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Billet de blog 28 décembre 2024

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Trace 71-Cité-jardin 1

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’actualité a mis sur le devant de la scène les cités-jardins, avec le démembrement programmé de la Butte Rouge, une des cités jardins les mieux réussies de France. Sur la Butte Rouge, on pourra lire ceci :

https://topophile.net/savoir/non-au-demembrement-de-la-cite-jardin-de-la-butte-rouge/

Ce mouvement est né au Royaume-Uni, avant de se diffuser en France, mais aussi en Italie. Nous irons aux racines du mouvement, à travers quatre figures qui ont vécu, au moins une partie de leur vie, au Royaume Uni : Kropotkine, Morris, dans un premier temps, puis Geddes et Howard.

De Kropotkine, on connaît peu le fait qu’il fut géographe, zoologiste, anthropologue, géologue. C’est en s’appuyant sur ces différents savoirs qu’il écrit «L’entraide, un facteur de l’évolution » (1902), puis, parmi tant d’autres : « Champs, usines, ateliers » (1910). Nous parlerons de ces  livres, tant sous l’angle de leur influence dans la création des cités-jardins, que sous celui de notre projet.

Kropotkine a demandé très jeune à aller en Sibérie : là , ce qu’il voit de l’existence commune des animaux sauvages, au bord des lacs, le convainc que ce que le professeur Kessler avait pu annoncer dans sa conférence de 1880 sur la « loi d’entraide mutuelle », était bien vrai : « Il y a dans la nature la loi de l’Aide réciproque, qui est beaucoup plus importante pour le succès de la lutte pour la vie, et surtout pour l’évolution progressive des espèces. »PK

Ceci dans un esprit d’entraide intra-spécifique, mais aussi inter-spécifique : « Prenez, par exemple, un

des innombrables lacs des steppes russes ou sibériennes. Les rivages en sont peuplés de myriades d’oiseaux aquatiques, appartenant à une vingtaine au moins d’espèces différentes, vivant tous dans une paix parfaite, tous se protégeant les uns les autres. » PK .Ceci contredit ceux qui, interprétant de façon erronée Darwin, mettaient en avant une lutte pour la domination, quel que soit l’espèce….

Kropotkine développe ensuite comment ce fonctionnement basé sur un sentiment de solidarité a permis tant d’avancées humaines , des habitations lacustres de Suisse (voir Traces 11), aux communes du moyen-âge, dans toute l’Europe, mais particulièrement en Italie (voir Traces 5, et 50) : « On sait maintenant… que la commune du village n’était pas un trait spécifique des Slaves ni même des anciens Teutons. Elle existait en Angleterre pendant la période saxonne aussi bien que sous la domination normande, et elle a survécu en partie jusqu’au dix-neuvième siècle ; elle était à la base de l’organisation sociale de l’ancienne Écosse, de l’ancienne Irlande et de l’ancien Pays de Galles. En France, les possessions communales et les distributions de terres arables par l’assemblée du village persistèrent depuis les premiers siècles de notre ère jusqu’à Turgot, qui trouva les assemblées villageoises « trop bruyantes » et en commença l’abolition. La commune villageoise survécut à la domination romaine en Italie et reparut après la chute de l’Empire romain. »PK

Ceci est bien sûr lié à un autre régime de la propriété foncière (voir Traces 21 et 22) :

« Quant à la propriété foncière, la commune du village ne la reconnaissait pas ; elle ne pouvait reconnaître rien de semblable, et, en général, elle ne la reconnaît pas jusqu’à nos jours. La terre était la propriété commune de la tribu, ou du peuple entier /…/La propriété privée ou la possession  «perpétuelle » étant aussi incompatible avec les principes et les conceptions religieuses de la communauté villageoise qu’elle l’était avec les principes de la gens. /…/ Seules des communes villageoises, travaillant en commun, pouvaient se rendre maîtres des forêts

vierges, des marais impraticables et des steppes ... Les routes primitives, les ponts de bois…, les murs en palissades des villages, les fortins…, tout cela fut l’oeuvre des communes barbares. Et lorsqu’une commune devenait très nombreuse, un nouveau rejeton s’en détachait. Une nouvelle commune se formait à quelque distance de l’ancienne,…. L’éclosion même des nations européennes ne fut qu’un bourgeonnement des communes villageoises. »PK

Et Kropotkine d’exalter, comme nous l’avons fait (Traces 50), ce puissant mouvement de  construction : « Nulle période de l’histoire ne peut mieux montrer le pouvoir créateur des masses populaires que le Xe et le XIe siècles, lorsque les villages et les places de marché fortifiés, — autant d’« oasis dans la forêt féodale » — commencèrent à se libérer du joug des seigneurs, et lentement préparèrent la future organisation de la cité. »PK

Ici, il cite plus précisément l’exemple des chartes des bastides : (Traces 19 et 20)

« La même vague d’émancipation se répandit au XIIe siècle à travers tout le continent, entraînant à la fois les plus riches cités et les plus pauvres villes. Et si nous pouvons dire qu’en général les cités italiennes furent les premières à se libérer, nous ne pouvons désigner aucun centre d’où le mouvement se serait répandu. Très souvent un petit bourg de l’Europe centrale prenait l’initiative pour sa région, et de grandes agglomérations acceptaient la charte de la petite ville comme modèle pour la leur. Ainsi la charte d’une petite ville, Lorris, fut adoptée par quatre-vingt-trois villes dans le Sud-Ouest de la France ; celle de Beaumont devint le modèle de plus de cinq cents villes et cités en Belgique et en France. »PK

Sur la fédération entre elles des différentes communes, on trouve ceci : « En résumé, mieux nous connaissons la cité du moyen âge, plus nous voyons qu’elle n’était pas une simple organisation politique pour la défense de certaines libertés politiques. C’était une tentative, sur une bien plus grande échelle que dans la commune villageoise, pour organiser une union étroite d’aide et d’appui mutuels pour la consommation et la production et pour la vie sociale dans son ensemble ; sans imposer les entraves de l’État, mais laissant pleine liberté d’expression au génie créateur de chaque groupe, dans les arts, les métiers, les sciences, le commerce et la politique. »PK

Et Kropotkine de déduire la qualité de l’architecture même de la structure politique de ces cités :

« Le fait même que parmi tous ces arts, l’architecture, — art social par excellence — a atteint son plus haut développement, est significatif. Pour arriver au degré de perfection qu’il a atteint, cet art a dû être le produit d’une vie éminemment sociale. »PK

Tout ceci a eu une fin, avec les enclosures d’une part,  un pouvoir croissant de la noblesse, enfin l’hostilité de l’Etat, et les communes furent vaincues, mais sans que ne le soient ni une part des structures, mais surtout l’esprit d’entraide qui avait présidé à leur création : « Nous venons de voir ce qui fut fait en France par les divers gouvernements pour détruire la commune du village et pour permettre à la bourgeoisie de s’approprier ses terres /…/Mais l’importance morale des possessions communales, si petites soient-elles, est encore plus grande que leur valeur économique. Elles conservent dans la vie du village un noyau de coutumes et d’habitudes d’entraide qui agit comme un frein puissant sur le développement de l’individualisme sans merci et de l’avidité, que la petite propriété ne développe que trop facilement. L’entraide, dans toutes les circonstances possibles de la vie du village, fait partie de la vie de chaque jour dans toute la France. »PK

Kropotkine cite aussi cet exemple en Westphalie : « Dans les régions bien boisées le bois de charpente pour bâtir une maison neuve est pris généralement à la forêt communale, et tous les voisins se réunissent pour construire la maison. »PK

En conclusion : « L’étude de la vie intérieure de la cité du moyen âge et des anciennes cités grecques nous montre que l’entraide, telle qu’elle fut pratiquée dans la guilde et dans le clan grec, combinée avec la large initiative laissée à l’individu et aux groupes par l’application du principe fédératif, donna à l’humanité les deux plus grandes époques de son histoire. »PK

Dans « Champs, usines, ateliers », nous rapprochant ainsi de l’esprit des cités-jardins, sont évoquées différentes formes d’organisation du travail autorisant activité artisanale ou semi-industrielle en milieu rural, avec l’exemple de la région de Tarare notamment : « En fait, le trait prédominant des petites industries, c’est qu’on ne constate l’existence d’un bien-être relatif que là où elles sont associées à l’agriculture, là où les ouvriers sont restés en possession du sol et continuent à le cultiver. Même parmi les tisserands de France ou de Russie, qui ont à compter avec la concurrence de la fabrique, on voit régner un certain bien-être, tant qu’ils ne sont pas forcés d’abandonner la terre. »PK

Ce qui sera une des constantes des «Nouvelles de nulle part» de W.Morris, que nous verrons dans notre prochain texte. Un des points communs entre Kropotkine et Morris est la référence à Ruskin :

« Nos critiques d’art, comme Ruskin et son école, n’ont cessé de nous répéter depuis quelque temps que nous ne pouvons espérer une renaissance de l’art, tant que les métiers manuels seront ce qu’ils sont. Ils nous ont montré comment l’art grec et l’art médiéval furent enfantés par les professions manuelles. »PK

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