Jean Dugenêt, le 31 janvier 2023
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Nouveaux agents du NKVD
Mais, l’ennemi aussi comprend l’enjeu de cette bataille dans cette période qui va de la mort de Léon Sedov, le 14 février 1938, à la convocation de la conférence de fondation de la IVème internationale, le 3 septembre 1938. Rappelons que le NKVD est alors dirigé par Iejov. En février 1938, Spiegelglass remplace Sloutsky à la tête du département des affaires extérieures du NKVD et en août 1938 Soudoplatov est nommé assistant spécial du Directeur.
- Sept 1936 à fév 38 Iejov => Sloutsky => Spiegelglass
- Fév 1938 à août 38 : Iejov => Spiegelglass
- Août 1938 à nov 38 Iejov => Spiegelglass => Soudoplatov
Depuis août 1938 jusqu’à novembre 1938, les services extérieurs du NKVD sont donc dirigés par Iejov, Spiegelglass et Soudoplatov. Ce dernier aura davantage de responsabilité par la suite.
Après l’assassinat de Sedov, la cible principale du NKVD est bien évidemment Trotsky lui-même et l’homme que Soudoplatov va charger de s’en occuper est un certain Naum Isaakovich Eitington connu aussi sous le nom de Léonid Eitington ou sous celui de Léonid Kotov. Celui-ci a eu une liaison en Espagne avec Carmen Caridad del Rio qui a plusieurs enfants. L’un d’eux s’appelle Ramon Mercader. Eitington a recruté le fiston. Tous les trois (Nahum Eitington, Carmen Caridad et Ramon Mercader) se retrouveront bientôt à Mexico mais, avant cela, ils passent par Paris.
Ramon Mercader a des liens à Paris avec un agent du NKVD nommé Daniel Béranger et avec sa femme. Celui-ci est déjà connu. Il avait tenté en 1935 de gagner les dirigeants des jeunesses socialistes à la politique de Moscou en faisant intervenir des jeunes des JC Russes introduits clandestinement en France.
En Amérique aussi le NKVD est implanté et suit l’activité des trotskystes qui sont organisés dans le SWP dont le congrès de fondation s’est tenu le 31 décembre 1937 et le 1er janvier 1938.
Louis F. Budenz, agent du NKVD, avait collaboré avec l’American Workers Party d’Abraham Johannes Muste avant sa fusion avec la Ligue Communiste Américaine (CLA) d’Arne Swabeck mais il a choisi de rejoindre le parti communiste et, sur l’insistance de ses dirigeants, il a accepté de se mettre au service du NKVD dans la lutte aux USA contre les « trotskystes ». Il a réussi à placer comme secrétaire personnelle de James P. Cannon une jeune femme qui transmet toute la correspondance de Trotsky au NKVD. Elle s’appelle Sylvia Cadwell et James P. Cannon ne s’est pas inquiété du fait que son mari, Zalmond Franklin, était membre du PC américain.
En 1937, Louis F. Budenz, rencontre un membre important du NKVD, le Dr Grigori Rabinowitz, qui représente la croix rouge soviétique à New York. Celui-ci le charge de convaincre Ruby Weil, jeune militante du PC américain, d’accompagner la trotskyste Sylvia Ageloff à Paris. Les deux femmes étaient autrefois liées d’amitié. Sylvia Ageloff est proche de Trotsky. Sa sœur Ruth Ageloff a travaillé au secrétariat personnel de Trotsky. Le but est que Sylvia Ageloff rencontre Ramon Mercader afin que celui-ci puisse s’introduire dans le milieu des trotskystes si possible en devenant son amant. Nous savons depuis que Ramon Mercader fut l’assassin de Trotsky mais il n’est pas certain qu’au départ le but recherché ait été clairement celui-là. La technique qui consiste à demander à un agent de faire la cour à une cible en mal de trouver l’âme-sœur est éprouvée par le NKVD. On se souvient que c’est ainsi que Gertrude Schildbach avait été retournée par le NKVD et qu’elle avait accepté de trahir Ignace Reiss. Le « profil psychologique » de Sylvia semble favorable : « Jeune femme, en quête d’amour cherche chaussure à son pied et plus si affinité ». Sylvia n’est pas un canon de beauté mais elle n’est pas pour autant particulièrement laide et, comme beaucoup d’autres, elle rêve du grand amour.
Quand Sylvia se rendit à Paris en juin 1938, dans la perspective de la préparation de la conférence de fondation de la IVème internationale, Ruby Weil effectivement l’accompagna et elle la présenta à une amie du PC américain, Gertrude Alllison, elle aussi agent du NKVD. Cette dernière va, à son tour lui présenter Ramon Mercader. Cette Gertrude Allison était bien connue des milieux communistes de New York où elle tenait une librairie. Il n’est pas certain cependant que tout ce stratagème élaboré par le NKVD visait à introduire un tueur près de Trotsky. Le fait que Sylvia était une sorte de courrier de la IVème internationale au moment où se préparait la conférence de fondation était déjà suffisamment important pour que le NKVD estime que c’était un bon plan d’introduire un agent auprès d’elle pour espionner toute la direction des trotskystes ne serait-ce que dans le but de saboter cette conférence.
Ramon Mercader se fait appeler Jacques Monard. Il devint facilement l’amant de Sylvia Ageloff et réussit à faire naître chez elle un attachement profond puisqu’elle en vint à le considérer comme son mari. Elle avala tous ses bobards. Il se fit passer pour un belge, fils de diplomate, riche, grand voyageur comptant faire une carrière dans le journalisme…

Cette idylle préparée depuis New York commence en juin 1938. C’est donc par la bonne grâce de trois agents du NKVD, Budenz, Ruby Weill et Gertrude Allison, que Sylvia Ageloff tombe amoureuse d’un quatrième agent du NKVD, Jacques Monard (Ramon Mercader) sous l’étroite suveillance de deux autres agents : Eilington et « maman Caridad ». L’affaire a depuis semblé invraisemblable à quelques personnes qui ont estimé que Sylvia Ageloff devait être, elle aussi, un agent du NKVD. Aucun argument sérieux ne vient étayer cette thèse.
Les « deux tourtereaux » ont habité ensemble à Paris jusqu’en février 1939. Sylvia est alors rentrée seule aux Etats-Unis. Ce n’est qu’en septembre 1939 que Jacques Monard la rejoindra. Mais, nous sortons là de la période qui nous intéresse. Nous en reparlerons plus tard quand nous verrons le déroulement de la conférence de Lausanne à Périgny (3 septembre 1938) puis l’assassinat de Trotsky le 20 août 1940. Contentons-nous ici de signaler que Sylvia Ageloff présenta plusieurs trotskystes à « Jacques Monard » notamment des américians qui étaient de passage à Paris dans le cadre de la préparation de la conférence de fondation de la IVème internationale comme James P. Cannon, Manuel Garrett et Nathan Gould. Il rencontra aussi des trotskystes français tels que Maria Crépeau et Rudolph Klement. Maria Crépeau, épouse d’Yvan Crépeau, a raconté sa rencontre avec Monard dans un article de France-Observateur, le 19 mai 1960. Yvan Crépeau était à l’époque un des plus importants dirigeants du POI avec Pierre Naville et Jean Rous et il avait été secrétaire et garde du corps de Trotsky à Saint-Palais. Sylvia Ageloff a aussi présenté Monard à Rudolph Klement dans les premiers jours de juillet 1938.
Pour la période qui nous intéresse, il faut encore signaler que Mercader s’est absenté dans la deuxième semaine du mois de juillet. Il a expliqué qu’il lui fallait se rendre en Belgique car sa mère avait été grièvement blessée dans un accident de voiture.
L’assassinat de Rudolf Klement
Rudolf Klement est né en 1908. Ancien militant du parti communiste Allemand (le KPD), il était étudiant en philosophie à Hambourg et militant de l'Opposition de gauche depuis 1932 quand Georg Jungclas, qui dirigeait le groupe local, le sollicita pour aller assurer à Prinkipo le secrétariat de Trotsky en remplacement de Jan Frankel puis d’Otto Schussler, à peu près au moment où Van Heijenoort était également pressenti pour ce poste. La photo ci-dessous à gauche a été prise en 1933 à Prinkipo. En haut se trouvent Léon Trotsky, Arne Swabeck et le français Pierre Franck. En bas se trouvent Van Heijenoort et Rudolph Klement. Précisons que le militant Arne Swabeck, d’origine danoise, était secrétaire national de la Ligue communiste d’Amérique (CLA), une organisation de l’Opposition de gauche aux Etats-Unis formée de militants exclus du Parti communiste à cause de leur refus de suivre son cours stalinien. Ils constitueront plus tard le Parti socialiste des travailleurs (SWP) en fusionnant avec l‘AWP (American Workers Party). Rudolph Klement connaissait déjà cinq langues et se mit aussitôt à l'étude du russe : six mois plus tard, il était capable de réaliser en allemand des traductions du russe jugées « bonnes » par Léon Trotsky pourtant particulièrement exigeant en la matière.

Gérard Rosenthal le décrit en ces termes :
« Grand, mince, un peu pâle, un peu vouté... derrière ses lunettes son regard de biche myope... comme son sourire, contraint. II parlait peu, lentement et laborieusement. II vivait de privations, sans murmures. II était réservé et effacé jusqu'à sembler timide. II était utile et régulier. »
Pierre Naville apporte des précisions :
« II etait très studieux, réservé, parlant peu et souvent nerveux. Son jeune âge lui rendait difficile l'adaptation à une situation doublement penible, car il subissait l'hostilite nazie, et l 'hostilite stalinienne en tant que trotskyste. II venait souvent chez moi, car ma femme, qui est d'origine lorraine, parle l'allemand. Elle l'aidait souvent à faire des traductions. »
II était arrivé à Prinkipo au début de mai 1933 et en repartit, avec les Trotsky et Jan Frankel, à la mi-juillet, admis par les autorités à séjourner en France auprès de Trotsky. II habita d'ailleurs avec lui pendant toute la durée du séjour légal, dans la villa de Saint-Palais d'abord, puis à la villa Ker-Monique de Barbizon. II fut l'un des délégués de la LCI (organisation trotskyste française) à la « pré-conférence des quatre » du 30 décembre 1933 à Paris. De Barbizon, il allait souvent à Paris en moto assurer les liaisons et chercher le courrier qui arrivait poste restante au bureau de la rue du Louvre.
Dans la soirée du 12 avril 1934, l'éclairage de sa moto tomba en panne. Les gendarmes de Ponthierry ignoraient la présence de Trotsky et surveillaient cette maison pleine d'étrangers qui provoquait les soupçons apeurés d'une partie de la population tranquille de Barbizon. Ils arrêtèrent Rudolf et découvrirent qu'il n'avait pas les papiers de la moto. C'est cet incident qui révéla à la presse et au public la présence de Trotsky à Barbizon et servit de prétexte à son expulsion du territoire français, le 18 avril 1934, Iaquelle devait rester sans effet d'exécution jusqu'à son départ pour la Norvège en juin 1935.
A Paris, il a appris rapidement le français et il fréquentait le groupe des émigrés allemands trotskystes. Inconditionnel de Trotsky, il guerroya contre ses adversaires du moment dans l’organisation : Vereeken, Molinier, Sneevliet. Dans ses écrits, il était décidé et offensif, souvent mordant. La précarité de sa position d'immigré réfugié politique, l’importance de ses responsabilités, aussi, le condamnaient à une clandestinité quasi-totale.
Il prit en charge le secrétariat administratif du "Secretariat international" de l'opposition de gauche. Ce travail demandait beaucoup de discrétion et de sérieux. Il rédigeait des rapports et envoyait des documents et des lettres à Léon Trotsky. Rudolf vivait modestement et même pauvrement, mais son attachement et son dévouement étaient absolu et l'aidaient à supporter une situation assez pénible à bien des égards.
Klement n'accompagna pas Trotsky dans ses séjours ultérieurs sur le territoire français notamment à Domène près de Grenoble. II se fixa à Paris, puis quelque temps à Bruxelles, avant de revenir à Paris, en fonction des déplacements du siège du SI (Secrétariat International de l’Opposition de Gauche) changeant fréquemment de pseudonyme.
Après l’assassinat de Léon Sédov, il était pratiquement seul à assurer le travail du Secrétariat International avec, principalement, la tâche de la préparation de la conférence de fondation de la IVe Internationale, fournissant un travail énorme de traduction, correspondance avec les sections, constitution de dossiers, articles pour la presse et les bulletins intérieurs. Il a assuré la convocation à la conférence par des circulaires envoyées aux sections. Plongé dans le travail interne et sur dossiers, il était plutôt isolé des militants français. Le polonais Herschl Mendel (Stockfisch) l'évoque avec amitié dans ses mémoires. II habitait Maisons-Alfort sous une fausse identité et était astreint à de grandes précautions de clandestinité à la fois du fait de sa qualité d'étranger, par rapport à la police française, et pour se protéger du Guépéou du fait de ses fonctions.
Au printemps 1938, il fit la connaissance d'un jeune Lithuanien, qui pretendait avoir organisé en Lithuanie un petit groupe d'etudiants "trotskystes" et voulait entrer en relations avec le Secrétariat international. Rudolf, qui etait très disposé à faire confiance à de nouveaux camarades étrangers, manqua de prudence. II l'amena à son domicile et lui fit même connaître certaines de nos relations dans les pays de l'Est europeen. Cet individu semblait avoir gagné sa confiance.
On trouve à posteriori l'ombre du NKVD près de lui à cette époque quand il rencontre, le nommé Monard que lui présente Sylvia Ageloff dans les premiers jours de juillet 1938 où il se fait voler sa serviette dans le métro (le 8 juillet) avec des documents dont le projet de statuts de la IVe Internationale qu'il venait de terminer. II est donc vraisemblablement repéré et suivi comme l'étaient Sedov et Reiss. Dans le contexte de l'été 1938, après les assassinats en Espagne de Wolf, de Nin, de Freund, et autres, après l'assassinat en Suisse d'Ignace Reiss et l’assassinat en février de Léon Sedov dans la clinique parisienne infiltrée par le Guépéou, on ne peut douter que la sécurité et la vie de Klement étaient alors sérieusement menacées.

Sans doute n'a-t-il pas suffisamment tenu compte de ce sérieux avertissement. Le 12 juillet 1938, il quitte ses camarades français. Ses camarades se sont inquiétés de ne pas l'avoir revu dans les jours suivants. II n'était pas à un rendez-vous le 15, n'était pas allé le 16, comme convenu, chercher son courrier à la « boite aux lettres ». Parmi ses connaissances, c’est sa concierge qui est la dernière à l’avoir vu quand il est sorti le 14 juillet. Une camarade française, Yvonne Filiâtre, loue à son nom un appartement, rue de Strasbourg à Maisons-Alfort, Pour héberger Rudolph. Elle possède le double de la clef et, inquiète, elle va chez lui le 15. Elle constate que tout est en ordre : vêtements rangés, portefeuille et passeport dans un tiroir, même un repas tout prêt attend sur la table. Simple absence ? C'est peu probable. Enlèvement ? Rien ne permet de le dire. Prudente cependant, Yvonne emporte avec elle papiers politiques et listes d'adresses.

Un magazine grand public intitulé « Police Magazine » rend compte honnêtement de l’état de l’enquête peu de temps après la macabre découverte. L’article peut être lu en agrandissant l’image ci-dessus (Pour cela, il faut enregistrer l'image et l'ouvrir dans un logiciel de dessin).
Le 16 juillet, Pierre Naville, dirigeant du POI, ainsi que Jean Rous, du secrétariat international, habitant Paris tous les deux, reçoivent des copies dactylographiées d'une prétendue lettre de Klement à Trotsky. Les lettres ont été postées la veille à Perpignan. On saura un peu plus tard que deux autres copies ont été adressées l'une au Hollandais Sneevliet, l'autre au Belge Vereeken.
Le texte pourrait avoir été écrit de sa main, mais l’adresse est rédigée « à la russe », le nom de la ville précédant celui de la rue, une habitude que n'avait pas Klement. Dans le corps de la lettre, le nom de l'américain Beals est orthographie Bills, une mauvaise translittération, normale pour un Russe. Plusieurs des éléments de la « démonstration » tentée dans la lettre révèlent des confusions sur les personnes et les positions politiques que Klement, parfaitement averti, n'a pu commettre. Enfin la lettre est signée « Fréderic », un pseudonyme utilise par Klement pendant plusieurs années, mais qu'il a totalement abandonné depuis longtemps pour celui de « Camille ». De plus, le propos comprend bien des maladresses dans lesquelles les trotskystes devinent la présence du Guépéou. Le texte est celui d'une lettre de rupture avec Trotsky et la IVème Internationale. Il fait état de la « collaboration » de Trotsky avec le « fascisme » et de la « banqueroute de la IVe Internationale ».
Le même jour donc, la direction du POI publie un communiqué de presse donnant les éléments essentiels sur la disparition de Klement et, le lendemain, décide de s'adresser publiquement au procureur de la République tout en chargeant Gérard Rosenthal (L’avocat de Trotsky) de déposer une plainte. La plainte est reçue, mais le parquet refuse la constitution de partie civile demandée par le POI.
Quelques jours après, Trotsky reçoit l'original de la prétendue lettre de Klement, postée à New York. L'expert Georges Bourgin conclut qu'il s'agit probablement d'un faux. En fait, deux hypothèses s'imposent :
- Soit Klement, enlevé, a accepté, aux mains de ses ravisseurs - et sous quelles contraintes ? - d'écrire cette lettre dans laquelle il a réussi à semer les éléments qui font douter de son authenticité, permettant ainsi à ses camarades d'agir.
- Soit Klement ayant refusé d'écrire cette lettre, celle-ci a été confectionnée par un faussaire habile, sur la base d'informations de médiocre qualité.
Dans les deux cas, il est vraisemblable que Klement a été assassiné par ses ravisseurs. II ne sera pas « produit » en Espagne au procès du POUM , une hypothèse un instant envisagée par ses amis. II ne donnera jamais plus de nouvelles à sa famille avec laquelle il correspondait jusqu'alors sans parler de ses avtivités politiques. Trotsky écrit à ses camarades français que le seul moyen de lever les doutes c'est que « Klement, s'il est toujours en vie, se montre et déclare devant la justice, la police ou toute forme de commission impartiale, tout ce qu'il sait ». Mais il ajoute aussitôt : « On peut prévoir qu'en aucun cas le GPU ne le laissera sortir de ses griffes. »
La fiction du départ volontaire et de la « rupture politique » de Klement avec Trotsky ne tiendra pas devant de macabres découvertes : le 26 août, on repêche dans la Seine, à Meulan, un tronc humain avec deux bras. Pierre Naville et Jean Rous, informés par la presse décident de se rendre sur le champ à Meulan pour tenter une identification. Ils arrivent en taxi au cimetière de Meulan au moment où le commissaire de police s’apprêtait à faire enlever le cadavre qui reposait dans une petite morgue. Ils reconnurent le corps de Klement. Les exécuteurs l’avaient décapité avec soin, soit pour égarer les recherches, soit parce que la tête présentait des traces d’un coup mortel (coup de feu ou autre). Deux jours plus tard, le 28 août, on retrouva, non loin, dans la Seine, un sac contenant les deux jambes. La police saisie de l’affaire recueillit les déclarations de Pierre Naville et de Jean Rous qui furent publiées dans les journaux.
C’est vraisemblablement le lithuanien qui se faisait appelé Kauffman qui l’a entrainé dans un guet-apens. Après le rapt, des agents du GPU se sont emparés de toutes les archives qui étaient chez lui. Le couple des Filiâtre (Yvonne et Roland) qui hébergeaient Rudolph Klement étaient les seuls à entretenir des relations personnelles avec lui. Ils ont signalé aux enquêteurs qu’il fréquentait le mystérieux Lithuanien nommé Kauffman dont le vieux bolchevique polonais Herrschl Stockfisch (ou Herschl Mendel) parle dans ses mémoires pour dire qu’il lui avait paru suspect. La police n’a pas fait de gros effort pour retrouver ce Kauffman. Celui-ci aurait quitté la France pour l’Espagne à cette époque puis se serait rendu en Belgique. Il n’a jamais été retrouvé.
Ramon Mercader est probablement intervenu dans cette affaire. Son absence déclarée à Sylvia Ageloff, juste pour cette période, serait-elle une coïncidence ? La présence à Paris d’Eitington et de Carmen Caridad del Rio serait-elle aussi un pur hasard ? Il n’est guère probable que Mercader soit venu faire la cour à Syvia Ageloff à Paris dans le but d’assassiner Léon Trotsky au Mexique alors que Sylvia vit aux USA. Si cela avait été le seul but du NKVD, la rencontre aurait été organisée probablement aux USA ou éventuellement au Mexique.
Quand le NKVD décidera d’envoyer tous ces agents au Mexique, via les USA, pour préparer l’assassinat de Trotsky, Mercader ira rejoindre Sylvia aux USA. Il lui faudra alors inventer toute une autre série de bobards quelque peu suspects pour justifier qu’il se rende dans ces deux pays. Il faudra notamment qu’il justifie l’emploi d’une nouvelle identité. Il se fera en effet appelé Frank Jacson avec cette orthographe aberrante de « Jacson » sans la lettre « k ».
L’agent Zborowski, était devenu inutile après l’assassiant de Léon Sedov. Les renseignements sur l’internationale étaient désormais dans les mains de Rudolph Klement. C’était probablement ce qui intéressait le NKVD. Ils ont réussi à s’emparer de beaucoup de renseignements mais les précautions prises par Trotsky seront suffisantes pour que la conférence de fondation puisse se tenir. Jusqu’au dernier moment son lieu restera secret. Si le NKVD est renseigné ce ne sera que le jour même et la conférence ne se tiendra que sur une seule journée si bien que, même dans ce cas, une intervention du type « Bataclan » ne sera pas possible.
Le 24 août 1938, Trotsky s’adresse au juge d’instruction chargé de l’enquête sur la mort de Sedov et lui dit qu’il ne trouvait, de la part des autorités françaises, aucun désir de faire la lumière sur cet assassinat comme sur celui de Rudolph Klement :
« Iagoda a conduit l'une de mes filles à une mort prématurée et l'autre au suicide. Il a arrêté mes deux gendres qui, par la suite, ont disparu sans laisser de traces. Le GPU a arrêté mon fils cadet, Serge, sous l'invraisemblable accusation d'avoir empoisonné des ouvriers : après quoi le prisonnier a disparu. Le GPU, par ses persécutions, a poussé au suicide deux de mes secrétaires, Glazman et Boutov, qui ont préféré mourir que de faire, sous la dictée de Iagoda, des déclarations déshonorantes. Deux autres de mes secrétaires russes, Poznansky et Sermouks, ont disparu en Sibérie sans laisser de traces. Tout récemment, le GPU a enlevé en France un autre de mes anciens secrétaires, Rudolf Klement. La police française le retouvera-t-elle ? Voudra-t-elle le rechercher ? Je me permets d'en douter. La liste des personnes énumérées ci-dessus ne comprend que les personnes les plus proches de moi. Je ne parle pas des milliers et des dizaines de milliers d’hommes qui ont péri en U.R.S.S. des mains du GPU Comme " trotskystes »
Rudolph Klement a été en effet assassiné comme des dizaines de milliers d’autres trotskystes mais dans les conditions où, préparant la conférence de fondation de la IVème internationale, l’objectif était de couper le lien de la continuité de la lutte révolutionnaire pour la révolution socialiste mondiale. Désormais, il est certain que Trotsky sera assassiné. Faudrait-il pour cela que Staline envoie un bombardier raser sa demeure ? S’il le fallait, il le ferait. Il fera d’autres tentatives et finira, évidemment, par y arriver.
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