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Billet de blog 15 décembre 2024

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Trace 46-Biorégions 2

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour introduire à ce thème de la « bio-regione » selon Alberto Magnaghi et son “Laboratorio di Progettazione Ecologica degli Insediamenti”de Florence, j’utilise un texte de Thierry Paquot qui présente mieux que je ne saurai le faire ce travail :

« Alberto Magnaghi (né en 1941) commence à entrecroiser l’évolution des villes et l’écologie dans La Città fabbrica (1970) où il découvre que le fordisme confisque le territoire pour le soumettre à sa seule logique économique productiviste. Il homogénéise toutes les populations et les cultures qui s’y trouvent afin de faire de chacun une pièce interchangeable du grand puzzle industriel qu’il contrôle. La crise de ce modèle stimule la multiplication de « districts industriels » qui renouent avec les qualités spécifiques aux territoires. « La territorialité et le développement local deviennent une richesse: des éléments de construction de modèles spécifiques, de relations et de coévolution entre l’établissement humain et l’environnement construisent une culture et une société locales. » (entretien avec Alberto Magnaghi, 2012).

« Si les écologistes s’opposent à tout ce qui peut nuire à la nature, lui se préoccupe principalement de « l’environnement humain », comme il l’explique dans les cinq numéros de sa revue Quaderni del territorio, fondée en 1974, puis dans « Il territorio dell’abitare » (1990), où il envisage un développement auto-soutenable et participatif se substituant à la croissance ininterrompue imposée d’en-haut (par les décideurs des firmes multinationales et par les technocrates du pouvoir central) et d’ailleurs (la globalisation possède des relais locaux, mais sa dynamique s’élabore hors-sol ou à partir d’une poignée de « villes-globales »). »TP

 Ce que défend Magnaghi vient d’une déjà longue histoire : aux savoirs que Kirkpatrick Sale nous enjoignait de retrouver, il faut ajouter l’histoire, dont celle des techniques :

« Le « néo-écosystème » résulte d’une longue co-évolution et correspond à l’environnement humain. Un exemple ? Les terrasses, elles n’ont rien de naturel, elles sont étagées sur le flanc d’une colline abrupte et une fois déboisée et cultivée, et deviennent un nouveau territoire dont il faut prendre soin, car une seule fois abandonnées, elles périclitent, ne font plus microclimat, ne retiennent plus l’eau, ne sont en rien un habitat pour aucune espèce… Pour Alberto Magnaghi l’urbanisation contemporaine détruit à la fois les campagnes et les villes, il y a urgence à redécouvrir les campagnes (avec la mise en place de nouveaux savoirs qu’il désigne par l’expression de « rétro-innovations») et les villes. »TP

Thierry Paquot situe Magnaghi par rapport aux différentes recherches , dont celle de Kirkpatrick Sale (voir Trace 45) :

« Dans La biorégion urbaine (2014), Alberto Magnaghi s’évertue à gommer toute nostalgie dans son désir de reconquête territoriale, pour lui le « retour au territoire » se veut un « retour à la construction des futures conditions de vie sur terre. » Qu’entend-il par « bio-région urbaine » ? « La bio-région urbaine, écrit-il, est le référent conceptuel approprié pour traiter d’une manière intégrée les domaines économiques (système local territorial), politiques (autogouvernement) environnementaux (écosystème territorial) et de l’habiter (lieux fonctionnels et lieux de vie dans un ensemble de villes, bourgs et villages) d’un système socio-territorial qui cultive un équilibre de co-évolution entre établissement humain et milieu ambiant, rétablissant sous une forme nouvelle les relations de longue durée entre ville et campagne pour atteindre l’équité territoriale. »  Il souligne ainsi les prolongements politiques et sociaux qu’il confère à sa définition eu égard aux précédentes, celles des Todd (1984), de Kirpatrick Sale (1985) ou encore de Peter Berg (1978), davantage soucieuses de la nature. Il emprunte à Murray Bookchin (1979) certains traits de son municipalisme, à Serge Latouche (2007) son approche bio-économique de la décroissance. »TP

Ce qui donne lieu à une image encourageante :

« Ces expériences aident l’imaginaire à produire les visions d’une planète foisonnante de bio-régions en réseaux qui coopèrent pour reconstruire le milieu ambiant de l’homme en favorisant une mondialisation par le bas. Cette croissance de projets locaux partagés et des réseaux solidaires globaux peut alimenter le combat :

- pour soustraire au monde des marchandises une quantité croissante de biens.

- pour la reproduction individuelle et sociale des styles de vie des habitants, en leur confiant la gestion sociale du bien commun territoire. »TP

 La dernière publication en date émanant du LaPEI , « Urbanistica e pianificazione nella prospetiva territorialista » (2020) est un recueil de textes de divers auteurs :

Daniela Poli, dans « Le projet de territoire comme pratique sociale », résume ainsi les enjeux :

“L’Anthropocène , ou le Capitalocène, selon Jason Moore, a transformé une culture judicieuse en un développement dévastateur, où la « nature », qui était mise à profit se « rebelle », et acquiert une identité visible et appréciable en tant que sujet de catastrophes concernant une grande partie de l’humanité. Le passage vers une nouvelle phase de civilisation, de requalification du territoire comme un bien commun, nécessite des formes de planifications, incluant de nouveau les communautés locales, en des stratégies d’action orientées vers un « auto-gouvernement » local. A la communauté locale doit donc être restitué le rôle de sujet actif du soin pris au lieu, et non de simple usager, qui vote, se promène, et observe le paysage. »DP  

Puis, en postface, c’est à Alberto Magnaghi de dresser un bilan contrasté, en ombres et lumières, de ce demi-siècle de pratique :

Les ombres:

Fin des perspectives fédéralistes : disparues les propositions de fédéralismes solidaires, tels que les nôtres

Rares changements ni dans les structures, ni dans les fonctionnements des administrations locales.

On peut vérifier une pression croissante des intérêts privés sur les systèmes de décision sur la planification.

La domination des partis centraux sur les administrations communales persiste, avec une centralisation croissante des politiques.

Les lumières :

-une diffusion relative, dans l’élaboration des plans, des cadres cognitifs fondés sur la patrimonialisation du territoire.

-la multiplication de projets basés sur des accords, et communautaires.

-une croissance des expériences d’auto-organisation socio-territoriale, dans les quartiers périphériques, dans les campagnes péri-urbaines, dans des parcours de contre-exode et impliquant un changement relatif de style de vie et de production ; expériences de « commoning ».

En général, on peut noter durant cette phase historique une forte asymétrie culturelle et politique, entre la croissance (diffuse) des propositions d’innovations qui émergent d’expériences de citoyenneté active dans les territoires, et par contre des changements modestes dans les formes de planification , et dans les institutions qui gouvernent ces territoires ; toutefois la « pars construens » contenue dans les essais du présent ouvrage démontre que la contribution territorialiste, faisant mouvoir les frontières, et les champs de la planification, qui procèdent de la reconnaissance des acteurs , a une incidence, non seulement localisée dans des niches, mais aussi ouverte à une certaine diffusion. »AM

Comme aujourd’hui, tout le monde se revendique, un peu facilement, de l’écologie, il est arrivé la même chose au concept de bio-région, qui est devenu, dans la bouche de l’extrême droite, une chose raciste et étroite d’esprit, comme toujours chez eux. Gageons que l’esprit général de cette recherche suffit pour faire comprendre que notre acception du terme ne tourne pas à un rejet de l’autre, type « la Provence aux provençaux ». Les prochains textes qui porteront sur la notion d’interculturalité, confirmeront que ces rejets imbéciles  ne sont pas pas sur notre chemin….

Comme conclut très bien Thierry Paquot :

« La bio-région urbaine est une chance pour chaque praticien et chaque habitant. Elle est le cadre situationnel propice à l’écologie existentielle qu’il nous faut d’ores et déjà inventer pour que la Terre soit notre patrie, une patrie sans frontières… »TP

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