
Quant à la vie de tous les jours, quotidien incroyable des habitants de Sarajevo pendant le siège qui dura près de quatre ans, constitué de système D, de réflexions philosophiques et d'une inclination indispensable pour la poésie sous toutes ses formes, il faudrait absolument revoir les 120 épisodes de la série Chaque jour pour Sarajevo - Chroniques d'une rue assiégée, en anglais A Street Under Siege, imaginée par Patrice Barrat et coproduite par Point du Jour, Saga et la BBC. Neuf réalisateurs se succédèrent pour tourner autant de très courts métrages de deux minutes diffusés chaque soir dans toute l'Europe avant le Journal. La production avait choisi d'envoyer des réalisateurs et non des reporters de manière à générer un regard autre que celui des journalistes. Parmi ces miniatures, Patrice Barrat, Corinne Godeau, Ramdane Issaad, Philippe Baron, Baudoin Koenig, José Maldavsky, Serge Gordey, Gonzalo Arijon, avec le soutien d'Ademir Kenovic, réalisèrent quelques chefs d'œuvre, mais tous les épisodes font sens et ne ressemblent à rien d'autre. Un hymne à l'humanité qui se moque des brutes épaisses venues faire des cartons le week-end comme on va à la fête foraine. J'étais le troisième à partir dans cet enfer et je réalisai, entre autres, un jour de colère, Le sniper, première fiction tournée là-bas pendant le siège. J'ai beaucoup écrit à mon retour et dirigé le disque Sarajevo Suite avec une quarantaine d'artistes et de musiciens autour des poèmes d'Abdulah Sidran. Le retour à la normalité des Sarajéviens, redevenus semblables à nous avec le temps, m'a permis de rompre le lien pathologique qui me reliait à la ville martyr, mais chaque fois qu'est évoquée cette période historique qui marqua la fin de l'Europe telle que nous aurions pu la rêver et le blanc-seing à toutes les horreurs commises depuis je scrute dans le regard de mes condisciples la leçon qu'ils auraient pu en tirer.
Sarajevo, Street Under Siege © TVMyCentury
Difficile d'être juge et parti alors que j'appartiens à l'équipe qui reçut en 1994 un BAFTA (British Academy Award of Film & TV Arts) et le Prix du Jury au Festival de Locarno à titre collectif (sur le Net je n'ai trouvé que des extraits montés et tronqués, comme ci-dessus, mais cela donne tout de même une petite idée). Témoin d'une bascule déterminante de l'Histoire, je suis d'autant plus sensible à tout ce qui y a trait, témoignages bouleversants, manipulations odieuses, révélations renversantes, interprétations artistiques. J'ai aussi du mal à confondre une approche anecdotique avec ce que les anecdotes peuvent apporter à un point de vue d'auteur qui ne saurait jamais être neutre ni manichéen. Plus de vingt ans après les évènements, on serait en droit d'attendre un regard neuf !
Que cela ne vous empêche surtout pas de regarder Le siège en replay sur Arte+7 jusqu'au 29 mars et de vous faire votre propre idée !
Photo © Milomir Kovacevic
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