Journaliste en Bretagne, un métier à haut risque ! OPEN-FM 20/05/2021
Sur les plages bretonnes se succèdent depuis des années des faits divers pour le moins troublants
Eté 1989 un joggeur de 27 ans meurt sur la plage de Saint Michel en Grève (22)
1999 : Maurice Brifault, conducteur de tracto-pelle perd connaissance en plein ramassage d’algues sur la plage de Saint Michel en Grève
12/07/2008 : Deux chiens meurent sur la plage d’HILLION (22)
2009 : Thierry Morfoisse, transporteur d’algues, décède à Binic (22)au volant de son camion qui transportait des algues.
La même année sur la plage de Saint Michel en Grève, un cavalier perd connaissance et son cheval meurt.
En 2011 36 sangliers meurent dans l’estuaire du Gouessant à Morieux (22)
Le 8/09/ 2016, un joggeur de 50 ans est retrouvé mort à l’embouchure du Gouessant à Hillion (22)
Le 6 juillet 2019, un ostréiculteur de 18 ans meurt en baie de Morlaix.
Source : France 3 Bretagne 9/7/2019 : https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/rappel-deces-causes-algues-vertes-ces-dernieres-annees-bretagne-1696968.html
Autre fait divers : le mercredi 31 mars 2021, Morgan Large découvre un boulon de voiture aux abords de sa maison ; elle se rend compte que sur une des roues manquent 2 boulons ; un voisin en a retrouvé un sur la route le samedi 27. Dans la nuit du 26 au 27 mars, son chien a aboyé et elle a entendu une sonnerie de téléphone. Elle a donc roulé avec sa fille pendant 5 jours avec 2 boulons en moins sur une roue.
Morgan Large est journaliste sur une radio locale RKB (Radio Kreiz Breizh) et est spécialisée dans l’enquête sur l’agro-alimentaire en Bretagne. Le 3 mai dernier, c’est la journée internationale de la liberté de la presse ; Morgan Large intervient ce jour là sur France Inter ; (https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-6h20/l-invite-de-6h20-03-mai-2021)
Ce jour là, ni Cnews ni BFMTV ne se préoccupent du cas de Morgan Large, trop concentrés sur le désistement de la liste LREM au profit de Renaud Muselier en PACA.
C’est un acte d’une exceptionnelle gravité, puisque le sabotage de sa voiture aurait pu provoquer sa mort et celle de sa fille. Une manifestation de soutien a eu lieu le 6 avril à Rostronen avec 800 manifestants environ. Morgan Large a décidé de porter plainte, avec le soutien de RSF, car cet acte de malveillance n’est pas le premier : appels téléphoniques nocturnes, intrusions nocturnes chez elle et à la radio RKB, ouverture des prés pour laisser divaguer ses animaux, tentative d’empoisonnement de son chien, et diffusion de sa photo sur le compte Twitter de la FNSEA régionale. Les gros ennuis ont commencé lorsqu’elle a témoigné dans un documentaire diffusé en novembre 2020 sur France 5 : « Bretagne, une terre sacrifiée ».
Mais elle n’est pas la seule à subir les menaces et le harcèlement des magnats de l’agro-alimentaire breton. Inès Léraud, journaliste indépendante, co-autrice de la BD « Algues vertes, l’histoire interdite »parue en 2019 a été à plusieurs reprises l’objet d’une plainte en diffamation de la part de personnages majeurs de l’agro-alimentaire breton, tels Christian Buson ou Jean Chéritel. Ces plaintes sont souvent retirées à la veille de l’audience, le but étant de créer un choc psychologique et un préjudice financier au travers des frais d’avocat ; en outre, elles détournent les journalistes de leur activité, car en préparant leur défense, ils ne peuvent de consacrer à leur métier. Par ailleurs, Inès Léraud a été exclue du salon du Livre de Quintin (22) sur intervention d’un élu, salarié de la Chambre d’Agriculture tenue par la FNSEA.
Les journalistes étrangers ne sont pas épargnés ; une journaliste allemande qui avait interviewé un agriculteur a vu débarquer dans son lieu d’hébergement. le soir venu, l’agriculteur accompagné de deux gendarmes qui exigent l’effacement de l’enregistrement. Elle est copieusement injuriée devant les forces de l’ordre qui n’y voient rien à redire. Il est pour le moins surprenant que la maréchaussée soit ainsi à la disposition d’un agriculteur, même le soir, pour menacer une journaliste étrangère.
Alors, d’où viennent ces attaques à l’encontre des journalistes qui osent faire de l’information indépendante ?
Les agriculteurs dans leur ensemble, mis à part quelques rares inconditionnels, ne sont pas à l’origine de ces agressions. Ils sont plus victimes du système en place qu’ils n’en sont complices. Ils acceptent d’ailleurs de rencontrer Morgan Large, elle-même fille de paysans, qui a aussi une formation agricole et parle breton ; parfois même ils le souhaitent, mais dans l’anonymat et à 15 ou 20 kilomètres de chez eux. C’est dire l’atmosphère de peur et de suspicion qui règne dans la campagne bretonne. Non les coups viennent d’organisations structurées et dont les agriculteurs dépendent financièrement :
- La FNSEA, qui a porté un jugement sur un documentaire d’Anne Rouaux intitulé « FNSEA enquête sur une empire industriel ». La FNSEA a traité ce film de « fiction ». En fait, le précédent président de la FNSEA, Xavier Beulin, était président du groupe Avril, un groupe industriel agro-alimentaire qui pèse 7 milliards d’euros et c’est lui qui a donné l’orientation ou qui a parachevé l’orientation de l’agriculture dans un sens productiviste et industriel.
Comme le précise Fabrice Nicolino dans Charlie Hebdo, c’est la FNSEA qui a créé et martelé via ses communicants, le terme d’agribashing, qui n’a aucun sens, mais a fini par envahir l’espace public et abouti à la mise en place, par Christophe Castaner alors ministre de l’Intérieur, de la cellule Demeter, au service de la FNSEA.
- Un autre adversaire de taille est la coopérative Triskalia. En 2018 elle a réussi le tour de force de faire manifester ses salariés contre ceux qui osent critiquer son mode de fonctionnement et sa manière de traiter son personnel (le triskalia-bashing ?) Triskalia est le résultat de la fusion de coopératives issues de l’après-guerre et s’est développée avec l’utilisation massive des pesticides et des aliments pour bétail. Elle tient d’une poigne de fer les agriculteurs qui dépendent d’elle. Peu nombreux sont ceux qui osent se rebeller. Christophe Thomas en est un, car il a osé porter plainte contre Triskalia. Suite à une erreur de livraison, ses vaches laitières ont ingurgité pendant plusieurs jours des aliments prohibés pour les bovins et comportant deux antibiotiques interdits oxytétracycline et néomycine. C’est une analyse qu’il a demandée, menée par un laboratoire indépendant, qui a pu le mettre en évidence. Mais on est bien incapable de dire ce qu’est devenu ce lait collecté pendant ces jours là ; a-t-il été transformé en lait infantile, a-t-il contribué à l’élaboration de plats cuisinés, ou autre ? En tout cas il s’est évidemment intégré à la chaîne alimentaire, et a été ventilé dans les circuits de distribution.
Thierry, éleveur de porcs, habitant à deux pas de Nutréa, confie : « Les dirigeants de la coopérative ne nous ont jamais informés de ce problème sur l’aliment. C’est inadmissible. Mes cochons ont sans aucun doute été nourris avec ces céréales, puis sont partis à l’abattoir et sur les chaînes de consommation. Je suis éleveur et je n’ai pas envie d’empoisonner qui que ce soit avec mes animaux. »(Reporterre)
En 2016, Triskalia importe de Roumanie 25000 tonnes de maïs traité à la phosphine, gaz mortel par inhalation et qui comporte des risques d’explosion au stockage ou dans les cales des navires. Malgré les assurances de Triskalia quant la l’inocuité de ce maïs, des contrôles assurent le contraire et une partie de la cargaison sera détruite, mais les pouvoirs publics n’iront pas plus loin.
A Glomel, dans les côtes d’Armor, Triskalia, maintenant Eureden, possède un site qui s’étend sur 12 hectares ; classé site Seveso seuil haut ; y sont stockés 65000 tonnes d’engrais et pesticides. Gardons à l’esprit les images du port de Beyrouth. D’anciens salariés de Triskalia, victimes des produits commercialisés par la firme, témoignent : Aux abords du site de Triskalia à Plouisy « Il n’y avait plus un canard, plus un moineau, plus un pigeon, plus un rat. Autour de l’usine, c’était Tchernobyl » (Reporterre) Et que dire des nappes phréatiques ?
On pourrait consacrer une émission entière aux activités néfastes de cette coopérative, qui n’a de coopérative que le nom. Ses adhérents n’en seraient-ils pas plutôt les esclaves ?
Jean Chéritel n’est pas en reste pour ce qui est du harcèlement à l’égard des journalistes qui ne sont pas à son service. Important grossiste en fruits et légumes, il coche toutes les cases : travail dissimulé, avec utilisation frauduleuse de travailleurs bulgares, « marchand de sommeil » envers ces salariés, trafic d’étiquettes, des fruits et légumes achetés au Maroc ou en Espagne devenant « origine France », du porc acheté en Allemagne devenant du porc français, non respect du Code du Travail, etc, etc….Et les bonnets rouges qui clamaient en 2013 « consommez nos marques, consommez français » ont-ils le sentiment d’avoir été manipulés ou de manipuler le consommateur ? A noter que Chéritel approvisionne Leclerc, Intermarché, Auchan, Carrefour Système U, Aldi, Quick, KFC ….
Une enquête de DDPP(Direction Départementale dela Protection des Populations) a été transmise au procureur sur la francisation de la viande de porc.
Mais il y a peu de plaintes de salariés, car c’est l’omerta à la sicilienne. En 2015 Chéritel attaque le journal Le Télégramme en diffamation sur l’affaire des travailleurs bulgares. Le Télégramme perd son procès, mais en 2018, les révélations du journal sont confirmées et Chéritel condamné par le TGI de Saint Brieuc.
Malgré toutes ces pratiques frauduleuses, connues de tout le monde, Chéritel a engagé une procédure contre Inès Léraud suite à une enquête portant sur une fraude massive sur les tomates. Le procès devait se dérouler le 28 janvier 2021 à Paris. Le 22 janvier, Chéritel a fait savoir qu’il abandonnait les poursuites.
Quels sont les moyens de pression utilisés ?
Le harcèlement à l’égard de Morgan Large ou Inès Léraud, mais plus généralement vis-à-vis de l’ensemble des journalistes et des médias indépendants, ce harcèlement pouvant aller, on l’a vu, jusqu’à la tentative d’homicide , et aussi la généralisation de plaintes en diffamation retirées à la veille du procès. Mais la pression est plus sournoise, et repose essentiellement sur les menaces de suppression des subventions accordées par les collectivités locales, elles-mêmes souvent tributaires de ces industriels ou infiltrées par eux. Par exemple, alors que Morgan Large interview des riverains préoccupés par l’installation d’une immense porcherie industrielle, le maire téléphone en plein direct pour dire : « votre subvention, c’est terminé ». Inès Léraud a été exclue du salon du Livre de Quintin (22) sur intervention d’un élu, salarié par ailleurs de la Chambre d’Agriculture tenue par la FNSEA.
Au-delà du harcèlement des journalistes et de l’entrave à la liberté d’informer, les industriels de l’agro-alimentaire ont leurs propres organes de désinformation tels « Paysan breton » qui distille sa vérité auprès des agriculteurs
On peut alors se demander : dans notre pays, qui se revendique un pays de Liberté, quel est l’attitude du pouvoir politique et judiciaire face à ces exactions ?
Comme l’écrit Le Monde ce 12 avril, « devant cette atteinte à la liberté d’informer, qui va jusqu’à une atteinte à la personne, les pouvoirs publics restent cois. On cherche en vain une réaction à l’Elysée, à Matignon ou ailleurs. (…) » Le gouvernement ne s’en tient pas, dans cette histoire, à la neutralité, il a choisi son camp. (…) En privatisant l’action de la gendarmerie par la création de la cellule DEMETER, le gouvernement a clairement pris partie sans réserve aucune pour l’agro-industrie, en dépit de son comportement quasi mafieux. La cellule Demeter a été créée le 13 décembre 2019 lors de la visite en Bretagne de Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur accompagnée de Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. Elle est déclinée dans chaque département et consiste à mettre les forces de gendarmerie à la disposition de la FNSEA et de l’agro-industrie. Elle vise à traiter les défenseurs de l’environnement comme des délinquants et les idées écologistes comme un délit d’opinion. En effet, ses compétences englobent « des actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques. »
Le 26 juin 2018 au Vatican, en présentant au Pape Jean-Yves Le Drian, Emmanuel Macron a un de ces bons mots dont il a le secret : « les Bretons, c’est la mafia française ». Sourire niais du ministre. Ce dernier, qui fut président du Conseil Régional de Bretagne de 2004 à 2015 n’ignore rien sur les pratiques qui ont cours dans sa région ; il a même été jusqu’à faire interrompre une campagne d’affichage de France Nature Environnement dans le métro.
Richard Ferrand (LREM) et Marc Le Fur (LR), président et vice-président de l’Assemblée Nationale, et bretons, ont qualifié le documentaire de Aude Rouaux de « réquisitoire scandaleux contre les paysans et la Bretagne », tout comme le groupe RN du Conseil Régional, qui le considère « à charge contre la profession »
Les industriels de l’agro-alimentaire, la FNSEA et les structures administratives locales ou territoriales sont intimement liées.
* Olivier Allain, ancien président de la FDSEA 22 et de la Chambre d’Agriculture 22 est vice-président du Conseil Régional chargé de l’agriculture et de l’agro-alimentaire ;
* Georges Gallardon, président d’Eureden (ex-Triskalia) est vice-président de la com-com du Kreiz Breizh et maire de Sainte-Tréphine (22480) ;
* Philippe Le Goux est chargé de communication chez Aveltis, une coopérative porcine qui vient de fusionner pour former Evel’up, regroupant 780 élevages de porcs. Il est en même temps maire de Pléguien (22290) et conseiller communautaire. On pourrait multiplier les exemples.
Les structures judiciaires elles-mêmes ne sont pas épargnées . Il est apparu récemment qu’un des assesseurs du pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc (ex TASS) était en même temps sociétaire de Triskalia ; un autre assesseur était salarié de Groupama, l’établissement bancaire proche de Triskalia et il s’avère que depuis des années, des jugements de ce tribunal ont été défavorables aux salariés qui portaient plainte contre Triskalia. C’est Serge Le Quéau, retraité, syndicaliste Solidaires depuis de très nombreuses années qui a mis en évidence cette « anomalie ». Le Garde des Sceaux Dupont-Moretti se préoccupera-t-il de ce qui semblerait clairement être un conflit d’intérêt ?
Il faut aussi savoir que suite aux multiples agressions dont elle a été victime, Morgan Large a fait une demande de protection policière ; elle ne lui a pas été refusée, ….mais elle ne l’a pas obtenue, pas plus qu’un numéro de téléphone d’urgence. Le procureur de la République lui a simplement assuré qu’elle pouvait appeler « sans retard et sans scrupule » le commandant de gendarmerie, à Guingamp, à 50 minutes de chez elle.
Alors face à cette machine infernale, que faire ? Se résigner ou lutter ? C’est fort heureusement la 2ème solution qui a été choisie par les journalistes courageux qui ne cèdent pas aux provocations et aux pressions. Un collectif de journalistes s’est constitué Kelaouin qui signifie « informer » en breton. Et comme l’argent est le nerf de la guerre et suivant l’adage « qui paie commande », il s’est créé, pour garder la liberté éditoriale, autour de Gwen, Morgan, Inès, et d’ autres épris de liberté un média indépendant SPLANN ! ( Clair ), un média associatif sans but lucratif, 100% investigation.
Vous trouverez tous les renseignements et les moyens d’aider cet espace de liberté sur https://splann.org
Merci à Kelaouin, merci à SPLANN ; en défendant la liberté d’expression en Bretagne dans les conditions difficiles que l’on a vues, c’est la liberté de chacun et chacune d’entre nous qu’ils défendent.
Dernière minute : SPLANN vient de publier les résultats de ses investigations au sujet de la pollution de la Bretagne par l’ammoniac lié à l’agriculture productiviste (Mediapart)