Lettre ouverte du Conseil Scientifique du Parc amazonien de Guyane au Président et au Gouvernement
Cayenne, le 14 juin 2022
Le Conseil scientifique du Parc amazonien de Guyane a pris connaissance collectivement, le 1er juin 2022, du nouveau Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux en Guyane (SDAGE).
Nous constatons que les directives cadres européennes dans le domaine de l’eau (2000/60/CE ; 2455/2001/CE ; 2008/32/CE) ne sont pas appliquées en Guyane suite à une succession de dérogations qui ne relèvent pas d’une approche scientifique mais d’un choix politique assumé.
Il en ressort que l’état des eaux de surface de Guyane ne répond pas aux qualités requises par lesdites directives, au détriment du bien-être des populations habitant les bassins versants concernés, de leur environnement et de la biodiversité remarquable de ce département d’Outre-mer ; et que les éventuelles perspectives de mise en conformité sont anormalement différées au moins jusqu’en 2039.
Il en ressort aussi que la principale cause de ce retard reste durablement les activités d’orpaillage depuis le milieu des années 1990.
Au vu de ce constat, nous vous adressons la motion suivante afin d’éclairer votre avis sur la nécessité d’agir urgemment pour mettre en application les directives cadre européennes aux bénéfices des populations et des écosystèmes exceptionnels de la Guyane.
En vous remerciant, Monsieur le Président de la République française, Madame la Première ministre, Mesdames et Messieurs les ministres, pour l’intérêt que vous ne manquerez pas de porter à notre alerte, nous vous prions de croire à notre considération respectueuse et républicaine.
Motion du Conseil Scientifique du Parc amazonien de Guyane concernant le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE)
Au vu des missions du SDAGE visant à une gestion équilibrée, responsable et soutenable des ressources en eau ;
Au vu de la résolution commune de Twenké (21 juillet 1998) où « les représentants des peuples autochtones et peuples de forêts », rappellent « que les peuples autochtones n’ont jamais concédés leur souveraineté sur leurs territoires, les « peuples de forêts » ayant signé des traités avec la France afin de garantir leur intégrité culturelle et politique et exhortent les pouvoirs publics à satisfaire l’engagement pris par la France au sommet de Rio en 1992 ;
Au vu des Directives cadres européennes dans le domaine de l’eau (2000/60/CE ; 2455/2001/CE ; 2008/32/CE) qui prévoyaient, avant l’année 2015, de prévenir la détérioration, améliorer et restaurer l’état des masses d’eau de surface, atteindre un bon état chimique et écologique de celles-ci, ainsi que réduire la pollution due aux rejets et émissions de substances dangereuses, tout en limitant à deux les reports de cet objectif hors raisons naturelles ;
Au vu du constat de dégradation des eaux guyanaises (régression de 73,6% à 67,3% de la part des masses d’eau superficielles « cours d’eau » en très bon état écologique) entre l’état des lieux de 2013 et l’état des lieux de 2019, c’est-à-dire environ 7% des masses d’eau qui ont donc migré d’un « bon état écologique » vers un état « moins que bon ». Notons que ce pourcentage représente, sur les 112 000 km (source SDAGE) de l’ensemble des cours d’eau de la Guyane, environ 7800 km de linéaire potentiellement impactés et qui peut en grande partie s’expliquer par l’accroissement constant de la pression de l’activité aurifère (légale ou illégale) sur le territoire de la Guyane ;
Au vu du renoncement du SDAGE 2022-2027 qui – sans aucune données ou arguments scientifiques justifiant son efficacité et explicitant les raisons du report –, affirme, pour les masses d’eau qui ne pourront pas atteindre d’ici 2027 le bon état requis par les directives européennes, que la seule solution est une nouvelle dérogation jusqu’en 2039 voire au-delà ;
Au vu de l’engagement pris par l’État de l’éradication de l’orpaillage clandestin en préalable à la création du Parc amazonien de Guyane, selon la volonté des peuples autochtones ;
Au vu des résultats concrets et positifs de réduction significative des sites d’orpaillage illégaux lorsque les moyens financiers et humains sont engagés (cf. les résultats en lien avec les actions de lutte financées par la Stratégie Aires Protégées) ;
Au vu des obligations régaliennes de protection des personnes, de leurs biens et de leur environnement (Préambule de la Constitution de 1946 inscrite dans la Constitution de 1958, Charte de l'environnement de 2004) ;
Le conseil scientifique du Parc amazonien de Guyane demande à ce que les ambitions du SDAGE soient revues à la hausse et que les efforts de lutte contre l’orpaillage illégal et l’accompagnement technique de la filière légale soient intensifiés, pour atteindre l’objectif de bon état écologique des cours d’eau au plus vite. A cette fin, il préconise, pour garantir aux populations autochtones et aux habitants des espaces concernés le droit de vivre dans un environnement sain et nécessaire à leur bien-être :
- Le respect des engagements pris envers les peuples autochtones et peuples des forêts ;
- Le respect des objectifs des directives européennes de gestion et de protection des masses d’eau ;
- Le non recours aux dérogations politiques et non scientifiques ;
- Et que l’Etat se donne sans délais les moyens nécessaires pour respecter le calendrier des directives européennes sus précisées.
A Saül, le 1er juin 2022
Pierre-Yves LE BAIL
Président du Conseil Scientifique du Parc amazonien de Guyane