Chris Ware, toujours !
- 8 janv. 2021
- Par Jean-Jacques Birgé
- Blog : Miroir de drame.org
À l'occasion de la parution de Rusty Brown, nouvelle œuvre géniale de Chris Ware dont le format rappelle Jimmy Corrigan en plus épais, récit choral à lire à la loupe ou avec un microscope, je republie mes articles de 2007 à 2018 sur ce maître de la bande dessinée...

LES ÉLUCUBRATIONS
Article du 20 décembre 2007



BUILDING STORIES
Article du 21 novembre 2014

Building Stories enfonce le clou en laissant le lecteur tracer son chemin parmi les 14 fascicules de tailles différentes contenus dans le grand coffret cartonné. Libre à chacun de construire le récit de la vie de cet immeuble où les questions familiales peuvent sembler étouffantes. Chris Ware raconte ses histoires de manière morcelée, souvent énigmatiques, comme des séances de psychanalyse. Au troisième étage la locataire est une femme qui a perdu une jambe dans son enfance lors d'une promenade en bateau. Au second un couple passe son temps à se chamailler et au premier réside la propriétaire âgée. La femme du troisième revoit sa vie, se considérant comme une artiste ratée, devient mère, desperate housewife regrettant son premier amour qui l'a quittée après un avortement. L'histoire est évidemment beaucoup plus complexe et abracadabrante, marquée par l'influence de Marcel Duchamp et de sa Boîte-en-valise, construction savante de pertes qui me rappelle la sublime introduction de l'opéra Lost Objects de Bang on a Can. Perte de foi, perte d'amour, perte d'argent, perte de poids, perte d'un membre, perte de mémoire, perte de sens...
Chris Ware rejette les tendances actuelles de la bande dessinée trop influencée à son goût par le cinéma et le roman-photo. Ses cadres sont dictés par la typographie. Ses narrations sont circonlocutoires, souvenirs reconstruits d'une époque à moitié oubliée. Le rêve y est aussi réel que les faits. Seul vaut leur interprétation. Chris Ware préfère se référer à Windsor McKay, Joseph Cornell et aux comics des années 50 pour avancer dans son œuvre si méticuleuse qu'elle peut paraître froide avant que l'on y pénètre sérieusement. Comme Crumb avec sa collection de 78 tours de vieux blues il vit dans le monde musical des ragtimes qui marquent la structure angulaire de son jeu de cubes. Cette nostalgie du temps passé résonne avec sa quête généalogique qu'il recompose dans une forme résolument contemporaine. Pathétique, son humour est forcément pince-sans-rire.
Building Stories est à double sens. Ce sont les histoires d'un petit immeuble livrées au lecteur pour qu'il se les construise à sa guise. C'est au nombre de ses interprétations que se révèle un chef d'œuvre.
→ Chris Ware, Building Stories, Delcourt, 69,50€
LE PAVÉ
Article du 7 février 2018

Que dire de cette monographie que je n'ai déjà révélé dans mon article sur Les élucubrations de Chris Ware ? Qu'il y a à boire et à manger, mais l'entendre comme une mine insatiable de mets et breuvages plus surprenants les uns que les autres ! Qu'il faut de bonnes lunettes pour en apprécier tous les détails... Que chaque double page mérite l'achat. Que 50 euros pour cette montagne c'est donné. Que l'on y apprend que l'homme n'est pas à l'image des ses héros. Que le quotidien recèle les plus belles surprises de la vie. Que Ware sait le traduire mieux que quiconque en un rêve halluciné. Que sa critique du monde est évidemment toute en nuances. Que c'est un portrait forcément terrible de l'Amérique. Qu'il n'y a rien de surprenant d'y trouver un zootrope. Que tout cela ressemble à une énorme encyclopédie que l'on peut lire en l'ouvrant à n'importe quelle page. Émerveillement garanti.
→ Chris Ware, Monograph, relié, couverture cartonnée, version anglophone, ed. Rizzoli New York, à partir de 50€
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