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Billet de blog 2 octobre 2019

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Un projet financé par la BNP-Paribas en Colombie compte déjà 6 écologistes assassinés

Certaines questions restent ouvertes : Quelles mesures seront mises en place par la BNP-Paribas, banque responsable du financement de ce projet destructeur de l’environnement et dont la non-viabilité financière a été démontrée ? Pourquoi avoir participé au financement d’un projet qui s’est caractérisé, depuis le début, par plusieurs scandales de violations systématiques des droits de l’Homme ?

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Impacto News-Tragedia en HidroItuango © Impacto News

En déviant une partie du cours d’eau de la rivière du Cauca, affluent du plus grand fleuve de Colombie, le mégaprojet Hidroituango -en conception depuis les années 1980- a pour objectif de créer la plus grande centrale d’énergie hydroélectrique du pays. Cependant, en construction depuis 2010, les 20 millions de mètres cubes d’eau retenus dans un réservoir long de 79 kilomètres risquent d’aggraver la catastrophe environnementale et humanitaire déclenchée depuis le 28 avril 2018.

En effet, entre le 28 avril et le 7 mai 2018, une faille technique dans la construction d’un des tunnels du barrage a entrainé trois glissements de terrain d’une partie de la montagne qui tenait le barrage. L’état d’urgence humanitaire a été déclaré dans 17 municipalités d’Antioquia et plus de 12 000 personnes ont fait l’objet d’une évacuation d’urgence. Aujourd’hui, quatre départements comptant 27 municipalités et plus de 113 000 habitants sont menacés par l’effondrement du barrage.

Illustration 2
Localisation Hidroituango Colombie

Une enquête de la Cour des Comptes colombienne est en cours afin de déterminer la responsabilité civile des parties impliquées dans la construction du projet. Les incertitudes techniques et scientifiques liées à l’instabilité du massif rocheux et du terrain, le désastre environnemental et humanitaire que peut provoquer l’effondrement du barrage ainsi que la plainte pour vice de procédure lors de la construction du mégaprojet, les différentes plaintes pour non-respect des droits fondamentaux et enfin, les assassinats ciblés des membres des mouvements de victimes s’opposant à la construction du barrage, font d’Hidroituango une véritable menace pour la vie des populations et de l’environnement dans sa zone d’influence.

Le projet

En partenariat avec d’autres banques européennes et asiatiques, la BNP-Paribas participe à un plan de financement à hauteur d’un milliard de dollars pour la construction du barrage hydroélectrique Hidroituango en Colombie.

Conçu pour être le projet de centrale hydroélectrique le plus important de Colombie, celui-ci projetait de fournir 17% du total de l’énergie hydroélectrique produite dans le pays. Toutefois, les failles successives lors de la planification et de la construction du barrage ont repoussé la mise en fonctionnement du mégaprojet de 2018 à 2021. Il est important de souligner que, jusqu’à présent, ces failles techniques continuent de mettre en péril la stabilité du barrage ainsi que la sécurité des populations vivant dans la zone.

Germán Mendoza. Impactantes imágenes de Hidroituango © Germán Mendoza Bueno

De plus, la viabilité financière et technique du projet est remise en cause par la Cour des Comptes de Colombie. En effet, selon son dernier rapport, le projet Hidroituango ne sera rentable que dans 114 ans. Or, une question fondamentale se pose : Comment rendre opérationnel ce mégaprojet lorsque l’on constate que la durée moyenne de vie d’un barrage est estimée à 50 ans ?

Depuis le début de sa construction en 2010 le projet n’a cessé d’être contesté par plusieurs mouvements de victimes qui dénonçaient, entre autres, les irrégularités dans les procédures de consultation des populations locales affectées par le projet. De même, plusieurs institutions internationales telles que la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) et le Parlement Européen ont exprimé leurs inquiétudes concernant le non-respect des protocoles de garantie des Droits Humains mis en place avant et pendant la construction du barrage.

Illustration 4
Massacres Hidoituango Colombie BNP

Selon le Centre National de la Mémoire Historique (CNMH), il y a eu entre 1985 et 2016, 783 personnes assassinées et 134 massacres tout au long de la zone du projet. Durant cette période également, le peuple autochtone Natube a été victime de massacres et de déplacements forcés. Le CNMH a également établi qu’il y a eu entre 1985 et 2018, 2765 personnes victimes de disparition forcée.

Face à cette situation, les mouvements de victimes dans la région exigeaient la création d’une unité de recherche permettant d’exhumer les fosses communes et de retrouver les corps des personnes disparues dans la zone d’influence du projet. Ils demandaient également une suspension temporaire des travaux d’inondation et d’ingénierie nécessaires au fonctionnement du barrage afin de trouver les corps de leurs proches.

Malgré cela, les recherches des crops prévues dans cette zone de 26 000 hectares (dont 4 500 hectares de forêt) concernées par les inondations, n’ont jamais eu lieu et les travaux ont tout de même démarré sans que les corps aient pu être exhumés.

Le mouvement de victimes « Ríos Vivos »

 Le mouvement « Ríos Vivos » se définit comme une organisation sociale paysanne et environnementale. Situé au cœur de la cordillère des Andes, le mouvement est présent dans les régions de l’Ouest, du Nord et du Bas-Cauca dans le département d’Antioquia. Aujourd’hui, le mouvement est constitué de 15 organisations de victimes touchées par le mégaprojet Hidroituango.

« Ríos Vivos » affirme que l’intensification de la violence au cours des années 1990 en Colombie a eu pour conséquence un affaiblissement des associations locales susceptibles de s’opposer au projet hydroélectrique. Plusieurs universitaires et groupes d’habitants de la région signalent que ces assassinats ont également contribué à présenter la zone d’influence du projet Hidroituango comme une zone « pacifiée » et ouverte à l’investissement étranger.

Illustration 5
Desapariciones forzadas hidroituango colombia BNP

« Ríos Vivos » se définit également comme mouvement environnemental constitué par des familles de pêcheurs, de paysans, de barequeros (mineurs artisanaux), de fermiers, d’agriculteurs, de cuisiniers, de femmes au foyer, de commerçants locaux, de transporteurs fluviaux et d’autres métiers issus de la ruralité colombienne.

Tous ces membres se rassemblent autour de la défense de la rivière du Cauca. Ils portent également une triple condition de victime : ils sont victimes du conflit armé, victimes des conséquences environnementales et humanitaires du projet Hidroituango et cibles des milices armées privées et de groupes paramilitaires chargés de réprimer les opposants à la construction du barrage.

Ils dénoncent également la disparition des métiers ruraux, des espèces animales et végétales endémiques de la rivière du Cauca et des ressources alimentaires des populations locales en raison des dommages causés par Hidroituango.

© riosvivoscolom

Du point de vue sanitaire, on observe également une augmentation des épidémies de leishmaniose et de dengue qui ne cessent d’inquiéter les populations. En effet, l’accumulation de matière organique en décomposition issue de l’abattage de la forêt tropicale nécessaire pour l’inondation du réservoir a favorisé le développement et la reproduction des moustiques porteurs de ces virus, causant alors six décès et plus de 150 cas de contamination. La municipalité la plus affectée par ces épidémie est celle de Sabanalarga dans le département d’Antioquia.

Il convient également de souligner que tous les dirigeants du mouvement « Ríos Vivos » sont aujourd’hui menacés de mort. Depuis 2013, six de ses dirigeants ont été tués par des milices privées et les groupes paramilitaires, plusieurs d’entre eux ont également été victimes de tentatives d’assassinats ciblées. Ces assassinats placent la Colombie au deuxième rang des pays où les dirigeants écologistes sont les plus persécutés et assassinés.

C’est pour cela que le mouvement « Ríos Vivos » demande actuellement aux banques ayant financé le projet de prendre leurs responsabilités vis-à-vis de la tragédie environnementale et humanitaire en cours. 


© riosvivoscolom

Rôle de la BNP-Paribas dans la construction du barrage Hidrotuango

Face à l’urgence écologique et humanitaire en cours, le 12 septembre 2019 plusieurs représentants du mouvement « Ríos Vivos » se sont rendus au siège de la BNP-Paribas à Paris. Le mouvement « Ríos Vivos » a officiellement demandé la mise en place d’un audit technique et scientifique indépendant réalisé par des experts internationaux sur le risque sismique, tectonique et géologique du massif rocheux supportant le barrage. Au cours de cette réunion, la BNP s’est engagée à explorer les marges de manœuvre qui lui permettront mettre en place cet audit avec l’accompagnement et la participation du mouvement des victimes de « Ríos Vivos ».

Illustration 8
Image Colombia Plural

Au cours de cette réunion, le mouvement « Ríos Vivos » a également demandé des explications aux membres de la responsabilité sociale corporative de la BNP-Paribas sur l’existence et la solidité des protocoles de garantie des Droits Humains mis en place par la BNP-Paribas avant, pendant et après ses activités d’investissement.

Cette demande se fait dans un contexte particulier : le gouvernement colombien, ainsi que l’Entreprise Publique de Medellín (EPM) – responsable de l’exécution du projet et associée de la BNP-Paribas – refusent de prendre des mesures qui puissent assurer réellement la sécurité pour la vie des personnes, ainsi que l’équilibre de l’écosystème dans la zone d’influence du projet.

La « Commission technique » d’Hidroituango créée le 12 juin 2019 à l’initiative d’un juge du contrôle des garanties, n’a pas pu parvenir à un consensus sur la stabilité du massif rocheux du barrage. Au cours de la discussion et sur la base des études de géologues indépendants, le mouvement « Ríos Vivos » a démontré que les études présentées par l’Entreprise Publique de Medellín (EPM) n’ont pas les bases techniques et scientifiques suffisantes pour garantir la stabilité du massif rocheux afin que les populations puissent retourner dans la zone.

En effet, l’Agence Nationale des Autorisations Environnementales (ANLA) a déposé une plainte à la Cour Pénale contre l’Entreprise Publique de Medellín (EPM) pour vice de procédure. Les irrégularités de la procédure de construction du troisième tunnel auxiliaire de détournement des eaux y sont mises en évidence : la construction du tunnel a été effectuée sans l’autorisation environnementale nécessaire et sans études techniques préalables.

Harol Gonzalez Rios Vivos © duqueharol

Selon l’ANLA, la catastrophe du 28 avril 2018 découle directement de ces irrégularités, en témoigne l'obstruction des tunnels. En outre, le 12 mai 2018, le déblocage des tunnels a provoqué un autre glissement de terrain et une inondation qui ont entraîné l’évacuation des communes de Puerto Valdivia et d’autres villages avoisinants. La zone, touchant plus de 27 municipalités, a été déclarée en alerte rouge. Actuellement, le risque d’effondrement du barrage est toujours élevé.

De plus, en réponse à une décision du juge pénal de Bogota, l’État colombien a déclaré le 9 septembre 2019 ne pas disposer des moyens techniques et financiers pour réaliser une étude qui déterminerait la stabilité du massif rocheux. Cette décision aggrave les risques qui pèsent sur la vie de plusieurs milliers de personnes et les populations autochtones qui vivent encore dans les zones à risque, ainsi que sur l’écosystème de l’affluent du plus grand fleuve de Colombie.

Il faut souligner également que, par le biais de la résolution 820 du 1er juillet 2018, l’ANLA a temporairement suspendu la poursuite des travaux du barrage d’Hidroituango. C’est précisément à cause du risque qu’entraîne cette situation que le mouvement « Ríos Vivos » a demandé aux investisseurs du projet de réaliser un audit technique et scientifique avec des experts indépendants sur le risque sismique, tectonique et géologique du massif rocheux.

Illustration 10
Projet Hidroituango

Enfin, lors de la réunion du 12 septembre 2019, les responsables de la BNP-Paribas ont déclaré être préoccupés par le risque imminent auquel sont exposées les populations qui habitent dans la zone d’influence du projet. De même, ils se sont montrés particulièrement inquiets au sujet des menaces de mort qui pèsent sur la vie des représentants du mouvement « Ríos Vivos ».

En attendant des réponses plus concrètes, et compte tenu des irrégularités qui entourent ce mégaprojet, le mouvement « Ríos Vivos » a officiellement demandé à la BNP-Paribas d’agir en conséquence.

Toutefois, certaines questions restent ouvertes : Quelles mesures seront mises en place par la BNP-Paribas, banque responsable du financement de ce projet destructeur de l’environnement et dont la non-viabilité financière a été démontrée ? Pourquoi avoir participé au financement d’un projet qui s’est caractérisé, depuis le début, par plusieurs scandales de violations systématiques des droits de l’Homme ?

 
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Cliquez ici pour signer  la pétition adressée au Conseil d’administration de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) demandant l’ouverture d’une enquête sur le rôle des investisseurs du projet Hidroituango dans la violation systématique des Droits Humains.

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