arguments avancés par le CRIF à l’appui de son affirmation mérite qu'on s’y arrête, car il induit une rhétorique plus profonde et plus complexe que la simple protestation de principe : l’étiquetage obligatoire serait discriminatoire car « appliqué au seul Etat d’Israël alors que de nombreux autres pays sont concernés par des conflits territoriaux similaires. »

Un refrain mille fois asséné : la focalisation disproportionnée des médias, de l’opinion publique et de la communauté internationale sur le seul conflit israélo-palestinien trahirait de leur part une « indignation sélective », où seul Israël, tel le baudet de la fable, serait chargé de tous les maux quand  les pires régimes autoritaires de la planète seraient absous de tous leurs crimes. « Pourquoi réclamez-vous des sanctions contre Israël pour son occupation des territoires palestiniens, et jamais contre la Chine qui occupe le Tibet, le Maroc qui occupe le Sahara occidental, la Turquie qui occupe Chypre ? », entend-on souvent. La réponse est bien évidemment contenue dans la question : Israël, « juif des nations », serait victime d’une hostilité de principe trouvant sa seule explication possible dans un préjugé antisémite aussi intemporel qu’inexpugnable…  

Cette analyse, si on l’examine en détail, ne tient pas la route.

S’agissant des médias, qu’il me soit juste permis de relever qu'elle est fausse. Les médias parlent du conflit israélo-palestinien quand l’actualité le justifie. Mais ils en ont peu parlé ces derniers temps. Ils ont beaucoup plus parlé de la Syrie, de l’Irak, de la Tunisie, de l’Ukraine, du Venezuela, du Mali, de la Centrafrique et du Burundi. Il ne suffit pas d’affirmer une contre-vérité pour en faire une réalité.   

Pour ce qui est de l’opinion publique, le mauvais procès en indignation sélective ressemble à ces jokers que l’on brandit dans une discussion, à seule fin de dévier sur un sujet qui n’a d’autre utilité que de n’avoir aucun rapport avec le sujet dont on parle, précisément pour l’esquiver. Ce que les psychologues appellent une stratégie d’évitement. Chacun s’investit dans les causes qu'il choisit, en fonction de sa sensibilité. Va-t-on reprocher à un militant associatif contre la violence routière de négliger l’enfance maltraitée ? Et au militant contre l’enfance maltraitée d’oublier la faim dans le monde ? Et à celui que tourmente la faim dans le monde de ne pas penser au réchauffement climatique ? Plus sérieusement, l’intérêt que portent certains – au demeurant assez peu nombreux – à la cause palestinienne trouve sa raison principale dans le fait que le conflit israélo-palestinien fait partie de notre histoire. Et de notre géographie. Israël et la Cisjordanie appartiennent au monde méditerranéen. L’histoire du sionisme, de la création d’Israël et du conflit qui en est la conséquence plonge ses racines par d’innombrables ramifications dans l’histoire européenne : pogroms en Europe de l’Est, affaire Dreyfus, première guerre mondiale, accords Sykes-Picot, déclaration Balfour et démembrement par les Français et les Britanniques de l’Empire ottoman (au mépris du droit le plus élémentaire des peuples à disposer d’eux-mêmes) , deuxième guerre mondiale, nazisme, Vichy, Shoah, vote du plan de partage par l’ONU, décolonisation, expédition de Suez, et j’en passe. En revanche, les relations de la Chine et du Tibet n’éveillent en nous aucun écho, aucune résonnance. Elles n’appartiennent pas à notre mémoire. Il en va de même du problème de Chypre, affaire purement locale née d’une crise gréco-turque. Par ailleurs Israël fait partie de la famille des démocraties occidentales – et le revendique – là où les Chinois opposent imperturbablement aux critiques qui leur sont adressées que les droits de l'homme ne font pas partie de leur culture. Et je ne sache pas qu’un quelconque CRIC (Conseil Représentatif des Institutions Chinoises de France) monte systématiquement au créneau lorsque les médias parlent du Tibet pour les accuser de racisme anti chinois… Il est d’ailleurs curieux que les défenseurs inconditionnels d’Israël qui ne manquent jamais une occasion de rappeler que l’Etat juif est « la seule-démocratie-du-Proche-orient » n’entendent être jugés qu’à l’aune de la situation au Soudan ou au Darfour. C'est bien évidemment du côté des démocraties que le curseur doit être placé. Imagine-t-on un seul instant le Royaume-Uni réservant aux catholiques d’Irlande du Nord, ou l’Espagne aux Basques, la moitié ou le quart du sort qu’Israël fait aux Palestiniens ? Une crise grave éclaterait aussitôt au sein de l’UE, et les sanctions tomberaient.   

Sur le plan du droit international, enfin, la rhétorique développée par le CRIF accumule contre-vérités et oublis malencontreux sur la réalité des crises et conflits de la planète. Chypre, aucune sanction ? La république de Chypre du Nord (faux-nez de la Turquie) n’est reconnue diplomatiquement par aucun Etat, et est soumise à un embargo total depuis 1974 qui lui interdit le moindre commerce avec le reste du monde. Le coup de force de la Russie en Ukraine a fait immédiatement l’objet de sanctions économiques très lourdes, toujours en vigueur aujourd'hui. En 1990, l’ONU autorisa sans délai le déclenchement de la deuxième guerre du Golfe en rétorsion de l’invasion du Koweït par l’Irak. Il s’agissait à chaque fois de cas indiscutables où la souveraineté d’Etats membres de l’ONU était violée par un autre Etat membre, au mépris de la Charte des Nations-Unies que chacun est censé respecter. Il n’en va pas de même du Tibet qui a fait partie durant plusieurs siècles de l’Empire Chinois et n’est jamais parvenu, à tort ou à raison, à faire accepter ses demandes d’admission à l’ONU. Ainsi  et même si de très graves violations des droits de l'homme sont commises au Tibet (mais c'est un autre sujet car le peuple chinois est, hélas, logé à la même enseigne), les Nations Unies n’ont aucune prise, sur le plan du droit international stricto sensu, pour décider de sanctions contre la Chine. Même contexte pour le Sahara occidental : le conflit actuel découle directement du retrait du colonisateur espagnol dans les années 1970, qui laissa se débrouiller Marocains, Sahraouis et Algériens pour tenter de déterminer la souveraineté de ce territoire. La communauté internationale a bien tenté des médiations pour résoudre le conflit, sans être néanmoins en mesure de relever à l’égard d’un des protagonistes une violation flagrante du droit.

Il en va tout autrement du conflit israélo-palestinien : Israël tire directement sa légitimité et sa reconnaissance internationale du plan de partage voté par l’ONU en novembre 1947, dont le corollaire irrévocable supposait l’existence aux côtés de l’Etat juif d’un Etat arabe palestinien. Il n’y a donc rien de scandaleux que l’UE et la France, en raison du  caractère illégal de l’occupation par Israël des territoires palestiniens, finissent tardivement par en tirer a minima les conséquences qui s’imposent au regard des règles du commerce international en matière d’étiquetage. Une décision qui, répétons-le, ne s’apparente en rien à une sanction. Israël demeure lié à l’UE par des accords commerciaux privilégiés qui n’ont jamais été remis en cause. Le vrai scandale réside bien plutôt dans le fait qu’au contraire de la Chypre du Nord et de la Russie, Israël n’a jamais eu à subir la moindre sanction de la part de la communauté internationale pour les violations avérées du droit qu’il commet depuis des décennies. Les cris d’orfraie  du CRIF contre ce qu'il estime être une « discrimination » d’Israël ont comme un parfum d’indécence.


[1] http://www.crif.org/fr/communiquedepresse/crif-communique-de-presse-halte-la-discrimination-disrael

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