
Plus qu'une douche froide, c'est un véritable coup de poignard dans le dos, qui vient de s'abattre sur le projet d'une Super League, car si l'idée d'une ligue européenne fermée ou semi-fermée rassemblant les grands clubs européens n'est pas nouvelle (elle a déjà été imaginée dans les années 90), c'est bien l'arrêt du 26 septembre 2020 de la CJUE, qui avait laissé entrevoir un avenir potentiel au projet.
En effet, dans cet arrêt, la cour avait estimée les sanctions de l’Union internationale de patinage (UIP) envers les athlètes participant à des épreuves de patinages de vitesse, étaient non conforme au droit européen en matière de concurrence. En clair, si l'UIP n'a pas le droit de sanctionner des patineurs qui participeraient à d'autres compétitions que celle organisée par elle même, alors pourquoi quid de l'UEFA ? Toutes sanctions de cette dernière envers des clubs de foot et leurs joueurs désireux de créer et de participer à une nouvelle compétition porteraient atteinte au principe de libre concurrence.
Telle était en tout cas l'interprétation qu'en faisait les promoteurs du projet de Super League, à commencer par le président du Real Madrid Florentino Perez.

Et peu importe à leurs yeux que leur prorpre projet puisse lui aussi apparaitre anticoncurrentiel vis-à-vis du droit européen et des textes antitrust comme le remarque Antoine Duval, spécialiste de droit européen du sport à l'Institut Asser de La Haye :
"La Super League vise à distribuer des revenus à ses membres et exclure de cette opportunité commerciale d'autres participants potentiels - donc oui, c'est potentiellement une entente contraire au droit de la concurrence".
Pourtant, d'autres personnes plus avisées en faisait une interprétation bien différente que celle du président du Real Madrid, telle que la chercheur en droit du sport, Katarina Pijetlovic, de l'Université de Manchester pour qui, il existe une différence nette entre l'Union Internationale de Patinage (UIP), qui dépend du CIO et l'UEFA adossé aux fédérations européennes de football et qui exerce à ce titre une délégation de service public accordée par les différents ministères.
C'est pourquoi Katarina Pijetlovic expliquait il y a près d'un an que "le jugement aura un impact massif sur la clarification conceptuelle et l'approbation future des ligues alternatives. Cela devra confirmer [ou non] que l'UEFA a le droit de réglementer l'accès au marché organisationnel par des restrictions proportionnées dans l'intérêt public."
Ce sont précisément les arguments défendus aujourd'hui par l'avocat général de la CJUE :
"Les règles de la concurrence de l’Union n’interdisent pas à la FIFA, à l’UEFA, à leurs fédérations membres ou à leurs ligues nationales de proférer des menaces de sanctions à l’encontre des clubs affiliés auxdites fédérations lorsque ces derniers participent à un projet de création d’une nouvelle compétition qui risquerait de porter atteinte aux objectifs légitimes poursuivis par ces fédérations dont ils sont membres."
Il est important de préciser les contours de la procédure en droit de l'union : à ce stade l'avocat général n'a rendu qu'un avis que les juges européens pourront suivre ou non, la decision est attendue en avril 2023.
Pour autant, cette prise de position de l'avocat général illustre bien une évolution des mentalités au sein des institutions européennes. Jadis profondément ancrée dans le liberalisme, l'Union Européenne est de plus en plus marquée par les idées françaises en matière de droit et d'économie. Par exemple, la crise sanitaire a remis en cause les objectifs européens du pacte de stabilité, comme le réclamait la France et comme le refusait jusqu'alors l'Allemagne.

Si la CJUE suit l'avis de son avocat general, cela marquerait également l'influence des idée françaises en matière de délégation de service public. Elle consacrerait la vision française des institutions sportives au dépens d'une vision plus libérale et concurrentielle.
Décidément, il n'y a pas qu'en football que la France domine, ses concepts économiques et juridiques progressent aussi en Europe.
Et si le droit européen vient aujourd'hui à la rescousse de l'UEFA en embrassant des compétitions au nom de l'idée du service public, ce baiser de la mort pourrait à long terme se retourner contre l'organisation, en incitant les pouvoirs publics à s'immiscer dans la gouvernance de l'UEFA pour y effectuer le grand ménage que beaucoup réclament...