Ayant définitivement abandonné cette obsession très française consistant à ne jamais regarder plus loin que le nombril de son coq, j'aime aller voir un peu ce qui se passe à travers le vaste monde. Et cela s'avère assez vertueux car, contrairement aux beaufs qui ont toujours un billet d'avion en poche ou en projet, je ne bouge guère de mon jardin. S'intéresser aux autres, au monde qui nous entoure, ce n'est pas s'entasser dans les aérogares, pourrir le ciel et aller faire chier les gens sur leurs terres. C'est prendre de leur nouvelle, s'en soucier, militer pour leur bien être et au besoin, s'y rendre non pour les photographier mais pour les aider. Cela s'appelle de l'humanisme, puisque nous sommes jusqu'à preuve du contraire sortis du même trou et finirons tous aussi et autant que nous sommes, dans le même trou.
Pour le moment, entre la Biélorussie, l'Ukraine, la Chine, le Soudan et le Yémen, regarder ailleurs ce n'est pas véritablement se rincer l'œil. C'est se l'essuyer et même l'autre tant il fait triste un peu partout sur la planète. Alors tu parles que l'élection de Gabriel Boric à la tête du Chili, je me la repasse en boucle. Tout d'abord et s'il faut bien admettre que la mode consiste à élire de jeunes cons à la tête des états, ce Boric-là n'est nullement joueur de tennis, même s'il exact que ses parents sont Croates. Je ne sais même pas s'il est seulement classé 15 ! Enfin notez bien qu'il vient d'écrabouiller Saint-Emmanuel-les-mains-jointes en étant élu à la présidence alors qu'il n'a que 35 ans. Ce qui je vous l'accorde, ne constitue ni un exploit ni surtout une garantie de compétences et donc, de longévité... politique. Car il va falloir tout de même que cet étudiant, leader syndicaliste, après avoir fédéré la gauche, soit capable de gouverner et tenir le pays, ce qui est sensiblement autre chose.
Ce qui reste essentiel c'est que Gaby - vous permettez que je l'appelle Gaby ? - ait réussi à renverser la situation et inversé le sens d'un vent mauvais qui approchait les côtes de l'océan Pacifique. C'est que trente-cinq ans après la destitution de Pinochet, le dictateur sanguinaire installé et soutenu par les Etats-Unis, un certain José Antonia Kast, avocat d'extrême-droite, apparaissait il y a quelques semaines encore comme le grand favori de ce scrutin. Ce renversement démontre que le peuple chilien n'a ni perdu la mémoire ni sa conscience.
D'autant que Boric ne promet pas spécialement du sang et des larmes, si ce n'est à cette petite caste d'ultra-privilégiés qui va devoir apprendre à partager. Partisan d'un passage à un Etat-providence, il s'est prononcé pour la remise en cause des privatisations effectuées sous la dictature militaire, l'augmentation des impôts pour les plus riches afin d'effectuer une meilleure répartition, ainsi que la garantie d'une retraite minimum pour tous... Pas sûr que les marchés financiers ne fassent pas un peu la grimace et n'entendent pas le lui faire payer. Pas sûr non plus que les lobbies catholiques vivent très bien le droit à l'avortement et la reconnaissance des LGBT. Ainsi va le monde. Il régresse, il évolue et lorsqu'il évolue... champagne !
Je ne vous quitterai pas jusqu'aux premiers jours de 2022 (grande année de chambardement, j'en suis sûr !) sans avoir insisté sur l'exemplarité Chilienne. Plus de trente ans après le départ de Pinochet, de grandes manifestations de rue ont obtenu la mise en place d'une assemblée constituante dans le but de moderniser et d'humaniser la constitution. C'est exactement ce qui est nécessaire, indispensable, urgent chez nous, lorsqu'on voit plus de soixante ans après de Gaulle - pour qui elle avait été écrite -, ce que nous en avons fait avec un Jupitre à l'Elysée.
Et si vous aviez suivi un tant soi peu ces élections édifiantes, vous auriez su aussi que le vainqueur de cette élection, Gaby Boric donc, avait été préalablement désigné par une primaire de la gauche. Et malgré son appartenance au mouvement le plus radical, cela ne l'a donc pas empêché de recueillir 56 % des voix du pays au second tour. C'est évidemment la démonstration que face à la diversité des droites, une candidature unitaire peut tout aussi bien faire triompher le camp des humanistes. Et pas qu'au Chili ! Pâques en France aussi....