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Billet de blog 14 décembre 2021

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La propagation du vide. Plateau médiatique en 5 actes.

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La propagation du vide

La fin enfin vue de lui

lui-même pas vu par lui 

et de lui-même

Beckett Samuel, Murphy. 

Il y a des angoisses et des craintes. Il y a les joies et les apaisements. Il y a le luxe du silence qu'il faut cultiver et la souffrance de prendre la parole. Souffrir pour prendre la parole n’est aucunement cette souffrance qui implique les grandes catégories métaphysiques de la damnation, de la perte et de la chute dont le clown médiatique fait son fonds de commerce. Non. Cette souffrance est l’obligation du biographique et des amitiés qui se trouvent pris dans des discours afin d’essayer de comprendre la dynamique de quelque chose qui se passe, tapi dans certaines zones d’ombre. Le sujet de ces textes est le dévoilement d’un événement qui se présenterait comme une anomalie -  c'est - à dire comme un inattendu face à la norme à partir de laquelle on se réfère - la fameuse production médiatico-capitaliste d’Eric Zemmour. Ce que nous pourrions appeler le « cas Zemmour » en se référant à la littérature policière n’est au fond guère intéressant. Le « sujet » si nous pouvions le nommer ainsi est celui d’un individu pétri d'ambition institutionnelle propre au créateur raté de sa condition d’être humain mais aussi de sa trajectoire personnelle codifiée par les canons de diffusion dont il est lui-même le produit. Il n’est au fond qu’un simple Frankenstein qui crie et qui se sent investi d’une mission. Néanmoins, le « sujet Zemmour »  dévoile une dimension intéressante. Cette dimension est celle de voir comment c’est désormais le capitalisme médiatique, l’information et sa diffusion qui produisent non plus des «  individus politiques » mais des diapasons qui rythment la vie politique de la polis. Il  n'y a peut-être désormais aucun jour où nous n'entendons pas ce nom.

Le sujet Zemmour fait campagne non pas simplement par sa présence immédiate, mais par les discours qui lui sont propres, par les fictions qu’il porte et qui se diffusent tel un fog dans la politique comme vie. Son omniprésence n’est pas sans rappeler comme le dit un ami, le coup Macron. Voilà la condition cognitive et ennuyeuse du début de notre analyse de cet évènement prévisible. Le second moment d’interrogation de l’inquiétude, ou peut-être de la vigilance comme le dit le philologue George Steiner, est la configuration médiatique du débat avec Mélenchon sur BFM TV - disons un match à domicile pour Zemmour -  mais aussi et étrangement celle d’une attente un peu plus soutenue lorsqu'il devait se présenter face à un média web qui s’appelle Thinkerview.  

Le constat est implacable. La consistance corporelle de Zemmour est celle d’une plasticité qui lui permet de transformer l’espace médiatique et donc sémiologique de la réceptivité de son discours sur la scène politique.  C’est pour cela que Zemmour n’est ni un destin, ni une résolution. La maîtrise des codes médiatiques le présente comme un buffone, c'est-à-dire comme celui qui fait le pitre volontairement en diffusant une quantité de mensonges mais dont son action le transforme en vérité. Zemmour est littéralement et historiquement un buffone dont son flux de parole qui se prétend libéré et libre ne produit pas d’humour mais une normalisation du pathétique. C’est toujours en essayant de maintenir une posture de sérieux - pouvant facilement devenir pompeux - que plutôt que de s’assigner ou s’astreindre à cette position qu’il vaut mieux produire de l’humour d’un homme traversé par les passions tristes comme le montre son fonds de commerce à la fois culturel et politique.  Alors plutôt que de s’enfermer dans le monde concentrationnaire et de la rhétorique en propre - ce qui justifie désormais la condition des meilleures ventes d'essais à l écriture  journalistique pauvre - de Zemmou. Prenons un peu d’utopie et si nous esquivons en pensant au ciel de la transcendance ou au destin pour combler un manque alors nous aboutirons à l’injustice qui se présentera sous la forme non plus d’une tragédie mais d’une farce. 

Justement essayons de mettre en scène cette farce. 

Acte I :  Tempo et Action. 

Un fond noir, solennel. Une caméra braquée sur notre personnage politique, costume noir et chemise blanche avec une cravate pourpre. Le micro bien visible comme prolongement d’un corps dont l’échine est un peu voutée à la Louis-Ferdinand Céline, une voix claire et posée avec un sourire métallique. Dans l’ombre une voix qui est censée imposer sa présence au travers d’un jeu de questions. Cette farce dure environ une heure et demie, dont notre cher personnage politique en dicte la mesure. Personnage vide en quête d’auteur qui n’existe que par la vitalité de la réception de sa parole. Quel est le thème de cette mise en scène? Il veut continuellement recommencer le réel au travers de sa propre existence.

La construction de sa fiction repose sur quelques points vraiment grossiers à identifier et qui ne reposent évidemment pas sur une argumentation solide. Il n’est seulement pas capable de persuasion et non de conviction. Sa rhétorique n’est que celle de la production de discours autour d’un symptôme qui serait ce fameux « mal français » ; qui n’est au fond que le grand processus de vérité face à l’Histoire. Or dans le monde de l’homo médiaticus, le modèle cybernétique de la communication qui accordait une place prépondérante au bruit comme déperdition de l'information - site d’interprétation et de critique possible car le silence est devenu impossible pour laisser une autre parole vivre -  les miasmes de son discours en opacifient la visibilité. Le passage d’un schéma de communication-information qui tend lui-même à s’étioler laisse place à un ordre de l’image et de la projection au travers duquel s’identifient des sujets, des amis et des ennemis. En cela, là où l’on considère qu’il y a une certaine maestria… ce n’est que le processus de l’imago d’un certain esprit du temps. Là où la communication n’est plus possible règne l’idolâtrie du stade imaginal. Cette enveloppe corporelle qui porte sa voix se matérialise au travers d’un discours global tiré à partir d’une littérature scientifiquement discutable et proche des discours conspirationnistes qui s’attend à produire un certain old-new-age. 

Les premières répliques posent une quantité d’hétérogènes s'emboitant au prisme d’une bio-histoire. Lorsqu’il affirme que « la démographie c'est le destin », il oublie en sous-main que ce qu’il pense c’est une certaine démographie valable. La récurrence du thème de la mort et de l’indifférence souligne clairement la haine de la vie. Cette thanatophilosopie est redoublée d’un sens de l’Histoire clairement conscient dans la tête de notre enveloppe et qui porte le nom de la Guerre des civilisations. Ce trope porté par une double céphalie qu’est le très discuté Samuel Huntington et son rejeton théoricien délirant de sa propre psychose du grand remplacement Renaud Camus. Plus qu’un sens de l’histoire c’est une prophétie de ces êtres restés au stade de la chrysalide qui pensent que l’avenir passera par leur expérience rétentionnaire. Alors oui, il faut encore une fois reconnaitre la triste virtuosité d’une parole qui se veut « pugnace » comme journaliste dont il est le produit et soulève la tautologie ou la ritournelle d’un vide qui n’existe que par le mouvement centripète qui lui donne de la consistance. 

Si le mouvement qui tourne et se génère lui-même produit une consistance, dans le cas de notre personnage c’est la fascination pour la souveraineté. Ce trope éminemment politique dispose un certain sujet de l’action politique, ou du moins dans la recherche absolue de sa propre existence celui qui en serait investi. Notre personnage si tragique - plutôt pathétique - à besoin pour exister de se constituer sa propre épopée et qu’il nomme « guerre de souveraineté ». Cette guerre de souveraineté est portée par un double mouvement de faiblesse et de culpabilité qui porte le nom de décadence dans une critique de l’individualisme.  Le visionnaire en lequel s’incarne notre chrysalide est une critique du grand paradoxe du politique. Alors que les revendications politiques passent primo par une conscience de son individualité et secundo par une mise en commun de ses expériences, jamais au grand jamais la conscience individuelle ne peut se traduire dans les grandes catégories majeures du politique tel que « sens du collectif, du patriotisme, de l’Etat qui nous empêche d’avoir une société ordonnée ». Ainsi rien de plus juste que cette grande parole : l’ordre c’est le désordre plus le pouvoir.

La seconde scène de faiblesse est comment il pense la possible position de la France qu’il aime et pense comme une puissance universelle. C’est la paranoïa d’une incapacité à tenir face aux logiques politiques et diplomatiques de la guerre face à la Chine et à l’aire arabo-musulmane, tout en étant méfiants vis - à vis de nos alliés ou pseudo alliés que sont les USA ou l’OTAN dont le mot d’ordre est :  « nous sommes des naïfs » . Cette paranoïa montrant à la fois son incapacité à gouverner en tant que souverain - forme idéale et potentiellement pleine de la réalisation de son existence - et la conscience de l’impossibilité d’incarner la fiction dans laquelle il s’idéalise, ne sont jamais de sa responsabilité mais seulement de forces invisibles comme « l’espionnage industriel » ou des marges obscures de contrats internationaux et diplomatiques.  Au fond ce que le protagoniste de notre farce nous propose c’est la réduction et une assignation à la faiblesse mais aussi la douce logique de la soumission dont on entrevoit la lâcheté pétainiste se posant en sauveur. La diffusion de son message tel un nuage de farine, dessine et efface les figures de la parole, parole schématique, caricaturale qui tend tellement vers un  « amalgame » qu’il est censé toujours refuser. C’est dans ce continuel aveu de vérité qu’il doit symptomatiquement se poser comme figure possédant la vérité et d une appréhension adéquate du réel. Réel qui ne peut être pensé que sous le régime de l’appréhension c’est à dire d’une crainte qu’il faut fabuler pour la sublimer. 

À partir de cette dynamique, il peut affirmer et substantialiser son point de vue sur la colonisation et le réchauffement climatique : dont les deux sont les mêmes tendances d’un même effet à la fois la mort de la Vie. Alors se structure en cela le second acte du programme politique, le révisionnisme historique et la vitalité réactionnaire de sa pièce existentielle. Pour cela il se propose d’ostraciser et de refuser l’accueil : nous nous soumettrons plus « à la loi humanitariste », autrement dite le refus du premier devoir de l’humanité au-delà de toute civilisation prétextant la paranoïa d’une invasion à venir. Cette angoisse du désincarné se prend pour un personnage shakespearien ou dostoïevskien portant le poids de son hybris et de sa pauvre sublimation lorsqu’il cherche à trouver trouve un point de stabilité : « je ne veux pas que mon pays soit conquis ». Il ne cesse d’essayer de s’incarner pour construire les conditions possibles de son élection comme on le comprend lorsqu’il convoque l’Histoire. Tout converge vers lui comme oméga dans la meilleure résolution possible. 

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