1,5 % , est le numéro d'urgence réservé aux candidats "de gauche" dont le pronostic électoral vital est engagé. Ses voix intérieures ont convoqué Docteur Arnaud à leur chevet, alors qu'il assurait sa garde médiatique semestrielle. Qui est docteur Arnaud ? un bavard qui fait partie de la réserve sanitaire composée de praticiens qui ont quitté le métier et à qui on fait appel dans les situations de forte tension. Circonstance électorale délétère oblige, ce réseau de volontaires vient d'être réactivé. Docteur Arnaud saute donc dans le véhicule du Salut Socialiste en emportant l'indispensable appareil qui pourrait apporter un peu d'oxygène aux aspirants sauveurs comme la mère de Paris. Toutes sirènes médiatiques dehors, le véhicule amène l'urgentiste devant le caboulot où gît le corps. Avec un peu de retard cependant puisque le chauffeur, un farceur appelé François, incapable de résister à la perspective d'une plaisanterie a rentré dans le le G.P.S. les coordonnées de la rue de Solférino, une adresse aujourd'hui désertée.
A peine arrivé sur les lieux, Docteur Arnaud retrousse les manches de sa célèbre blouse marinière et commence la consultation. Après quelques sondages, l'état général du patient se révèle inquiétant. Une anémie contagieuse, probablement contractée à la suite d'une "Abstentio Endemica", semble avoir vidé le corps électoral de ses globules roses et comme le nombre de globules rouges diminue également, l'état de la gauche devient préoccupant. À l'auscultation, Docteur Arnaud perçoit pouls faible et irrégulier, le coeur des forces vives est sérieusement dégradé. Ne trouvant pas de flacon de sels dans la trousse de secours (merci, pour les restrictions budgétaires ), il débouche un pot de miel miracle qu'il fait respirer à la malade. Sans succès. En désespoir de cause, il tente un audacieux redressement productif pour sortir le patient du coma léthargique dans lequel il est plongé. Il songe alors à recourir à la rrmontada, le traitement qu'il vient de découvrir et qui est toujours au stade expérimental, faute d'avoir recueilli les cinq cents signatures nécessaires à sa mise sur le marché. De toutes façons, avec un électrocardiogramme qui oscille entre 1 et 3, impossible de demander un effort intense et de longue haleine. Les recettes de la médecine classique s'avérant impuissantes comme l'a remarqué Olivier, tout heureux d'avoir quitté ces bancs, le diagnostic est implacable : hémorragie socialiste avec risque d'intoxication fasciste d'autant plus mortelle pendant la période actuelle de pandémie capitaliste. Des recherches antérieures ont permis de découvrir qu'une maladie dégénérative héreditaire provoquée par des gènes autoritaires a touché les membres extrêmes de la gauche.
A défaut de supporters, Docteur Arnaud mobilise ses souvenirs de gestion socialdem l'époque bénie où les vigies criaient "Terra Nova, Terre Neuve libérale en vue ! " La gauche remettait alors tous ses espoirs entre les mains de praticiens modernes adeptes des solutions nouvelles et disruptives, selon l'expression qu'emploiera avec succès un des spin doctor ennemis de la phynance. banque. Alors que jusque là on s'attaquait gentiment aux cent familles, les prescrivirent des remèdes de cheval basés sur la théorie du ruissellement. Ces demi-potions attaquaient les plus fragiles et les laissaient seuls et sans famille. L'époque dédaignait les sans dents et courtisait les arracheurs de dents. Les aventuriers de la roulette agitèrent les hochets de la croissance et les promesses de verroterie électorale pour attirer des clients, qui furent piqués par des épines autrement plus vénéneuses que celles des roses. La déception et le désenchantement donnerent naissance au "tétanos national", une pathologie inquiétante. Les rangs des plus fidèles déserterent les urnes à l'exception de celles qui se trouvent au Panthéon, devant lesquelles se rendent toujours quelques nostalgiques d'un passé construit sur un mythe errant, des fois qu'ils parviendraient à reconstruire un programme en commun.
Docteur Arnaud se résout à demander à des collègues de lui venir en aide. Il appelle d'abord celui dont le numéro vert est gratuit. "Allô Yannick", lance-t-il, sans obtenir aucune réponse. "Allô Anne" ... mais au service des urgences, aucun brancard ne daigne répondre. On apprendra plus tard que soeur Anne qui l'a vu venir, a décidé de boycotter l'appel craignant une déclaration ou un retour de flamme peu olympique. Me non plus, aurait-elle déclaré. Reste le dernier, l'ours mal léché mais l' "Allô Jean-luc" bien que mielleux ne provoque aucun rugissement. Le bouche à oreille s'avère impuissant à ranimer le malade, un drame ordinaire de la médecine allôpathétique. Pourtant, opiniâtre, Docteur Arnaud essaye un tout dernier appel. "Allô Fabien". Miracle, une voix d'outre tombe lui répond : "Colonel Fabien à l'appareil, le numéro que vous avez demandé n'est plus attribué." Une erreur de numéro, une de plus, une de trop, pour Arnaud qui en jette l'éponge de dépit.
Voulant connaître la fin de l'aventure, j'ai téléphoné un peu plus tard à Docteur Arnaud. Seule la voix de Bobby Lapointe est sortie du répondeur. "Il a du bobo Arnaud". Encore heureux qu'il n'ait pas osé un succès de saison comme le rabâché "Petit papathétique, quand tu descendras de ton nuage"...