Dans les lugubres jours que traverse l'Afghanistan, s'enfonçant sans cesse plus avant dans l'anarchie et la terreur, les Américains et leurs alliés ont peine à trouver des nouvelles réconfortantes pouvant soutenir leur action. Peut-être que les hasards du sort leur en ont donné au moins une, venant de là où on l'attendait le moins.
Il y a quelques jours, comme tous les journaux du monde l'ont annoncé, l'armée américaine a brûlé des exemplaires du Coran. Par inadvertance, disent-ils. Et parce que des détenus s'en servaient pour passer des messages. Nous devons les croire, n'ayant pas d'autres preuves, comme dans les affaires précédentes, où nous disposions de photos sur lesquelles des soldats américains tantôt posaient avec un drapeau nazi, tantôt urinaient sur des Afghans morts et que sais-je encore.
Quoi qu'il en soit, l'affaire des Corans brûlés a eu une conséquence que nul ne pouvait anticiper. Ce qui, au tout début, s'annonçait comme une affaire embarrassante, poussant le président américain à présenter ses excuses, semble se retourner. Et devenir, du moins sur le plan de l'opinion mondiale, du pain béni pour nos états-majors.
En effet, jusqu'à présent, l'opinion mondiale était plutôt sceptique, voire franchement hostile eu égard à l'évolution des choses en Afghanistan. Quand des civils étaient tués, les internautes et la communauté mondiale des citoyens condamnaient. Protestaient contre l'ineptie de l'occupation lorsque des attaques contre les soldats étrangers se produisaient. Y compris parmi les lecteurs des journaux de droite ou proches des forces armées.
Tout ceci semble avoir vécu. Désormais, l'opinion majoritaire des internautes est clairement moqueuse à l'encontre des Afghans. Quand les journaux rapportent les morts et les violences après l'affaire des Corans brûlés, quasiment tous blâment l'obscurantisme et la sottise des Afghans. L'Afghan, de résistant valeureux, est devenu méprisable et stupide dès lors qu'on a vu en lui le musulman. Sa mort est désormais un non-événement. Une preuve de son infériorité.
Le langage adopté par nos médias est particulièrement éloquent. Au lieu d'évoquer les actions militaires qui font des victimes, on parle désormais des réactions des foules ignorantes à la question des Corans. Les victimes, jadis tombées sous les balles des soldats occidentaux, meurent désormais spontanément. Les tournures de phrase des médias sont résolument elliptiques, passives, évitant de dire qui aurait bien pu tirer sur la foule. Les Afghans passent de vie à trépas lors de manifestations, bien entendu violentes. A leur habitude. Comprenez-donc : ils sont barbares et s'entretuent, quoi de plus naturel ?
Il a fort à parier que désormais et pendant un bon moment, toute violence sera imputée à l'affaire des Corans. Il est tellement bon d'avoir affaire à des musulmans plutôt que des Afghans. Notre supériorité de civilisation en ressort renforcée. Et notre conscience, parfaitement pure.