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Billet de blog 5 mai 2018

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Contribution à un « débat » qui dure : On a trouvé la fabrique à casseurs

Mais ces casseurs débordant constamment les honnêtes mendiants défilant dans le calme, qui étaient-ils ? D’où venaient-ils ? La question taraudait l’esprit des informateurs du public qui, comme chacun sait, ont à cœur de ne jamais lui mentir. (Par le Comité de défense des casses insurrectionnelles)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis quelques années on se perdait en conjectures : alors qu’autrefois il pouvait arriver au cours de manifestations que des mécontents répliquent aux matraquages policiers, ces derniers temps on ne voyait plus que des manifestants bons enfants immanquablement débordés par des « casseurs ». De cette mutation, seul le deuxième aspect laissait perplexe : que des manifestants bien encadrés par des organisations responsables soient devenus aussi peu agressifs que des veautants, cela ne pouvait étonner en des temps on l’on avait pu voir des travailleurs faire grève en travaillant et des chômeurs payer pour qu’on les emploie. Mais ces casseurs débordant constamment les honnêtes mendiants défilant dans le calme, qui étaient-ils ? D’où venaient-ils ? La question taraudait l’esprit des informateurs du public qui, comme chacun sait, ont à cœur de ne jamais lui mentir.

Car tout démontrait que ces casseurs abîmant par leur agressivité des revendications aussi respectables que vouées à être jetées au panier n’avaient rien en commun avec ceux dont ils discréditaient ainsi la mollesse et la résignation pleurnicharde. Alors ? La question ne cessait de revenir : plus les casseurs apparaissaient et se multipliaient, plus leurs origines et leurs raisons semblaient obscures.

Certes, on avait bien cru plusieurs fois toucher à la fin du mystère. Les télés nous faisaient saliver : on avait attrapé des casseurs. On allait nous en montrer. Mais, en fin de compte, que voyait-on ? Des routiers, agriculteurs, pêcheurs, chômeurs, jeunes banlieusards, étudiants même. En fait : des gens en colère, peu conformes au rôle d’épouvantail qu’on voulait leur faire jouer malgré eux. Mais le vrai casseur, ce monstre sans cesse évoqué sur nos écrans, dans nos journaux et sur le perron de l’Elysée, restait invisible. Où se cachait-il ?

Or, voilà qu’au détour d’un mécontentement social croissant la vérité s’est dévoilée brusquement. Nous vous la livrons dans sa plus éblouissante nudité : les véritables casseurs, s’il est vrai qu’ils sont menés par des forces souvent occultes, sont loin d’être aussi obscurs qu’on le pensait. Ils sont au contraire bougrement visibles. Mais ils cachent leurs forfaits derrière l’énormité d’une fausse évidence, cultivée par une propagande omniprésente : Ils se font passer pour des constructeurs, des progressistes, des bienfaiteurs, alors même qu’ils causent d’immenses dégâts et d’innombrables souffrances.

Les vrais casseurs sont ces êtres bizarres qui démolissent la planète et la vie de leurs contemporains par des décisions économiques du plus barbare cynisme ; ce sont ces grands prêtres de la religion marchande qui -sous prétexte de faire le bonheur des humains au moyen de leur divinité- sacrifient au culte de la rentabilité des millions d’hommes, femmes et enfants ; ce sont ces seigneurs de la guerre marchande qui vivent sur les populations d’exactions et de rapines ; ce sont ces maffiosi multinationaux, organisateurs d’arnaques planétaires, se battant souvent entre gangs mais tombant toujours d’accord pour tondre le faible mouton ou saigner le bœuf récalcitrant à l’idée de porter le joug ; ce sont ces experts en l’art de gagner leur brioche à la sueur du front des autres, connaissant toutes les combines pour faire suer le burnous de ceux qui n’ont d’autre ressource pour vivre que de vendre leur force de travail dans les conditions hostiles d’un marché encombré qui permet tous les chantages, et maîtrisant toutes les techniques pour jeter ces citrons après les avoir pressés, sans qu’ils leur fassent trop de pépins. (…)

Voilà les vrais casseurs. Les autres, ceux que les laquais casseurs de langage nous désignent aujourd’hui sous cette appellation qu’ils veulent infamante, ne sont que les produits logiques de la situation créée par les premiers : des révoltés répliquant encore très modérément aux agressions dont ils sont l’objet à tout instant et sous tant de formes modernes toujours plus sophistiquées. Et le coup de bluff renversant la vérité pour les désigner à la vindicte publique n’a d’autre but que celui de les isoler pour mieux les vaincre, empêcher que d’autres floués par les pouvoirs régnants ne comparent leurs griefs aux leurs et s’entendent avec eux pour changer l’organisation sociale qui en est la cause. Mais qui peut encore se laisser abuser par ce genre de baratin manipulateur, technique favorite des pouvoirs qui tremblent ? (…)

Les Communards, se voyant traiter de « canaille » par leurs ennemis répliquaient fièrement : C’est la canaille. Eh bien j’en suis ! Être traité de voyou par des salauds n’est pas offensant. Ceux qui étaient tous des juifs allemands en 1968 et avaient tous le sida mental en 1986, ne se vexeront pas d’être des casseurs aujourd’hui aux yeux de ceux qui désespèrent de pouvoir continuer à maltraiter les hommes à leur convenance. Ceux là, les véritables casseurs d’humanité, les rois du mensonge et de la trique, savent que leurs filières sont identifiées et qu’elles peuvent être démantelées pour peu que leurs victimes le veuillent avec suffisamment d’énergie. On comprend qu’ils aient recours à toutes les calomnies et tous les coups bas pour essayer de se maintenir. Mais il n’est pas dit que ça marche toujours. Il n’est pas de Bastille imprenable.

Comité de défense des casses insurrectionnelles.
Nantes, 20 mars 1994.

* Tract distribué pendant les manifestations du printemps 1994 dont certaines avaient pris une tournure qualifiée d’émeutière par les autorités, particulièrement à Nantes. Il a été reproduit avec de nombreux autres dans un recueil intitulé Nantes fulminante et aujourd’hui sur le site de Gédicus : http://gedicus.ouvaton.org

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