Issue d’une importante série de marines destinées à Louis XV, œuvres du très talentueux Joseph Vernet, distingué expert dans la représentation des cieux (on pensera à Nuit, scène de côte méditerranéenne avec des pêcheurs et des bateaux, ou au Naufrage…), cette toile participe d’une mission bien officielle : constituer l’inventaire des ports d’un royaume ouvert sur le monde, aussi prestigieux que son royal commanditaire. Si les vues de Marseille et de La Rochelle, colorées et lumineuses, invitent à la déambulation gourmande, celle de Bordeaux semble moins attrayante : obscurité, ciel sans réelle perspective, navires dépouillés de leurs voiles et, surtout, personnages affairés ou non que l’on aimerait plus lisibles…
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Toutefois, à y voir de près, l’analyse dévoile une subtile composition, aussi intéressante… qu’intéressée.
Invité à emprunter la voie longeant les façades neuves et ouvragées, le promeneur découvre la Place Royale que seul le public averti sait pourvue d’une statue équestre de l’auguste monarque. La grève, animée du va-et-vient des filadières, du commerce de pains généreux ou de ces dames fuyant l’élan redouté des bœufs hissant de lourdes barriques, n’est pas l’essentiel, étonnamment. Plongée dans une obscurité qui gêne l’œil, elle est fendue par les rayons d’un soleil levant qui inonde la place que bordent, altiers comme Versailles, les Hôtels de la Bourse et de la Ferme, lieux du négoce et des précieuses taxes. Et ce soleil, bourbon, n’en reste pas là. N’éloigne-t-il pas ce ciel chargé afin d’accompagner les courageuses nefs marchandes, à la poupe sculptée et polychrome, vers les dangers atlantiques ?
Propagande royale confiée aux flatteurs pinceaux…
Mais encore ? Cette toile dit-elle de façon limpide l’active et record intégration au commerce triangulaire qui saigne l’Afrique et croît aussi l’Amérique ? Cette première mondialisation. Assurément non : seule, accessoire luxueux d’une jeune aristocrate, une petite esclave noyée dans les robes à panier du premier plan peine à donner les clés de ce succès…
Ou quand l’éclat procède des « riens »…