Michael Hudson est un économiste américain, professeur d'économie à l'Université du Missouri-Kansas City et chercheur au Levy Economics Institute du Bard College, ancien analyste de Wall Street, consultant politique, commentateur et journaliste.
Ross Ashcroft Bienvenue chez Renegade Inc. Quelle que soit l'issue en Ukraine, une chose est sûre, les répercussions économiques se feront ressentir par tous dans les années à venir, alors que le monde se divise entre l'Occident et une Eurasie en pleine recomposition. Michael Hudson, c'est toujours un plaisir de vous avoir dans cette émission, bienvenue à Renegade Inc.
Michael Hudson Merci de m'avoir invité.
Ross Michael, sanctions, sanctions, sanctions, on n’entend plus que cela maintenant. On sanctionne des gens. L'Occident sanctionne un peuple pour le faire retourner à l'âge de pierre. Quelles sont les conséquences involontaires des sanctions ?
Michael Hudson Eh bien, l'une d'entre elles est de servir de protection douanière contre le pays sanctionné. Par exemple, lorsque les États-Unis ont imposé des sanctions sur le commerce européen avec la Russie, la Lituanie a consciencieusement cessé d'exporter du fromage vers la Russie. Le résultat est que la Russie a créé son propre secteur du fromage, et maintenant elle est autosuffisante en fromage. Si vous sanctionnez un pays, vous l'obligez à devenir plus autonome, et cela, dans tous les domaines. De l'agriculture aux produits laitiers en passant par la technologie, la Russie est obligée de devenir plus autonome, et en même temps de dépendre beaucoup plus du commerce avec la Chine pour les choses où elle n'est pas encore autonome. L'Amérique produit donc exactement le contraire de ce qu'elle voulait. Isoler la Russie et pouvoir ensuite s'attaquer à la Chine sans la Russie est une voie sans issue. Au lieu de cela, ce que fait l’Amérique est de permettre au noyau eurasiatique – la Russie et la Chine – de s’intégrer. C’est exactement la politique contre laquelle Henry Kissinger avait mis en garde. Et on peut même remonter jusqu'à [Halford John] Mackinder, il y a un siècle, qui disait que l'Eurasie est l'île du monde, que la Russie et la Chine pourraient être le centre du monde entier. C'est de cela qu'il s'agit. Les sanctions américaines rapprochent la Russie et la Chine, et l'Amérique a demandé à la Chine de ne pas soutenir la Russie. Plus récemment, le lundi 14 mars, Jake Sullivan a déclaré à la Chine que nous sanctionnerions les pays qui enfreignent nos sanctions contre la Russie. Et en gros, la Chine a dit : très bien. Vous savez, nous allons juste rompre tous les échanges entre l'Est et l'Ouest maintenant, et l'Eurasie est à peu près autosuffisante. L'Ouest n'est pas autosuffisant depuis qu'il a commencé à s'industrialiser, et il dépend fortement de la Russie, non seulement pour le pétrole et le gaz, mais aussi pour le palladium et de nombreuses matières premières. Les sanctions finiront donc par creuser un fossé entre les pays européens.
Ross Ceux qui appliquent ces sanctions n'y pensent-ils pas ? Sont-ils si myopes qu'ils ne comprennent pas que ces sanctions vont renforcer les capacités de la Russie, la pousser à se rapprocher de la Chine, concrétiser cette alliance économique et, en fin de compte, empêcher l'Europe de fonctionner ? Tout en sous-estimant le fait que, du point de vue de la sécurité alimentaire, le Royaume-Uni, par exemple, est un importateur net de denrées alimentaires. Sans tenir compte du fait que, par exemple, la Russie et l'Ukraine produisent chaque année 25 % – un quart – de tout le blé mondial. L'estimation pour cette année est de 102 millions de tonnes de blé russe et ukrainien. Ces gens ne se rendent-ils pas compte qu'il va y avoir une réaction en chaîne ?
Michael Hudson Oui, ils s'en rendent compte. Oui, ils y ont réfléchi. J'ai travaillé avec ces gens pendant plus de 50 ans.
Ross Qui sont-ils ?
Michael Hudson Les néoconservateurs. En gros, les gens qui sont en charge de la politique étrangère américaine. Victoria Nuland et son mari, Robert Kagan, les personnes que le président Biden a nommées tout autour de lui, de Blinken à Sullivan et tout le long de la chaîne. Ils poussent essentiellement les gens autour du « Nouveau Siècle Américain » [Project for a New American Century]. Ce sont eux qui ont dit que l'Amérique peut diriger le monde entier et créer sa propre réalité. Et oui, ils savent que cela va causer d'énormes problèmes à l'Allemagne. Ils savent que non seulement ça bloquera l'énergie dont l'Allemagne, l'Italie et d'autres pays d'Europe ont besoin grâce au pétrole et au gaz, mais que cela bloquera également l'utilisation du gaz pour les engrais, ce qui augmentera le coût de leur production d'engrais et diminuera leur production alimentaire. Ils voient ça et se disent : "Comment l'Amérique peut-elle tirer profit de tout cela ?". Il y a toujours un moyen de tirer profit de ce qui semble mauvais. Eh bien, une façon de gagner est que les prix du pétrole augmentent considérablement. Et cela profite aux États-Unis dont la politique étrangère est basée en grande partie sur le pétrole et le gaz. L'industrie pétrolière [américaine] contrôle la majeure partie du commerce mondial du pétrole, et cela explique un pan entier de la diplomatie américaine. Il s'agit d'une lutte pour verrouiller le commerce mondial de l'énergie sous le contrôle des entreprises américaines, en excluant non seulement l'Iran et le Venezuela, mais aussi la Russie.
Ross Alors que l'Europe de dirige de plus en plus vers les énergies vertes et renouvelables, les Américains doivent penser que c'est un scénario épouvantable dans la mesure où ils ne pourront plus vendre de pétrole si l'Europe devient ou veut devenir plus autosuffisante. C’est peut-être ce qui adviendra, et une Grande-Bretagne dé-carbonée, si elle y parvient. Mais le recours aux énergies renouvelables et à l'énergie solaire éliminera la dépendance vis-à-vis de l'Amérique, n'est-ce pas ?
Michael Hudson C'est exactement le point que le public européen n'a pas compris. Alors que la majorité de l'opinion publique européenne veut empêcher le réchauffement de la planète et empêcher l'émission de carbone dans l'atmosphère, la politique étrangère des États-Unis est basée sur l'augmentation, voire l'accélération du réchauffement global, l'accélération des émissions de carbone parce que c'est le commerce du pétrole. Supposons que l'Europe obtienne ce qu'elle veut. Supposons que les Verts obtiennent ce qu'ils veulent et que l'Allemagne et l'Europe s’en remettent totalement aux panneaux solaires, à l'énergie éolienne et, dans une certaine mesure, peut-être à l'énergie nucléaire. Eh bien, s'ils deviennent complètement autosuffisants en énergie sans pétrole, gaz ou charbon, l'Amérique perdrait son principal levier. Elle n'aura plus la capacité de couper le courant et le pétrole de tout pays qui ne suivrait pas la direction diplomatique des États-Unis.
Ross Donc, selon votre analyse, lorsqu'on pense à la façon dont les sanctions vont renforcer les capacités de la Russie, pousser la Russie et la Chine l'une vers l'autre, et qu’on commence à regarder celle qui est prise entre deux feux – l'UE, qui se retrouve à jouer le dindon de la farce –, en pensant à l'Amérique, l'UE est en quelque sorte victime d’une relation abusive de la part des Américains, et cela depuis un certain temps, c’est bien ça ?
Michael Hudson Eh bien, c'est vrai dans le sens où la politique étrangère de l'UE a été confiée à l'OTAN. Au lieu que ce soient les électeurs et les politiciens européens qui décident de leur politique, ils ont abandonné la politique étrangère européenne à l'OTAN, qui est en fait un bras de l'armée américaine. Donc oui, l'Europe a entretenu une bonne relation avec les Etats-Unis sur le plan diplomatique en disant toujours oui – oui, s'il vous plaît ou oui, merci – et en n'étant pas indépendante. Bien sûr, si elle était indépendante, la relation ne serait pas aussi amicale et décente.
Ross Donc, pour les pays qui sont des importateurs nets de nourriture, qui ont besoin d’électricité pour continuer à faire tourner la machine, qui ont besoin de chauffage et de pétrole bon marché, comment cela se passe-t-il ? Comment cela se présente-t-il pour le Royaume-Uni ? Comment cela se présente-t-il pour l'UE ?
Michael Hudson La vice-présidente Kamala Harris a déclaré l'autre jour aux Américains : "Oui, la vie va être beaucoup plus chère. Nos prix du pétrole augmentent et mettent les familles sous pression. Mais pensez aux pauvres bébés ukrainiens que nous sauvons. Alors encaissez cela sans broncher pour les bébés ukrainiens." Donc, en gros, les États-Unis présentent des histoires d'horreur sur l'Ukraine et disent que si vous ne souffrez pas volontairement maintenant en isolant la Russie, alors la Russie va vous écraser avec des tanks, tout comme elle a écrasé l'Europe centrale après la Seconde Guerre mondiale. Ce que je veux dire c'est qu’ils agitent le drapeau de l'agression russe, comme si la Russie ou n'importe quel pays dans le monde d'aujourd'hui avait une armée capable d'envahir n'importe quelle autre nation industrielle. Tout ce que les militaires d'un pays peuvent faire aujourd'hui, c'est bombarder des centres industriels et tuer d'autres populations. Aucune nation n'est capable d'occuper ou de renverser un pays industriel. Et les États-Unis continuent de promouvoir cette mythologie selon laquelle nous sommes toujours dans le monde de 1945. Et ce monde s'est vraiment terminé avec la guerre du Vietnam, quand l'appel d'air militaire a pris fin. Et aucun pays n'est capable d'avoir un tel appel d'air militaire pour lever l'armée nécessaire afin de combattre et de mener une invasion. La Russie ne peut pas le faire, pas plus que l'Europe ou les États-Unis. Donc tout ce que les États-Unis peuvent faire, c'est brandir des avertissements sur l'horreur que représente la Russie et convaincre d'une manière ou d'une autre l'Europe de suivre la position américaine. Mais surtout, ils ne sont pas vraiment obligés de le faire. L'Europe n'a pas vraiment de voix, et c'est ce que disent les plaintes de Poutine et du ministre des affaires étrangères Lavrov. Ils disent que l'Europe ne fait que suivre les États-Unis et que ce que veulent les Européens ou les hommes politiques européens n'a aucune importance. Les États-Unis exercent un contrôle si prégnant qu'ils n'ont pas vraiment le choix.
Ross Quand le consommateur commencera-t-il à ressentir cela ? Quand le consommateur européen ou britannique commencera-t-il à ressentir les effets de ces sanctions ? Et à quoi cela ressemblera-t-il ?
Michael Hudson Ça dépend de la vitesse à laquelle les sanctions fonctionnent. Les États-Unis ont dit : "Dans un an et demi, nous serons en mesure de fournir du gaz naturel liquéfié à l'Europe". Le problème est que, tout d'abord, il n'y a pas les ports pour traiter le gaz naturel liquéfié destiné à l'Europe. Deuxièmement, il n'y a pas assez de navires et de tankers pour transporter tout ce gaz vers l'Europe. Donc, à moins que les hivers ne soient très chauds, l'Europe n'aura pas la vie facile dans les prochaines années. Et cela ne concerne que le pétrole et le gaz. Elle dépend des matières premières que la Russie produit. Par exemple, le palladium est nécessaire pour les convertisseurs catalytiques. Le titane est nécessaire pour fabriquer les vis qui sont particulièrement utilisées sur les avions et qui sont suffisamment solides pour ne pas se déformer et se casser lorsque les vents montent et descendent et lorsqu'ils sont pleins. La Russie produit même le néon et le crypton qui sont nécessaires à la fabrication de certains appareils électroniques et de nombreux composants d'ordinateurs et de technologies de l'information. Il y a toute une série d'exportations dont l'Europe est très dépendante, et les États-Unis ont fourni à Poutine toute une liste de ces exportations, en disant : "Bon, d'accord, nous allons nous battre contre le fait que l'Europe achète votre pétrole et votre gaz, mais vous pouvez certainement nous vendre votre pétrole lourd dont nous avons besoin puisque nous ne l'achetons pas au Venezuela. Nous avons certainement besoin de la liste suivante de matériaux critiques dont nous avons besoin, comme l'hélium et le crypton. Ce sont nos points de pression. S'il vous plaît, n'appuyez pas sur eux. Eh bien, vous pouvez imaginer ce que Poutine et ses conseillers disent. Merci de nous donner cette liste des points de pression que vous exemptez des sanctions commerciales. Je pense que si vous voulez vraiment une pause dans le monde unilatéral et unipolaire, je pense que nous devrions faire une pause maintenant et voir si vous voulez vraiment vous entendre sans faire de commerce.
Ross Je voudrais juste prendre un peu de recul, si possible, et parler des changements tectoniques qui se produisent dans le monde. J'ai parlé à quelqu'un de Russie récemment et ce qu'il a dit était très simple. Il a dit que ce que nous devons faire maintenant, c'est commencer à apprendre à vivre sans l'Occident. Pensez-vous que ce sentiment prolifère actuellement en Russie ? Est-ce l'état d'esprit qui prévaut ?
Michael Hudson Eh bien, si vous lisez les discours du président Poutine, c'est exactement ce qui se passe. Et le secrétaire Lavrov a exprimé exactement le même sentiment. Il y a presque un dégoût de l'Occident et un sentiment de la part de Poutine, de Lavrov et des autres porte-parole russes, comment aurions-nous pu espérer avoir une intégration avec l'Europe après 1991 ? L'Europe n'était vraiment pas du tout de notre côté, et nous ne nous sommes pas rendu compte que l'Europe fait vraiment partie de la sphère diplomatique des États-Unis. C'est comme si toute l'Europe soutenait maintenant l'attaque contre la Russie. Le mieux à faire est de réorienter notre économie vers la Chine, l'Asie et l'Eurasie et de devenir notre propre centre autosuffisant et indépendant.
Ross Parlez-nous de la dé-dollarisation et de l'accumulation de grande quantités d’or par les Russes et les Chinois.
Michael Hudson Eh bien, Ross, vous avez demandé dans la première moitié de cette interview comment les sanctions américaines se sont retournées contre l’Amérique ? J'aurais dû mentionner ce que vous venez de dire, le dollar. Les États-Unis viennent de s'emparer de toutes les réserves de change de la Russie, tout comme l'Angleterre, il y a quelques mois, s'est emparée de tout l'or du Venezuela qui était détenu à la Banque d'Angleterre lorsque le Venezuela a essayé de dépenser cet or pour acheter des fournitures médicales pour faire face au virus COVID. Donc, en gros, les États-Unis ont dit, si un pays étranger détient ses réserves aux États-Unis ou des comptes dans des banques américaines. Si un pays du Sud essaie de payer sa dette étrangère en détenant ses réserves dans des banques américaines afin d'être l'agent payeur des intérêts de sa dette étrangère. Et si ce pays étranger fait quelque chose qui ne nous plaît pas, comme commercer avec la Russie ou permettre une plus grande syndicalisation des travailleurs ou essayer de devenir indépendant en matière d'alimentation, nous allons simplement faire ce que nous avons fait au Venezuela, ce que nous avons fait à l'Iran lorsque nous avons saisi ses réserves de change ou ce que nous avons fait à la Russie. Et cela signifie que d'autres pays voient tout à coup ce qu'ils pensaient être leur fuite vers la sécurité, ce qu'ils pensaient être leurs économies les plus sûres, leurs avoirs dans les banques américaines, les bons du Trésor américain, tout à coup, les prend en otage et représente un risque élevé. Même le Financial Times de Londres a écrit à ce sujet, en disant, comment les États-Unis, qui ont bénéficié d'un accès gratuit à l'étalon dollar pendant les 50 dernières années, depuis 1971, lorsque les pays étrangers détenaient des dollars au lieu d'or et qu'en fait, détenir des dollars signifie acheter des bons du Trésor américain pour financer le déficit du budget américain et de la balance des paiements. Comment les États-Unis peuvent-ils tuer la poule aux œufs d’or qui leur donne le champ libre ? Eh bien, la réponse est que les autres pays ne peuvent que se tourner vers l'or et qu'il existe une alternative au dollar, car tous les pays du monde se sont mis d'accord sur le fait que l'or est un actif et non un passif. Si vous détenez une devise étrangère, cette devise est un passif d'un pays étranger, et si vous détenez de l'or, c'est un actif pur. Aucun pays ne peut l'annuler, les Américains ne peuvent pas annuler l'approvisionnement en or de la Russie qui est détenu en Russie, bien qu'ils puissent s'emparer de l'approvisionnement en or russe s'il était détenu à la Banque de la Réserve fédérale de New York ou à la Banque d'Angleterre. Ainsi, d'autres pays ne se contentent pas de se tourner vers l'or, l'Allemagne ramène son or de New York, la Réserve Fédérale, en avion vers l'Allemagne, afin d'avoir son propre or, juste au cas où les politiciens allemands feraient quelque chose que les États-Unis n'aimeraient pas et que les États-Unis s'empareraient simplement de l'or de l'Allemagne. Les sanctions des États-Unis, et en particulier leur mainmise sur les réserves étrangères, ont déclenché une guerre qui divise le monde entre l'Occident et l'Eurasie.
Ross Il y a une partie technique à tout cela, car, soyons francs, c'est une guerre de l'information et c'est aussi une guerre économique. Est-ce le secteur FIRE [Finance, Insurance, Real-Estate] que vous mentionnez – c’est-à-dire le secteur financier, de l'assurance et de l'immobilier ? Est-ce qu'ils veulent continuer le privilège exorbitant de la création de crédit, parce qu'en fin de compte, si vous pensez à l'or, il n'y a pas de risque de contrepartie ? L'or est de l'or et ce depuis des millénaires. Loin d'être une relique barbare, d'ailleurs maintenant, les gens commencent à se rendre compte de la valeur intrinsèque, surtout que les crypto-monnaies s'effondrent. Pouvez-vous nous parler un peu de cela, le secteur FIRE qui veut le privilège exorbitant de créer du crédit ?
Michael Hudson C'est vraiment ce qu'est la nouvelle division du monde et la fracture mondiale. Vous avez raison, Ross. Si vous regardez après la première guerre mondiale, la lutte américaine contre le communisme soviétique, était essentiellement une lutte du capitalisme industriel contre la menace du socialisme. Mais après 1991, et surtout dans les deux dernières décennies, l'Amérique s'est désindustrialisée. Le combat n'est donc pas celui du capitalisme industriel contre les pays qui poussent leur main-d'œuvre vers le haut. C'est un combat du néolibéralisme contre le capitalisme industriel ou le socialisme à l'étranger. C'est contre le capitalisme industriel évoluant vers le socialisme. C'est la conviction que, maintenant que l'Amérique est industrialisée, comment va-t-elle contrôler l'économie mondiale ? Eh bien, elle la contrôlera par des moyens financiers en étant le créancier et les paiements de la dette des pays étrangers à l'Amérique lui permettront d'effectuer ses paiements militaires à l'étranger et de financer son déficit commercial. Mais aussi, l'achat par l'Amérique de ressources naturelles clés lui donnera des ressources naturelles quand son achat de prise de contrôle de l'immobilier va essentiellement faire des États-Unis la classe des propriétaires et la classe des monopoles, que l'Europe médiévale avait pour tenir le reste de la population en servage. Voilà en gros la stratégie américaine du néolibéralisme qui se bat contre les pays qui rejettent la privatisation et la financiarisation de leur économie, et plus précisément la financiarisation sous le contrôle des banques américaines, du capital privé américain et des banques satellites alliées et du capital anglais, français ou allemand. C'est exactement le combat. Est-ce que les banques et la finance vont contrôler l'économie mondiale ou est-ce que les autres pays vont essayer de construire leur propre économie par le travail et la formation de capital tangible ?
Ross Quelle est votre position à ce sujet ? Et je vous demande seulement de prédire l'avenir, Michael. Comment pensez-vous que cela va se passer ? Parce que la façon dont vous l'avez dépeint, ce sont les chercheurs de rente, les chercheurs de rente néolibéraux d'un côté, et les créateurs de valeur de l'autre. Et d'ailleurs, ces deux choses ne vont pas très bien ensemble, comme nous le savons. Comment cela se passe-t-il ?
Michael Hudson Même si les États-Unis sont la plus grande économie débitrice du monde, ils sont créanciers vis-à-vis du Sud et d'autres pays et ils utilisent leur position de créancier pour s'emparer de leurs ressources naturelles, de leurs biens immobiliers, de leur pétrole et de leur gaz, de leurs droits miniers, de leurs services publics et de leurs monopoles naturels, qui sont en train d'être privatisés dans les infrastructures gouvernementales. Elle devient essentiellement la classe monopoliste propriétaire du monde entier. C'est la stratégie des États-Unis, et c'est la clé de la raison pour laquelle le monde se fracture globalement. Et dans le passé, les pays du Sud ont été incapables de lutter contre cette tendance dans les années 70 et 80 avec la conférence de Vendôme. Mais maintenant que la Chine et la Russie menacent de constituer un noyau autosuffisant en Eurasie, c'est la grande menace pour le rêve américain de devenir le propriétaire et le financier du monde.
Ross Comment pensez-vous que cela va se passer ?
Michael Hudson Eh bien, la question est la suivante : si les États-Unis ne sont plus en mesure de contrôler le monde, voudront-ils vivre dans un tel monde ou préfèreront-ils le faire exploser ? Ce qui importe est de savoir si les États-Unis vont réellement entrer en guerre. Le seul levier qui leur reste est de larguer des bombes, de détruire et de faire ressembler le monde à l'Ukraine. Donc, du point de vue des États-Unis, l'avenir de l'Europe et de l'Eurasie, c'est l'Ukraine. Regardez ce que nous vous ferons si vous ne suivez pas notre politique. L'Amérique vient de déplacer Al-Qaïda très lourdement en Ukraine pour en quelque sorte répéter en Ukraine et en Europe ce qu'elle faisait en Syrie et en Libye. Et les États-Unis disent que c'est ce que nous pouvons faire. Qu'allez-vous faire à ce sujet ? Voulez-vous vraiment vous battre ? Mais le reste du monde, certainement la Chine et la Russie dit, Eh bien, nous sommes prêts à nous battre. Donc on ne peut pas dire ce qu'on va faire. Et ça se résume à des personnalités. Poutine a dit, eh bien, voulons-nous vraiment vivre dans un monde sans la Russie ? Si les États-Unis nous attaquent, autant mettre fin au monde. Les États-Unis disent : "Voulons-nous vraiment vivre dans un monde que nous ne pouvons pas contrôler ? Si nous ne contrôlons pas complètement la situation, nous nous sentons très peu sûrs de nous et nous allons faire exploser le monde. Vous avez donc cette position compensatoire dans un monde où tout le contrôle des armes a été démantelé par les États-Unis au cours des dernières années. Les États-Unis se sont retirés de tous les accords que la Russie et la Chine ont essayé de promouvoir. Et l'Europe se tient à l'écart et est apparemment prête à être l'agneau sacrifié dans tout cela, comme l'Ukraine l'est. Donc les États-Unis et la Russie disent, battons-nous jusqu'au dernier Européen. Au départ, la Russie ne voulait pas de cela parce qu'elle espérait que l'Europe et la Russie auraient un gain mutuel dans leurs relations commerciales et d'investissement. Mais maintenant, ce n'est plus le cas. Et il pourrait y avoir une guerre par procuration entre les États-Unis et l'économie européenne, pas nécessairement en bombardant l'Europe, mais en imposant des sanctions commerciales, des sanctions énergétiques, le type de perturbation que l'Europe va connaître l'année prochaine, c'est si elle perd le pétrole, le gaz et les minéraux russes et aussi, je pense, les exportations chinoises.
Ross Y a-t-il un moment où les têtes froides prévalent et où l'Occident et d'autres endroits réalisent soudainement qu'ils sont dépendants d'un point de vue de la sécurité alimentaire, d'un point de vue de la sécurité énergétique et que nous sommes dépendants ? Et y a-t-il un moment, à ce moment-là, où vous pouvez dégeler un conflit gelé en disant, en fait, si nous nous rencontrons tous les deux, si nous faisons juste un pas l'un vers l'autre, en fait, nous pouvons faire quelque chose de manière collaborative ? Maintenant, je comprends ce que vous avez dit dans le reste du programme, et je donne à cette possibilité un pourcentage d'environ trois pour cent, mais n'y a-t-il pas une stratégie pour dire, en fait, nous avons eu toutes les démonstrations de force, nous avons eu toute la confrontation, nous devrions maintenant nous asseoir autour d'une table et essayer de trouver une solution ?
Michael Hudson Je ne vois pas de têtes plus froides aux États-Unis. Ce qui est surprenant, c'est qu'ici, c'est la chaîne de droite, la chaîne républicaine Fox News, qui est la seule chaîne à prendre position contre la guerre et à dire que nous ne devrions pas être en guerre en Ukraine. C'est la seule chaîne qui parle de la façon dont la Russie voit le monde. Voulons-nous vraiment adopter une perspective unilatérale ou voulons-nous voir la dynamique réelle à l'œuvre ? Ce sont donc les Républicains et l'aile droite qui sont maintenant principalement contre la guerre de l'OTAN en Ukraine. L'aile gauche semble être tout à fait pour, mais l'aile gauche du parti démocrate est au pouvoir et je ne vois pas du tout de têtes plus froides au sein du parti démocrate. Et je connais beaucoup de ces gens depuis plusieurs décennies, et ils sont prêts à aller à la guerre jusqu’à la mort. Ils sont encore dans le monde de la Seconde Guerre mondiale, quand la lutte était contre les nazis et l'antisémitisme. Ils vivent toujours dans une sorte de monde mythologique, pas dans le monde réel. Et la pensée que le monde peut prendre fin n'a pas de réalité pour eux ou, comme l'a dit Herman Cain, quelqu'un va survivre.