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Billet de blog 2 févr. 2023

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L'âgisme est un délit !

Parmi les principaux enjeux de la reforme des retraites, il y a évidemment la lutte contre les discriminations envers les seniors. Pour cela, le gouvernement propose seulement la création d'un index senior, c'est à dire de comptabiliser la proportion des seniors dans l'entreprise. Une proposition bien insuffisante, mais qui fait déjà vivement réagir le patronat...

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D'ors et déjà, le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux a annoncé sa ferme opposition à tout "pourcentage minimal de seniors" dans les entreprises : "Je ne vois pas comment on peut mettre cela en place de façon raisonnable".

Cette position est plus que problématique,  elle est délictuelle !

Illustration 1

L'agisme : une discrimination dans la loi

En effet, l' article 225-1  du code pénal dispose que :

 "Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille (...) de l'état de santé, de la perte d'autonomie, du handicap (...) de leur âge (...)"

Pour cela, il est encouru 5 ans d'emprisonnement et 75000 euros d'amendes.

L'absence de répression de la part du ministère public 

Malheureusement, la lutte contre les discriminations du fait de l'âge est loin d'être une priorité du ministère public, comme le remarque tristement Oumaya Hidri Neys dans son article En dépit de la loi française !: "Cette difficulté réside dans le fait que la discrimination selon l’âge, bien que pénalement répréhensible, reste monnaie courante parce que voulue et acceptée par l’opinion commune, au contraire de celle fondée sur le sexe (Lyon-Caen, 2003)."

Il pointe les ambivalence de la législation française sur le sujet : "En définitive, la complexité du cadre législatif antidiscriminatoire français, défavorable à l’âge, et son approche catégorielle contribuent à l’ineffectivité du droit de la non-discrimination à l’embauche puisqu’elles entravent à la fois sa réception sociale et sa mobilisation (Medard Inghilterra, 2018)."

Un développement jurisprudentiel en droit du travail

En revanche, la notion a trouvé un développement jurisprudentiel des plus intéressants en matière de droit du travail.

Par exemple, les ruptures de contrat en raison de l'âge ou les mise à la retraite d'office contre la volonté du salariés sont, régulièrement pointées par la cour de cassation. On peut notamment citer les arrêts suivants: 

  • C'est le cas dans un arrêt du 20 janvier 2020 de la Cour de Cassation, qui estime que "la mise à la retraite d'office à cause de l'âge est discriminatoire et nulle".
  • Déjà dans un arrêt de novembre 2019, la cour de cassation avait considéré que la "différence de traitement n’est pas présumée justifiée par le seul fait d’avoir été instituée par un accord collectif".
  • De même dans un arrêt du 12 avril 2018, la chambre sociale de la Cour de Cassation considère comme le fait d'une discrimination, un salarié senior licencié pour insuffisance professionnelle, car il avait refusé une rupture à l'amiable. 

Laxisme et délinquance 

Ces discriminations ne sont pas seulement  le fruit de stéréotypes, mais elles traduisent aussi la volonté des entreprises de se debarasser des gros salaires. 

Ainsi, la position du patronat en rejetant l'index, mais surtout toutes mesures coercitives équivaut à relativiser les discriminations actuelles et refuser d'y mettre fin.

Illustration 2

Oumaya Hidri Neys  souligne que les entreprises préfèrent formuler la question senior en terme de "gestion des âges" plutôt que de reconnaître des "discriminations par l’âge" :

"elle permet à la fois d’occulter leur part de responsabilité dans les comportements discriminatoires et de placer la focale sur le maintien dans l’emploi des seniors, vecteur de leur performance économique, au détriment de leur recrutement."

Vouloir augmenter l'âge légal du départ à la retraite sans remédier à ces discriminations, c'est infliger aux victimes, une double peine et pousser ces seniors vers la misère la plus totale.

Les vertus de la pénalisation

Refuser la répression pénale des discriminations du fait de l'âge, revient à ne pas prendre ce délit réellement au sérieux et le cantonner à un aspect secondaire de la gestion des ressources humaines.

Illustration 3

Pour y remédier, il faut personnaliser le fait discriminatoire : derrière les pratiques discriminantes d'une société, il y a toujours des personnes physiques qui doivent répondre pénalement de leurs actes. 

Les personnalités morales doivent aussi être poursuivies et punies le cas échéant par des amendes dissuasives.

Un ministère public zélé dans la répression des discriminations inciterait les victimes à porter leurs affaires devant les tribunaux. Une condamnation pénale aurait également un poid considérable aux prud'hommes, comme une condamnation pour violences conjugales a un impact devant les juridictions civiles dans un divorce.

Et pour citer Valérie Pecresse évoquant la délinquance : "Il faut que la peur change de camp." Il faut redonner de la dignité aux séniors, lutter contre les patrons voyous et seulement ensuite, il sera temps de se poser la question de travailler ou non, plus longtemps. 

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