Du haut de la tribune que lui tend le Crif[1], monsieur Bernard-Henri Lévy prétend donner une analyse du mouvement des Gilets jaunes, et le ton se veut docte et grave.
Citant les philosophes grecs, le Talmud, les philosophes classiques puis les modernes, en passant par Sartre et Descartes, il explique, avec des arguments qui se veulent subtils, la différence entre : « des colères magnifiques, généreuses, qui grandissent les hommes et les peuples » et : « des colères noires, nocives, qui tendent à les abaisser et sont de nature à nourrir ce qu’il y a de pire dans leur mémoire ».
Il prétend donc déceler, chez les Gilets jaunes, la deuxième catégorie de colères, celles, pour ne pas les nommer, qui mènent à la terreur et au fascisme.
À travers un discours académique, qui frise l’ennui par le degré de ses approximations, il n’hésite pas à faire les amalgames les plus grossiers entre les massacres de septembre [de 1732] et Robespierre. Il ne se gêne pas pour enjamber les siècles et trouver des similitudes entre les mussoliniens et les communistes ; entre les Croix de Feu d’hier et les Insoumis d’aujourd’hui.
Sauf qu’il le dit lui-même : « Comparaison n’est pas raison ».
Et justement, ses comparaisons sont très sélectives.
Il faut être animé d’un cynisme et d’une bonne dose d’hypocrisie – je n’ose dire de mauvaise foi, pris au premier degré, on pourrait m’accuser d’antisémitisme – pour aller chercher, à la marge, les quelques micro-dérapages de violence, physique ou verbale, auxquels ont donné lieu les manifestations des Gilets jaunes.
Par définition, un mouvement apolitique est forcément influencé par les préjugés dominants, entretenus par les médias « mainstream », ceux qui véhiculent les amalgames entre terrorisme et islam, délinquance et immigration ; sans compter les tentatives de récupération de l’extrême droite et, derrière elle, de tous les racistes : islamophobes, négrophobes, romophobes, etc.
Vu l’ampleur des manifestations, la réalité est qu’elles ont été globalement pacifiques, même s’il y a une possibilité que le mouvement ne vire au brun, mais ça, c’est l’avenir qui le dira.
Ce que l’on peut dire, c’est qu’à ce jour, les rassemblements des Gilets jaunes n’ont pas exprimé la moindre menace belliqueuse à l’encontre d’une quelconque minorité du pays.
Le souci est que monsieur Bernard-Henri Lévy, à l’instar du chameau, croit voir une bosse sur l’échine du lama, mais ne voit pas les siennes qui, au fil de ses compromissions, ont poussé sur son dos.
Il serait intéressant qu’il nous explique de quelles colères sont animés le sénat et la diète polonaise après qu’ils aient adopté une loi criminalisant la critique de la collaboration avec le IIIe Reich ?
De quelles colères est animé son ami Netanyahou qui approuve et soutient cette loi scélérate ?
Un soutien qualifié par Yehuda Bauer, un des principaux historiens israéliens de la Shoah, de « trahison stupide, ignorante et amorale de la vérité historique sur l’implication polonaise dans l’Holocauste[2] ».
Aurait-il oublié les 2 700 000 Juifs exterminés rien que sur le sol polonais, dont les émules de leurs assassins sont actuellement au pouvoir ?
Voilà un drôle de philosophe qui s’abstient de dénoncer des néofascistes européens qui font l’apologie d’un génocide, avec la caution morale d’un gouvernement israélien prétendant parler au nom des Juifs de la Terre.
BHL est un mercenaire de la plume qui préfère le sang des victimes, lorsque ça l’arrange, à l’encre du savant.
Un condottiere qui, contre toutes vérités historiques, préfère tailler la chair à l’aide d’une lame de la longueur de ses... Crif.
[1]. https://www.lepoint.fr/editos-du-point/bernard-henri-levy/bhl-qui-sont-vraiment-les-gilets-jaunes-20-11-2018-2272880_69.php
[2]. Dominique Vidal, Les yeux doux de Benyamin Nétanyahou à l’extrême droite européenne
https://orientxxi.info/magazine/les-yeux-doux-de-benyamin-netanyahou-a-l-extreme-droite-europeenne,2651