GARDIENS DE LA PAIX, NOUS AVONS ETE,
NOUS SOMMES ET DEVONS RESTER
Je prends la parole aujourd’hui d’abord en mon nom propre, en tant qu’ancien syndicaliste policier qui a eu l’honneur d’être Secrétaire Général du Syndicat Général de la Police (S.G.P) et de la Fédération Autonome des Syndicats de Police ( F.A.S.P)
Mais je prends aussi la parole au nom de nombreux collègues en activité avec lesquels je suis en contact, notamment au sein du Collectif « Police République et Citoyenneté ».
Cette prise de position est hélas indispensable, car il y va du caractère républicain de la Police nationale.
Outre la tragédie humaine, la crise sanitaire du Covid-19 va sans doute, progressivement, accélérer la déflagration économique et politique de notre société. Et, à n’en pas douter, elle va provoquer de plus une crise sociale de grande ampleur. Cette conjoncture peut entraîner très vite, une nouvelle fois, des troubles et des violences. De fait, encore et encore, les Forces Publiques de Sécurité seront essentiellement utilisées pour des missions de maintien de l’Ordre.
Or, la période relative au confinement a été précédée par plus de quinze mois de guerre sociale larvée.Aux actions des « gilets jaunes » a succédé le mouvement pour « la défense des retraites ». Ces deux mouvements étaient soutenus par une majorité de la population. Lors des manifestations, la Police et gendarmerie ont été confrontées à des actes de violences qui ont envenimé, avec de nombreux blessés graves, la situation.
Alors minoritaire dans l’opinion et souvent isolé, l’exécutif semblait parfois être au bord de la rupture, ne pouvant plus compter que sur la Police et la Gendarmerie pour maintenir le cap qu’il s’était préalablement fixé.
Cette situation fondamentalement malsaine a engendré un dégât collatéral : l’image de marque de la Police Républicaine et celle des « Gardiens de la paix » a été fortement altérée. En effet, aux yeux de beaucoup de Français, celle-ci a pu apparaître principalement comme une sorte de « garde prétorienne » d’un pouvoir aux abois.
Après avoir été touchées au visage par un tir de L.B.D.[1] , une personne est décédée et vingt- trois autres ont perdu l’usage d’un œil. Ainsi et fort logiquement, la doctrine de maintien de l’Ordre employée et le durcissement de la répression ont eu de terribles conséquences sur les rapports entre la police et la population. Au fil des événements, le capital de sympathie de cette dernière envers les « Gardiens de la paix » s’est réduit comme peau de chagrin.
En vérité, le pouvoir a une nouvelle fois utilisé, par ce qui fut considéré comme une forme de « terreur d’Etat », la Police Nationale et le maintien de l'ordre pour régler une contradiction qu’il n’avait pas su ou pas pu résoudre sur le plan politique.
Les dernières images caractéristiques que nous gardons en mémoire de cette tension extrême sont celles de l’affrontement entre policiers et pompiers.
Tous les Français ont été effarés et consternés par cette bataille rangée entre deux corps au service de la sûreté du peuple. Les retraites des pompiers tout comme celles des policiers, étaient pourtant menacées. Pompiers et policiers interviennent tous les jours ensemble. Alors, comment en est-on arrivé là ?
Depuis l’épisode du confinement, le personnel soignant, aujourd'hui applaudis tous les soirs à 20 H , les caissières de supermarché, les routiers, les éboueurs, qui pour beaucoup ont soutenu hier les « gilets jaunes » et les manifestants contre la réforme des retraites sont enfin perçus à leur juste valeur et comme des travailleurs socialement indispensables. Il y a quelques mois, ils n’ont eu pour seule réponse à l’expression de leurs doléances que la répression.
Dans un arrêt du 23 Mai 2019 la Cour Européenne des Droits de l’Homme a stipulé que les autorités françaises n’ont pas respecté l’obligation découlant de la convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme. La France a été condamnée par cette instance pour violation du Droit à la vie.
Suite aux nombreux blessés graves lors des récents mouvements sociaux, , des cours de justice internationales sont saisies. Et, demain, comme d’habitude, les responsables politiques se défausseront de leurs responsabilités sur les « Gardien de la Paix ».
Il est donc des moments où il faut prendre ses responsabilités et prendre date pour l’avenir.
Dans les mois à venir, le pouvoir politique doit agir autrement ! Oui, le gouvernement doit cesser d’user et d’abuser, de ses « Gardiens de la paix » pour passer en force contre la volonté du peuple, « quoi qu’il en coûte » !
Le syndicalisme policier républicain, et en particulier son organisation historique le Syndicat Général de la Police, a toujours œuvré pour les Droits de l’homme et du citoyen.
Ce fut le cas, entre autres, pour l’unité du peuple français dans la Résistance, ce fut le cas pendant la guerre d’Algérie, ce fut le cas en mai 68.
La Police Républicaine et ses « Gardiens de la paix » doivent agir, dans le cadre d’une démocratie renouvelée, conformément à la volonté générale du peuple souverain.
Si l’emploi de la Force Publique, dès lors qu’il est institué pour l’avantage de tous et non l’utilité particulière de ceux à qui il est confié est bien sûr légal, il doit être aussi légitime !
Les Policiers Républicains ne sont pas des mercenaires. Ils n’acceptent pas de percevoir une aumône pour accomplir des actes contraire à la déontologie qui leur est impartie. Ils n’ont à être ni les boucs émissaires ni les pompiers du mal être social.
Déjà dans l’obligation pour leur sécurité et celles de leur famille de cacher leur identité, de dissimuler leur vie privée, ils refusent que leurs enfants soient demain montrés du doigt. Le mal être de nos collègues généré par un management inhumain ayant pour seules caractéristiques la division, le rendement à outrance, l’absence d’écoute et le manque de reconnaissance sociale, ne doit pas être aggravé par l’effacement total de leur citoyenneté.
Le Policier n’a pas à se laisser dissocier du peuple dont il est lui-même issu !
A ce titre, Policiers et Gendarmes doivent donc loyalement et conformément à la déontologie qui leur est impartie, exécuter leur mission et faire respecter l’Ordre Républicain partout et en tous lieux, notamment dans ces zones de non droits devenues aujourd’hui « zones d’un autre droit ». Mais ils ne doivent pas obéir aux ordres manifestement illégaux qui sont de nature à compromettre gravement un intérêt public ![2]
Entre citoyens, la concorde doit l’emporter sur la division. Et ce qui nous rassemble doit être plus fort que ce qui nous divise.
Pour que la Police puisse « Garder la paix », le pouvoir doit trouver la voie du dialogue social. Une décision minoritaire telle qu’elle soit ne doit pas être imposée par la Force.
C’est notre seule chance de traverser tous ensemble et sans encombre les moments difficiles qui nous attendent.
Enfin, il doit être mis fin à la paupérisation du Service Public. Il faut changer de modèle. Une refondation du Service Public en général et une grande réforme du Service Public de Sécurité en particulier s’imposent.
Parce que les Services publics sont le garant des principes de liberté, d’égalité et de fraternité.
Jean-Louis ARAJOL [3]
Collectif « Police République et Citoyenneté »
Auteur de "Mais que fait la Police" Editions Minerve 1995, "Police une affaire d'Etat" Editions J.M Laffont 2002, " Police en péril " à paraître aux éditions du Cherche Midi le 25 Juin 2020
[1] Lanceur de balle de défense, arme intermédiaire entre la matraque et l’arme de poing.
[2] Code de Déontologie de la Police Nationale et de la Gendarmerie Décret du 4 décembre 2013
[3] J.L. Arajol / Ancien Secrétaire Général du S.G.P et de la F.A.S.P . Ancien Conseiller de PARIS est également l’un des membres fondateurs de l’association « Français Solidaires »