TRIBUNE DU 2 JUIN 2020
Bonjour à toutes et à tous
Ma tribune du 10 Mai dernier, franchement et « entre nous », je ne pensais pas qu’elle est autant d’impact. Elle a été reprise par de multiples réseaux, puis fut publiée quelque peu raccourcie par le JDD une semaine après sa parution sur cette page dédiée de Police République et Citoyenneté.
Je le répète, notre collectif créé fin 2017, rassemble déjà aujourd’hui 2211 abonnés En grande majorité, nos abonnés sont des policiers actifs ou retraités, pour la plupart des anciens du Syndicat Général de la Police, mais aussi d’autres citoyens : pompiers, ouvriers, personnel soignant, enseignants, intermittents, réalisateurs, acteurs, auteurs, et j’en passe. Nous avons même quelques gendarmes et des membres du corps préfectoral, c’est dire notre diversité . Nous avons tous un point commun : nous sommes attachés à l’histoire de la Police Républicaine . Nous nous définissons comme « républicains pratiquants » tellement ce mot République est aujourd’hui usurpé, galvaudé notamment depuis que ceux qui étaient censés défendre ses valeurs les ont reniées.
Notre intention est aussi de tout mettre en œuvre pour imposer aux pouvoirs publics un plan massif l pour l’ensemble du service public. Augmentation des salaires, recrutement d’effectifs en grand nombre, augmentation des moyens matériels. Et personne ne nous empêchera d’amplifier ce combat. Car nous voulons éviter le pire et pour éviter le pire nous devons tous ensemble résister et exiger de façon collective un autre modèle économique et social que celui qui a fomenté le chacun pour soi, le communautarisme, divisé le peuple de France et nous a conduit depuis des années dans l’impasse dans laquelle nous sommes .
Cette tribune a été partagée sur les deux vidéos au total 1335 fois, elle a été lue par 64 700 personnes, et elle a suscité 369 commentaires. Objectif donc atteint puisque le but était de remuer quelque peu le bocal quelque peu anesthésié du moment, d’attirer l’attention du plus grand nombre sur la situation de crise grave que traverse notre Pays, et de provoquer le débat. Premier pari gagné ! Et ce n’est pas terminé .
Nous ne sommes ni un syndicat, ni, pour l’instant, une association. Nous ne sommes pas contre les syndicats, évidemment, mais nous avons pour ambition de leur montrer quelque peu le chemin et de leur faire profiter modestement de notre modeste expérience. Tous nos abonnés sont de toutes obédiences mais ils ont tous la République et le Service Public chevillés au corps.
Depuis la parution de cette première tribune , des anciens secrétaires généraux du SGP, de la FASP, du SNPT, du SNIP et du Syndicat National des Officiers se sont exprimés sur nos colonnes. Un membre fondateur de l’ UNSA Police en a fait autant. La région IDF du Syndicat Unité SGP Police , par la voix de son porte parole et responsable départemental de Paris, est venu enrichir de fort belle manière le débat. La FSU intérieur nouveau syndicat membre de la puissante Fédération Syndicale majoritaire chez les enseignants a tenu également, par la voix de l’un de ses principaux responsables s’exprimer . Vigie Police nous a r également envoyé sa position que nous publierons et nous avons surtout partagé la courageuse position d’un syndicat de commissaires, en réaction avec l’affaire Floyd dont nous avons reparlé, sur le racisme non seulement au sein de l’institution mais aussi au sein de la société. Linda Kebab nous a régalé d’un post le 27 mai pour nous rappeler aussi que des policiers, notamment du Syndicat Général de la Police, à la même date mais en 1943, faisaient partie du Conseil National de la Résistance . Linda, elle fait l’objet d’attaques, d’insultes, en tant que femme et en tant que militante, c’est inadmissible. Elle a tout notre soutien . Une ancienne Policière capitaine de police, Agnès Naudin, aujourd’hui auteur, a également participé en publiant une tribune parfaitement écrite dans « les jours heureux » et relatant son histoire personnelle. Des collègues, des militants comme Pascal Vales, continuent par centaines à participer au débat et à l’enrichir. Super !
Je me suis livré à un exercice quelque peu périlleux mais au final très instructif et très sympa avec un pro, Denis Robert, sur « Le Media » 35 000 vues en une seule journée. Le message est passé, au-delà de la petite sphère « police » On est sorti du véhicule de patrouille. Le flic c’est d’abord un citoyen Ce n’est pas un aristo ou un boulangiste qui ne pense qu’à sa gueule et reste coincé dans son uniforme ou sa prison systémique
Voyez, nous avons en tout cas réussi je pense à remuer un peu l’endormissement actuel et j’espère que notre militantisme, sans prétention, permettra de faire avancer les choses , de mettre en avant toujours et encore la bonne image de la Police et d’apaiser un climat et une situation de crise sociale particulièrement tendus. J’ai dit craindre une fronde sociale, un terrible et nouvel affrontement . Ce Samedi 6 Juin, je signe et je persiste.
Lorsque 20 000 jeunes issus de toutes les couches sociologiques se rassemblent spontanément devant le palais de justice pour dire non au racisme , ce n’est pas le cas Traoré qui est mis en exergue. Sur ce sujet laissons et faisons confiance à la justice de notre pays. Ce qui est ici révélé, c’est le mal être et le malaise de toute une société et de celles et ceux qui vont ériger son avenir.
Rien ni personne ne nous fera taire. Nous sommes encore en démocratie que je sache et je le dis tout de go, toute tentative d’intimidation est nulle et non à venue. Au contraire, l’affrontement démocratique, ça nous stimule. Et après nous, il y en aura d’autres. La voix qui monte des fers parle toujours pour les lendemains.
Moi , franchement, j’ai autre chose à faire que de débattre ou de blablater dans la cour de récréation ou de jouer aux billes avec des diviseurs . Par contre, si le Ministre de l‘intérieur veut débattre avec un vieux cacochyme comme moi sur n’importe quelle chaîne de télévision sur le devenir du service public de sécurité, la revalorisation sociale du Policier et la doctrine de maintien de l’ordre, je suis tout à fait disposé à le faire. Je lance l’invitation publiquement à Monsieur Castaner, à Monsieur Lallemend ou à quiconque aura le courage de relever le défi. Des candidats ? .
Depuis que nous avons secoué le bocal, Monsieur le Préfet Lallemend a fait une lettre très paternaliste aux policiers sans leur promettre bien entendu l’essentiel. C’était du genre « je vous aime, mais vous n’aurez rien » ! Depuis toutes nos prises de positions, sans doute le hasard, monsieur Nunez, puis Monsieur Castaner ont pris des positions fortes contre le racisme et nous nous en réjouissons. Mais ce n’est qu’un début comme dirait l’autre. Attendons de voir ce qui va se passer. Attendons de voir si nous allons changer de modèle. Attendons de voir si tous ces effets de manche ne sont pas que de la poudre de perlinpinpin…
Autre précision cependant qui a son importance. Nous ne sommes pas à la solde d’un parti . Et nous serions les plus heureux si ce gouvernement changeait vraiment de cap . Car faute de réussir, ceux qui nous dirigent aujourd’hui risquent fort de faire le lit du pire. Et ce pire, nous n’en voulons pas.
Un conseil amical . Demain de nouveaux incidents dans les manifs ? Demain toujours plus de répression et un drame ? amis policiers, dites à nos décideurs, dite à Mr Le Préfet d’aller s’expliquer eux-mêmes sur les ondes ou dans les médias Ne soyez pas à la solde d’un système qui vous détruit et vous asservit . Les valeurs du SGP, sont celles de la résistance, du combat. Pas celles de l’accompagnement et de la collaboration !
A la demande de beaucoup d’entre vous, moi ou d’autres ferons donc au moins une fois par mois ce type de tribune. Et encore une fois, nous sommes ouverts aux débats et nous publierons vos papiers, vos vidéos ou vos commentaires dès lors qu’ils seront respectueux et n’attiseront pas la haine.
Mon livre « Police en Péril », sort le 25 Juin prochain. Je salue ici mon très bon éditeur « Le Cherche Midi » et toute son équipe qui m’a accompagné dans ce qui ne fut pas toujours un« long fleuve tranquille ». Ecrire un livre n’est pas un exercice facile surtout pour un Gardien de la Paix comme moi. Pour Attali, Max Gallo, et d’autres, c’est la routine. Pour moi, disons que c’est un peu plus compliqué.
Dans ce livre, sur lequel j’ai bossé presque un an, en collaboration avec Agnès Naudin, j’aborde , au-delà du profond malaise que traverse notre institution, ce que j’appelle « le pitoyable exemple américain » . Nous voilà en plein dans l’actualité. Communautarisme, multiplication des polices, culture de la violence, répression à outrance mais…désordre total ! Un exemple à ne pas suivre ! Avec l’affaire Floyd, l’histoire une nouvelle fois vient d’éternuer. Mais souvenez vous…
C’était le 29 avril 1992, à Los Angeles. Un jury composé de dix blancs, un asiatique et un latino acquitte quatre officiers de police blancs qui venaient de passer à tabac un automobiliste de couleur. Il s’appelait Rodney King. S’’en suivront 6 jours d’émeute, 55 morts, 2300 blessés et quelques dommages matériels s’élevant à l’ époque entre 800 Millions et 1 Milliard de dollars .
55 morts pour rien puisque sous l’effet de la pression populaire, les quatre policiers auteurs de violences illégitimes écoperont finalement de trente mois de prison .
55 morts pour rien puisque la prolifération des armes et le système américain empreint d’histoires de cow boys et de Sherifs etme ultra sécuritaire limite pour être gentil ségrégationniste, barbare, n’a pas changé .
A Chaque fois, l’image des Polices Américaines, car parler de Police Américaine au singulier est un non sens, l’image de l’uniforme véhiculée est celle du racisme dans la société du KuKuxKlan, des pots à Trump qui veulent construire des murs plus stupides que le mur de berlin et plus longs que la grande muraille de Chine. Une société du chacun pour soi, de l’individualisme ou seule la rentabilité compte. Voilà c’est fait , j’ai lâché le mot : rentabilité !
En matière de sécurité, l’Amérique nous a donc montré et nous montre encore un modèle pas très glorieux et surtout, à ne pas suivre. Et bien ce modèle de division, de jungle ou le plus fort écrase le plus faible, ce modèle de l’exclusion et de l’abîme sociale, c’est celui que nous élus de droite et de gauche ont choisi à quelques rares exceptions de vénérer et de copier depuis quarante ans ! Nous avions pourtant un modèle propre à nos racines et à notre histoire. Nous avions pourtant des services publics enviés du Monde entier. Et bien , de par leur soumission à l’Empire de l’argent roi, les socio démocrates se sont mués en sociaux libéraux, et les libéraux à la solde de ce que l’on appelle pour faire bien « I.Libéralisme » ont sacrifié notre modèle républicain sur l’Hôtel de leurs reniements successifs.
« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage »
Désengagement de l’ Etat, privatisation, multiplication des polices, territorialisation anarchique, et j’en passe….Jaurès et De Gaulle se sont déjà retournés plusieurs fois dans leurs tombes. Et pour cause. Là où eux savaient dire « Non », nos dirigeants à la solde de l’ Oncle Sam et des puissances de l’argent ont dit « Amen » !
Dans la police, cette copie conforme du modèle américain se traduit de la façon suivante. La politique du chiffre, la culture de résultat, la division, et ce que l’on appelle « le new management » . Puisque à ce jeu vous le savez, on y perd aussi notre propre langue.
Oh la « bâtonnite », « les bûchettes » comme on dit dans le jargon policier, ils existaient déjà dans les années 80… à l’époque où ce que j’appelais « les fantomas » du ministère de l’intérieur ont marqué la Place Beauvau par leur incompétence. Lorsque j’étais flic à Beaujon, au sein de la première compagnie d’intervention, puis « place des petits pères » sur le deuxième arrondissement parisien, c’est la politique du chiffre qui déterminait, déjà, la notation et la carrière du Gardien de la Paix. A chaque fin de service, on devait remplir des « CRA » (attention je vous préfère vous prévenir, dans la Police on est pas les rois du cirque, en tout cas, pas encore, mais on est les rois du sigle) . Et gare si on avait des CRA moins fourni que les précédents. La course à l’échalotte, sans Claude Zidi, Pierre Richard, salut le gruissanais, Jane Birking ou vladimir cosma, on connaissait . On verbalisait toujours plus, on allait rue du sentier, ou rue d’aboukir, on « serrait » sur ordre des étrangers en situation irrégulière, lesquels poussaient quelques chariots de tissus, et ce pour quelques pièces données gracieusement par des marchands sans scrupules et non sanctionnés. On les conduisait au poste, ils étaient libérés. Le lendemain, on reprenait les mêmes et on recommençait. Ca devenait presque un jeu. Un jeu stupide où il n’ a que des perdants, mais un jeu. Sauf qu’on ne joue pas avec la liberté et avec la vie des gens.
Oui dans les années 80, le gardien de la paix était déjà jugé pour la quantité et non la qualité du travail qu’il faisait Rentabilité, rentabilité vous dis je….
Une rentabilité qui dans la continuité des choses a été inscrite dans le marbre législatif en 2004 avec la « R.C.C ». un autre sigle, la Réforme des Corps et des carrières. Dans la maison police, rien de nouveau ! Cette réforme s’inscrit dans le prolongement et finalise pour l’essentiel L’application de la loi Pasqua de 1995. Mais une chose change et elle est de taille. Le fait précédent le Droit, le « nouveau management made in USA » de la sécurité légalise officiellement la » culture de la performance »
Voici venu le temps de la rationalisation gestionnaire et de la nouvelle gestion publique. Le pouvoir d’alors souhaite que la Police soit le laboratoire de tout le service public. Autrement dit ce « New Public Management » sera désormais l’épine dorsale de l’ensemble du service public français.
Non seulement ce que l’on appelle « les indicateurs d’objectifs » permettent d’évaluer le travail du gardien de la paix à postériori, mais ils définissent à priori les objectifs à atteindre pour ce dernier.
Ces objectifs à atteindre sont
- Le nombre d’interpellations
- Le nombre de délits routiers
- Le nombre d’élucidation des délits de voie publique
Dans les faits, ces indicateurs d’objectifs renforcent une logique d’action plus répressive. Ils conduisent au « saute dessus » quoi qu’il en coûte. Des fumeurs de joints, on saute dessus. Un étranger en situation irrégulière, on saute dessus. L’avantage, c’est que statistiquement, c’est plus rentable
Lorsque l’on constate une infraction à la législation sur les stupéfiants ou une infraction sur la législation relative aux étrangers, c’est une infraction constatée, mais aussi un fait automatiquement élucidé. Tout va très bien madame la Marquise de l’inutile. Et pendant ce temps, les problèmes d’intégration ne sont pas réglés, notre machine à intégrer est en panne, les trafics de came continuent Le trafic de stupéfiants est le premier marché criminel en France Il représente un chiffre d’affaires entre 3 et 4 milliards d’euros Le narco banditisme et son cortège de règlements de compte se poursuit. On a remplacé l’OCRTIS (office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiant) par l’ OFAST ( Office anti stupéfiants) Comme pour la Pol Prox, on prend exemple sur les Iphones Prox 1 , Pol prox 2 et ainsi de suite, on change de sigle C’est la spécialité des technocrates qui ne font rien que de nous laisser croire qu’il font quelque chose et s’inscrivent dans la continuité conservatrice en nous laissant imaginer un changement subliminal .
De par cette notion de rentabilité, avec ses indicateurs d’objectifs et cette culture du résultat, l’activité policière se concentre sur une intensification des contrôles Ce qui a pour seul mérite d’attiser toujours plus les tensions et de provoquer parfois des incidents que l’on sait et qui défraient pour le plus grand bonheur des extrémistes, la chronique de seconde zone
De la même façon tu prends si tu peux une mission à Calais, tu va te taper quelques dizaines d’ ESI par jour, tu seras dans le moule et tu pourras percevoir ta P.R.E. (prime de résultats exceptionnels) Cette logique de « rentabilité » ne bénéficie qu’à un fonctionnaire sur trois et elle est sanctionnée par un système de primes inégalitaires. Moins tu es gradé moins tu touches ! Logique lorsque c’est toi qui est sur le terrain en train d’en prendre plein la gueule non ? .
La P.R.E. Prime de résultats exceptionnels est inégalitaire, source de division au sein de l’institution. Il faut mettre un terme à cette logique ultra libérale en matière de sécurité .
Pour rendre le service public attractif , celui de la sécurité comme celui de la santé ou de l’enseignement, ou autre, il faut des augmentations de salaires conséquentes , il faut des effectifs et il faut plus de moyens. Et c’est tous ensemble et non les uns contre les autres qu’il faut se battre .
Aux Etats Unis, un mauvais modèle sécuritaire des flics se sont mis « debout dans la solidarité », des policiers ont symboliquement posé un genou à terre en soutien avec les manifestants. Ils ont ré-haussé l’image de la police américaine . C’est un bon exemple à suivre, pour un mauvais modèle que l’on a hélas copié et qui nous conduira, si nous n’y prenons garde aux mêmes résultats
Demain sera une journée de crise, comme le seront nous l’avions dit dans nos tribunes, les prochains mois de la rentrée prochaine. Le peuple ne baissera pas la garde. Les policiers doivent êtredignes et être solidaires de leurs doléances. Les Policiers n’ont pas à être les boucs émissaires ou les pompiers du mal être social.
N’oubliez pas chers collègues
La police n’a pas à être en guerre contre le peuple dont elle est issue
N’oubliez pas citoyens,
Les policiers sont des femmes et des hommes, comme vous, qui ont les mêmes problèmes que vous.
Que personne ne se trompe d’ennemi
N’oubliez pas chers collègues,
Le préfet Lallemend qui vous donne des ordres à Paris est le même qui au Sénat ose dire que pour que vous ayez des samedi en famille, l’idéal serait qu’il n’y est plus de manifestations sans que cela ne suscite l’indignation . Tu parles d’une trouvaille démocratique C’est du foutage de gueule ! Alors ne soyez pas les exécutants d’ordres illégitimes. N’obéissiez pas à des ordres contaires à l’intérêt général C’est le code de déontologie qui vous impose ce devoir
Militons tous unis pour le respect de l’ordre républicain mais pour une gestion démocratique des foules contestataires
Et continuez à nous faire remonter toutes les informations .Soyez en assuré, nous en ferons bon usage !
Bon week end et courage pour celles et ceux qui demain vont encore servir d’exutoires et de chair à canon aux architectes de la fracture sociale
« Face aux grands périls le salut n’est que dans la grandeur »