jacques jedwab

Abonné·e de Mediapart

11 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 avril 2012

jacques jedwab

Abonné·e de Mediapart

Lettre d'Amérique à mes amis restés au pays

jacques jedwab

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De ma retraite à Pittsburgh (USA), où nous sommes allés, Christine et moi, nous occuper de notre petite fille, je lis avec un certain effarement les réactions de mes amis sur Facebook. Dès la nuit du 22 au 23, un sentiment d'abattement était lisible. Des amis, qui, il y a quelques jours encore, étaient pleins d'enthousiasme et d'optimisme après la formidable campagne du Front de Gauche, qui avaient participé au gigantesque rassemblement sur la plage du Prado à Marseille, qui sentaient un vent nouveau se lever, sombraient dans la désillusion. Tout se passait comme si la fête était finie et que chacun regagnait ses pénates, son intransigeance et son amertume. Un ami, musulman par conversion, un proche, revenait à son dégoût de la France et à une idéologie "indigéniste" qu'il avait quittée un temps, prétendant que le vote front national était à l'aulne d'une France éternellement raciste, balayant les moments et les élans où la France généreuse, ouverte, humaniste et résistante semblait renaître dans la superbe phrase mélenchonienne. 

Il est tout de même incroyable, alors qu'il y a de bonnes chances que l'on puisse être débarrassé le 6 mai au soir d'un personnage exécrable et dangereux, qu'un président issu de la gauche soit élu, que le climat soit aussi désappointé. On a l'impression que la réalité est insoutenable, et que seul le rêve d'un succès immédiate des forces progressistes soutenait la volonté d'un mouvement populaire en gestation. François Hollande est en tête, avec un score parmi les meilleurs qu'un candidat socialiste ait réalisé depuis que l'élection du président au suffrage universel existe. Le président sortant réussit cet exploit unique depuis les débuts de la cinquième république d'arriver second au premier tour dans la course au renouvellement de son mandat. C'est dire à quel point il est dans un situation difficile. Sa morgue, sa combativité et son absence totale de scrupule et de moralité lui permettent de laisser croire qu'il va refaire aisément le terrain perdu. Mais le rejet dont il est l'objet est réel et très partagé dans le pays. Ses seuls arguments pour le faire oublier sont un recours tous azimuts à une haine de classe contre les forces populaires anticapitalistes, la gauche en général en rameutant les vieilles lunes de l'anticommuniste et la menace d'une ruine encore pire que celle où il nous a conduits. Sans négliger la démagogie raciste et xénophobe.

 Les résultats de dimanche dernier n'avaient rien d'impensable : nous savions que le Front National progressait dans le pays, que des pans entiers de la société étaient tentés de voter pour lui. Dans le Sud des gens des professions libérales, médecins, avocats, disaient ouvertement qu'ils allaient voter Marine Le Pen, et mêler leurs voix à celles de milieux populaires de diverses origines. Le point commun, j'en fais l'hypothèse, aux différents courants du lepénisme, est la volonté de sauvegarder un niveau de vie et d'espérance menacée dans la crise actuelle. Le Pen et Mélenchon, sont les seuls ( avec à un degré moindre Eva Joly ) à avoir donné une interprétation globale de la crise actuelle, qui permette aux gens de mettre en forme, et de trouver des causes tangibles, à leur expérience globale du désarroi et de l'impression de devenir étranger dans leur propre pays. Si Mélenchon a permis au peuple de gauche de retrouver son honneur et sa dignité, si son discours, brillant, instituant une rupture radicale avec le langage technocratique néo-libéral, fondé sur une riche tradition de lutte pour la liberté, la justice sociale et l'égalité,  ses perspectives sont restées lointaines et souvent utopiques, en particulier quand il pense donner naissance à un mouvement qui permettrait de promouvoir une Europe sociale, pour ne pas dire socialiste. A ccontrario, je porte au crédit de Marine Le Pen d'avoir proposer des ruptures politiques claires sur les questions européennes, sur l'euro en particulier, ruptures partagées, quoiqu'ils en disent, par bon nombre d'économistes de gauche. Dans leur chair, dans leur vie, bon nombre de nos concitoyens ont fait l'expérience des catastrophes liées à la politique économique et monétaire européenne, sans oublier le coût pour la démocratie. Leur crainte du lendemain en est accrue.

Le Front national est un parti xénophobe et raciste, d'une tradition d'extrême droite nationaliste et antisémite. Le fait que le président et son  gouvernement aient utilisé, pour essayer de conserver son pouvoir, le recours à une politique sécurité axée contre les étrangers, les musulmans et toutes sortes de personnes définies comme déviantes et dangereuses, des schizophrènes aux gens du voyage, a contribué à légitimer le discours raciste du Front National. Mais résumer son impact sur la population à ce seul argument, qui porterait parce que les français sont foncièrement racistes, est se fermer les yeux sur toute la dialectique frontiste subtile, qui lui permet d'abord de produire un discours où les gens se retrouvent dans leur expérience de la vie quotidienne, et entraîne leur adhésion à l'interprétation raciste et xénophobe des causes de leurs malheurs. 

La grande difficulté de la gauche rassemblée par le Front de Gauche à faire barrage à ce discours frontiste, tient, à mon avis, à plusieurs causes. La première est la nature même du Front de gauche, qui n'a pas d'unité organique, n'est pas un appareil politique au sens de la tradition des partis ouvriers ( sans parler de la tradition léniniste qu'il faudra aussi réhabiliter ), mais un rassemblement électoral, qui a eu un écho magnifique, et a porté des valeurs fondamentales, introduit l'espoir d'une sixième république, mais a aussi entretenu une illusion électoraliste alors même que dans sa phrase il n'était pas sans la dénoncer. D'où l'ambiguité de ses objectifs : en finir avec le sarkozisme ou provoquer une révoluton " dans les urnes". D'où l'incapacité à permettre à ses électeurs une perspective une fois son demi-échec consommé.

Une autre cause me paraît être le moralisme et l'idéalisme de la gauche concernant les questions liées à la transformation démographiques du pays en une génération. Ces transformations, dans le contexte d'une crise politique, économique, sociale et morale, qui dure maintenant depuis plusieurs décennies, a entraîné une situation explosive qui dresse des pans de la société contre d'autres. Mélenchon et le Front de gauche ont amorcé une mouvement populaire sur des bases de classes permettant une résolution dans la lutte des " contradictions au sein du peuple" pour reprendre la terminologie maoïste. Il importe, d'après moi, que la gauche s'organise pour mener une politique à la fois respectueuse des convictions religieuses des gens, tout en maintenant la laïcité de sa tradition républicaine, et réfléchisse à une méthodologie de dialogue entre les éléments de couches populaires pour lutter contre le racisme, en isolant les éléments communautaristes et fractionnistes dans quelque milieu qu'ils se trouvent. Un dialogue réel au sein du peuple est nécessaire.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.