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Billet de blog 9 novembre 2024

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Dans le port d'Amsterdam...

Troisième mi-temps après Ajax Amsterdam/Maccabi Tel-Aviv (5 à 0).

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     "La logique du révolté est de s'efforcer au langage clair pour ne pas épaissir le mensonge universel." Albert Camus.

     Les réactions, "explications", commentaires, anastatiques et sans contredit, les condamnations politiques et médiatiques "unanimes" à la suite de ce qui s'est passé dans la soirée de jeudi 7 novembre à Amsterdam après une rencontre de football opposant des…des quoi, au juste…des "supporters", des "hooligans"…des…? méritent un sérieux effort de désépaississement, tout au moins une prudence de lecture, mais qui n'est vraiment pas au rendez-vous.

     Avec une promptitude confondante, politocrates et éditocrates de tous bords perquisitionnent l'évènement, dès le petit jour, les preuves sont là, qu'on balance à l'attention du bon peuple médusé, le procès-verbal dressé est sans appel, aucun recours, le coupable identifié, la comparution immédiate. Les armes habituelles de la rhétorique de propagande sont alors mobilisées, des rudimentaires et coutumières affirmations et répétitions jusqu'à des figures de style plus recherchées, de la redoutable hyperbole à  l'élégante métaphore, via la mystérieuse synecdoque, de rares oxymores…  

     Quelques exemples significatifs, sélectifs quoiqu'itératifs. On lit ou on entend, horresco referens, "scènes de cauchemar…pour casser du Juif" (Anne Sinclair), "actes antisémites graves" (Guillaume Kasbarian), "poisons" (Yannick Jadot), "liés à l'islam politique" comme il se doit (Paul Melun), "mini 7-Octobre" (Kévin Bossuet), "chasse aux Juifs" (Bernard Guetta, Benjamin Haddad, Julien Dray mais de nombreuses occurrences),  "lynchage antisémite" (Gérard Larcher, Olivier Faure), "… de masse" tient à préciser Yonathan Arfi, variante "lynchage de Juifs" (Yossef Murciano), devenu, évidemment "pogrom" pour Laurent Wauquiez, David Assouline, Gérard Unger, Gilles-William Goldnadel… Emmanuel Macron, soi-même, se devait d'évoquer des violences qui rappellent selon lui "les heures les plus indignes de l’Histoire", Bruno Retailleau, des actes "barbares" qui "relèvent de l’antisémitisme pur", la palme revenant, sans surprise, à l'ineffable Eric Ciotti qui parle d'un "retour d’une nuit de cristal" !

     Conclusion attendue, "Ça doit nous interroger sur la question de la banalisation de la haine des juifs" (Tina Théallet) et, évidemment, "L’avenir des juifs en Europe paraît aujourd’hui sombre", (Arno Klarsfeld). Par conséquent, prétexte de choix pour bâillonner, criminaliser celles et ceux qui soutiennent, de manière résolue et pacifique, la cause palestinienne. Et malheur à qui oserait tenter de se faire une opinion, en s'informant honnêtement avant de commenter par un "langage clair", ce qui n'est visiblement plus servi au menu de nos "élites".  

     Ce qu'on peut apprendre, en faisant un minimum de recherche, c'est que la police d’Amsterdam a déclaré vendredi matin que cinq personnes ont été brièvement hospitalisées et que 62 autres ont été arrêtées, à la suite de violences que rien ne peut justifier et qu'il faut fermement condamner.

     Mais, tout de même, quand on découvre une vidéo montrant le retour triomphal des victimes du "pogrom" à l'aéroport de Tel Aviv bondissant et brandissant des drapeaux israéliens aux cris "Que l'IDF gagne et nique les Arabes", quand on apprend, selon la police d'Amsterdam, que des "tensions" avaient commencé la veille de la rencontre, slogans hostiles à la Palestine, chants racistes, agression d'un chauffeur de taxi, drapeau palestinien arraché d'une façade, tensions générées par des "supporters" israéliens filmés en train de chanter en hébreu "Mort aux Arabes ! On va gagner !", ou encore "Laissons Tsahal gagner pour finir les Arabes", on peut émettre quelques doutes sur la sincérité des lamentations et des condamnations indignées. Claude Askolovitch sauve l'honneur, navré par le comportement de supporters "braillant la mort des arabes, comme de vulgaires hooligans".

     Ces excès de langage sont préoccupants et ne favorisent pas les progrès de la cause que l'on prétend défendre, bien au contraire car, non seulement ce genre de propos ne trompe désormais plus personne tant ils sont malhonnêtes et outranciers, mais, pire, si l'on voulait propager l'antisémitisme réel on ne s'y prendrait pas autrement. C'est cette "industrie de l'Holocauste" que dénonce Norman Finkelstein (1) mais qui prospère et nourrit le fléau que l'on déclare combattre alors qu'il s'agit avant tout d'assurer un soutien "indéfectible" aux intérêts politiques de l'état d'Israël.

     En déformant aussi grossièrement et de manière obscurément partisane des faits et des actes, regrettables sans doute, mais qui ne méritent pas de pareils qualificatifs, expliquer inlassablement que les sympathiques supporters du Maccabi Tel-Aviv ont été molestés "parce qu'ils sont Juifs" (2), on court à la catastrophe.

     Car qualifier de "pogrom", de "nuit de cristal" ce qui s'est passé à Amsterdam, assimiler une poignée de supporters israéliens tabassés aux victimes de la Shoah est une invraisemblable obscénité, une coupable insulte à la mémoire des Juifs d'Europe qui ont véritablement été les tragiques victimes de ces horreurs, un outrage à l'Histoire, pas vraiment de nature à instruire la jeunesse, à lui donner à voir "plutôt que de rester les yeux ronds" et la prévenir des risques qui grouillent encore dans le ventre fécond de la bête immonde.(3)

     Dans le même temps, on apprend qu'au Liban, à Sour, les bombardements israéliens ont fait sept morts dont deux enfants, qu'en octobre au moins 64 attaques israéliennes contre des écoles – soit pratiquement deux par jour – ont été recensées dans la bande de Gaza, que près de 70% des morts à Gaza sous les bombes israéliennes sont des femmes et des enfants…Là, pas un mot, indignation, rien, condamnation unanime, aucune. Une indifférence coupable, le poids mort de l'histoire. (4)

      Mais qu'on se rassure, on nous informe que "Gabriel Attal a reçu l’ambassadeur d’Israël et il lui a réaffirmé notre (sic) soutien plein et entier à l’État d’Israël, un soutien absolu et sans aucune nuance possible !". Vous avez bien lu : plein et entier, absolu, sans aucune nuance ! Un triptyque qui explique tout.

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(1) L'industrie de l'Holocauste. Réflexions sur l'exploitation de la souffrance des Juifs. Norman G. Finkelstein.

(2) "Hier soir, à Amsterdam, des supporters ont été chassés, menacés et lynchés dans les rues d'une ville européenne car ils sont Juifs…" Fabien Roussel, hélas.

(3) "Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds…Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde."  Bertolt Brecht, La Résistible Ascension d'Arturo Ui. 

(4)  "L’indifférence c’est l’aboulie, le parasitisme, la lâcheté, ce n’est pas la vie. C’est pourquoi je hais les indifférents. L’indifférence est le poids mort de l’histoire." Antonio Gramsci. Cahiers de prison.

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