Mais puisqu'on vous dit que tout cela n'existe pas !
L'hebdomadaire Marianne, qui couvre assez correctement le sujet depuis le début de l'affaire Epstein, y consacre un dossier dans son édition du 30 août dernier : « Jonzac, Epstein... Le dossier noir de la pédophilie. »
Pas question pour le magazine, au passage et une fois de plus, d'utiliser le terme adéquat de pédocriminalité. Terme sans doute trop violent et inquiétant. Beaucoup plus, en tout cas, que d'imaginer une ribambelle de « pédophiles isolés » qui se livrent à leurs coupables activités chacun dans leur coin, et qu'on arrive bien, un jour, à attraper.
A l'intérieur du magazine, un dossier, donc. Un encadré, signé Alain Léauthier et intitulé « Fantasmes et réalités », prévient préalablement les lecteurs : « Il faudra attendre de longs mois avant que les divers services concernés (Justice, FBI, gendarmerie, etc.) ne fassent un peu de lumière dans ces dossiers dont les ramifications mettent en cause des puissants, le monde politique, voire des Institutions. » Vœu pieux du journaliste et prudence qui confine à la naïveté. « L'opinion publique, elle, les a déjà condamnés [les méchants présumés] et avec eux les supposés réseaux pédophiles, dont le fantasme ou la réalité resurgit au gré des époques […] L'insuffisante prise en compte de l'ampleur du problème, d'une part, et l'absence de réponses adéquates, d'autre part, nourrissent tous les délires. Les policiers chargés de l'enquête ouverte par le parquet sur les possibles victimes françaises de Jeffrey Epstein et de ses complices dans l'hexagone auront à cet égard une lourde responsabilité. En attendant, Marianne fait son travail qui est de ne rien cacher, sans rien céder à ceux qui veulent forcément des coupables. » Remarque liminaire tarabiscotée dont on saisit mal le sens, car s'il y a des victimes, il y a nécessairement des « coupables » quelque part1.
Arrive un article de deux pages de Laurent Valdiguié : « Les 30 ans d'impunité du chirurgien de Jonzac. » On y lit notamment ceci : « Cette enquête initiale [de la police américaine] a commencé le 30 juillet 2003, à Paris, avec l'arrestation de trois Biélorusses suspectés de blanchiment2 [d'argent] et de diffusion d'images d'enfants à caractère pédopornographique. Dans la foulée, en Floride, sont saisis les ordinateurs des sociétés3 Connexion.usa, Regpay ou Trust-Bill. Le FBI met la main sur leurs fichiers « clients »4. Dans le lot...2468 Français.5 »
Bon. Pas de raison de douter de cette information facile à recouper. Gardons cependant pour la suite que le fonctionnement de la chose passe par des « sociétés », des « clients », et que tout ça se fait internationalement...
Plus loin, à propos du chirurgien de Jonzac : « Il avait utilisé sa carte bancaire pour accéder à des vidéos interdites. » La force de ses pulsions l'avait donc rendu très imprudent. Gardons cependant de côté, qu'il est déjà question ici d'argent, comme, tout-à-l'heure, de sociétés et de clients de tous pays, et que, donc, ces vidéos interdites se vendent.
Toujours signé Laurent Valdiquier, un autre papier à la page suivante : « Pédophilie : la France a baissé la garde. » Avec ce chapeau : « Internet : la pédopornographie a explosé dans des proportions affolantes. Si les outils de surveillance existent, les effectifs policiers n'ont pas suivi. Enquête avec la brigade des mineurs de Paris. »
L'auteur de l'article reconnaît que ces policiers, qualifiés de « gens bien » et « admirables », ne sont pas suffisamment nombreux : « Ils ne sont « que » 71 compétents sur Paris et les départements de la petite couronne, quand ils étaient une centaine au début des années 90 […]. Tous les signaux sont au rouge en matière de pédophilie […]. Sans se plaindre6[ les policiers] jonglent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et trois cent soixante cinq jours par an, à surveiller leur front avec les moyens du bord .» Gardons pour la suite que, d'un côté, la pédopornographie et sa diffusion explosent grâce à Internet, et que, de l'autre, on supprime des effectifs policiers pour lutter contre. Le journaliste n'a pas pointé vraiment ce paradoxe d'importance.
L'adjoint de la section opérationnelle de la BMP (brigade des mineurs de Paris), Frédéric Duval, est interrogé : « A la brigade, le pire qu'on ait vu, c'est un type qui avait chez lui plus de 2 millions de photos et 700 000 vidéos. C'est simple, nous n'avons même pas eu le temps de tout comptabiliser. Il a pris un an avec sursis. »
Le journaliste ajoute que ces « amateurs » sont de plus en plus nombreux, plusieurs milliers par jour à se balader, en France, sur le Net : « Ils sont tellement nombreux que nous sommes désormais face à une délinquance de masse », indique le Commissaire Dyèvre, interrogé lui-aussi. Avec 70 policiers à ses côtés, il lui faudra bien du courage ! « En un mois, 19 144 ordinateurs en France ont téléchargé des contenus pédophiles. »
Gardons pour la suite les faits suivants :
-Beaucoup plus de délinquance pédocriminelle ; beaucoup moins d'effectifs policiers pour lutter contre.
-Entre 700 000 vidéos et 2 millions de photos pour un seul type, c'est donc autant de situations différentes de sévices sexuels réels sur enfants réels (A moins qu'il ne s'agisse de dessins animés pédopornographiques...).
« Heureusement, confie le Commissaire Vianney Dyèvre, l'heureuse majorité ne passe pas à l'acte. » Nous voilà, donc, pour un temps, rassurés. Mais gardons pour la suite ce que signifie « passer à l'acte ».
Enfin, l'article se termine : « Autant le Commissaire n'a « jamais vu » de réseaux de pédophiles, comme dans les films, où les mineurs sont livrés à des « clients » par des mafieux, autant il admet l'existence de « réseaux horizontaux ». Selon lui, les « amateurs » de ce genre de choses « se filment et partagent entre eux. »
Pour finir, cette remarque du policier Frédéric Duval : « Le vrai pédophile déteste la violence. Son truc, c'est de manipuler les enfants, de leur faire accepter de rentrer dans son jeu », et que « l'age vulnérable commence à 7 ans . » Gardons pour la suite que le pédophile n'est donc pas violent et, qu'avant 7 ans, un enfant ne risque pas grand chose... Et qu'il n 'est donc pas trop difficile de le convaincre de pratiquer une fellation ou d'accepter une sodomie : il suffit d'être persuasif... pour violer sans violence et avec consentement.
Résumons :
-Les réseaux internationaux de pédocriminalité n'existent pas, même si le FBI a débusqué des délinquants de plusieurs pays (Au moins, Biélorussie, États-Unis et France)7.
-Il n'est jamais clairement question d'argent et de profit, sur des quantités aussi considérables d'échanges, même si le chirurgien de Jonzac a payé avec sa carte bleue.
-La pédocriminalité explose, mais on supprime des effectifs policiers. Policiers qui sont alors condamnés à bricoler comme ils peuvent.
-Les images circulent selon un flux extravagant. Ce qui veut dire que la demande est importante. Si la demande est importante, l'offre va donc suivre. Mais qui sont ces enfants réels ? Combien sont-ils, d'où viennent-ils ? Qui filme, qui diffuse ? Combien ça rapporte et à qui ? Difficile de faire croire que tout cela fonctionne horizontalement et en vase clos. Car cela reviendrait à dire que chaque pédophile viole un enfant, se filme, et échange avec un autre qui fait la même chose, etc.
-Lorsqu'il y a autant de situations différentes de viols et de sévices sexuels sur enfants bien réels ; que l'ampleur en est internationale, avec de l'argent échangé, des sociétés et des clients, peut-on encore parler d'un domaine « amateur » ?
-Visionner des films pédopornographiques (l'article reste discret sur la nature des vidéos proposées : viols, violences, tortures, etc. Le client demande toujours plus...), n'est-ce pas déjà un « passage à l'acte » ? Car c'est alimenter la production de situations réelles graves. En outre, si les pédophiles se contentent de se filmer et de s'échanger leur trucs « horizontalement », c'est donc bien qu'il y a eu, à un moment donné, passage à l'acte « réel », si l'on peut dire. Contradiction évidente dont l'article ne parle pas.
-Si le pédophile n'est jamais violent, c'est donc qu'il n'y a jamais de viol (qui implique une violence). Qu'est-ce que le pédophile peut bien échanger avec ses copains ? Des images d'enfants dénudés ? On ne paye plus, aujourd'hui, pour ce genre de choses... Il n'est pas violent, mais se masturbe devant des scènes de viols d'enfants réels. Il n'écope d'ailleurs que d'un peine assortie d'un sursis. Pas bien grave, donc. Sauf pour les enfants.
-Enfin, le brave Commissaire ne dit pas que les réseaux n'existent pas. Il dit qu'il n'en « a jamais vu ». Autant dire, dans ce cas, que les Services Secrets n'existent pas car on en a jamais rencontrés, ou que la terre est plate parce qu'on « a jamais vu » qu'elle était ronde,
etc.
Bref, un Commissaire pourtant hautement spécialisé qui reste bien naïf, et qui ne s'est pas rendu compte que l'objectif principal de ces réseaux, outre l'appât d'un gain considérable, est de demeurer à tout prix invisible.
Autrement dit, pour ce policier peu perspicace8, les signes de l'existence de réseaux pédocriminels internationaux sont là, mais ne constituent que la manifestation d'une absence. L'ombre portée des réseaux existe. Ainsi, ne pouvant saisir la proie invisible, on tente d'en attraper l'ombre, et on lutte contre elle avec « les moyens du bord ». Pire que Don Quichotte avec ses moulins qui, eux, existaient au moins...
Marianne continue donc de faire son travail sur le sujet, dans l'objectif louable de « ne rien cacher ». Sauf, bien entendu, ce qui ne se voit pas.
1A moins que cette remarque laisse entendre ceci : l'opinion exige rapidement des coupables. Ne prenons pas le risque de possibles erreurs judiciaires. Quant aux personnalités de premier plan éventuellement compromises, restons prudents. Laissons travailler police et justice. Ben oui, à condition qu'ils puissent travailler et remonter les filières jusqu'au bout, sans pressions, ce qui n'est pas gagné.
2Blanchiment d'argent. Il doit donc y en avoir pas mal...
3Sociétés, donc organisations commerciales à but lucratif...
4Clients, donc qui payent pour un service, une prestation ou un produit...
5C'est la police américaine qui découvre donc des pédocriminels français que les Français n'ont pas découverts.
6De quoi se plaindraient-ils ? Les pouvoirs publics n'auraient-ils pas pris en compte la gravité du problème ? Le journaliste n'a-t-il pas demandé aux policiers comment ils analysaient cette situation absurde ?
7Depuis la fameuse affaire d'Outreau, l'expression de « réseau pédocriminel international » est prohibée, et celles et ceux qui l'utilisent encore sont catalogués « complotistes » ou « conspirationnistes ». Pourtant, dans les années 1990, plusieurs opérations policières avaient permis d'en démanteler : Toro Bravo, Achille, Ado 71, etc.
8Ou qui préfère ne pas tout dire de ce qu'il pense.