C’est une question de fond, une question sur laquelle prennent assise beaucoup d’autres interrogations, et sans doute l’objection majeure à la politique menée par le pouvoir actuel. Elle fut posée de manière implicite par Edwy Plenel à Emmanuel Macron lors de sa dernière interview télévisée au Théâtre national de Chaillot : comment est-il possible, dans une démocratie, de gouverner de façon aussi autoritaire et de passer en force sur des sujets qui concernent notre modèle social quand on n’a recueilli sur son nom que 18% des inscrits ?
Mais le Président n’en a cure. Lui rappeler d’où il vient ainsi que les conditions exceptionnelles de son élection n’entame pas sa détermination et sa fermeté. Il se refuse à relativiser son élection. Sa victoire et celle, sur la même lancée, de son mouvement « La République en marche » aux élections législatives – et il convient aussi de rappeler qu’au premier tour, compte tenu du fort taux d’abstention, seuls 13,23% des inscrits ont voté pour « La République en marche - sont consacrées, avalisées par nos institutions, et cela lui suffit. A-t-on jamais vu un pouvoir s’interroger sur les conditions de sa mise en place ? Emmanuel Macron incarne désormais le droit puisque la Constitution de la Vème République le place à la tête de l’exécutif. Il peut donc user légitimement de la force, et il dispose pour cela de tous les rouages d’une haute administration, volontiers servile.
Du droit, de la légalité, de la légitimité du recours à la force, il en aura été beaucoup question au cours de cet entretien, notamment au travers des nombreux conflits sociaux, et en particulier de l’évacuation de la ZAD de Notre Dame des Landes. Et, pour justifier son action, en adepte d’une communication en trompe l’œil, Emmanuel Macron s’est systématiquement posé en garant de l’ordre républicain basé sur le respect de la loi ; on ne se réfère jamais autant à des valeurs que lorsqu’on s’emploie à les faire disparaître. L’ordre républicain fait partie des éléments de langage habituels de nos gouvernants quand il s’agit de réprimer des mouvements de contestation, il est souvent appelé à la rescousse pour s’opposer au désordre des casseurs et des « agitateurs professionnels ». . . Mais l’ordre républicain n’est-il pas censé servir les valeurs de la République, les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ? L’ordre républicain n’est-il pas requis pour protéger les plus faibles et limiter la puissance et les excès des plus forts ? L’ordre républicain n’est-il pas là pour arbitrer en faveur des biens communs, en faveur du vivant, en faveur des éléments indispensables à une vie future ? L’ordre d’Emmanuel Macron fait tout le contraire, il est définitivement perverti par les puissants et n’est déployé que pour contraindre l’ensemble de la société à se plier aux intérêts d’une petite oligarchie industrielle et financière, il est aux antipodes de la société qu’il conviendrait de construire pour relever les immenses défis écologiques et sociaux d’un monde déjà fortement abîmé.
Pour renforcer encore l’ordre du capital cher au Président, il faut évidemment continuer à défaire les liens sociaux, à détruire les coopérations, à annihiler les garanties collectives, à mettre à bas toutes les protections construites par les luttes antérieures, il faut mettre en place une société peuplée d’individus en compétition, livrés au marché, car « le libéralisme économique, c'est l'extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société ». Et il faut le faire vite, éviter les prises de conscience, ne pas laisser au corps social le temps de souffrir, achever le travail entrepris par tous les gouvernements précédents, faire en sorte qu’il n’y ait pas de retour en arrière possible, recourir pour bien ficeler l’affaire à des traités internationaux comme le CETA ( UE- Canada), le JEFTA (UE-Japon), etc, permettant de museler définitivement, par le droit, toute expression populaire. Et, une fois la chose faite, qu’on n’en parle plus !
Pour ce projet, il ne peut y avoir de conciliation, de dialogue véritable. Cet ordre requis par les mandants d’Emmanuel Macron, exclusivement au service des riches, n’est pas négociable.
Alors, pour mener à bien cette mission capitale, Emmanuel Macron, a choisi de revêtir ses habits de gardien-chef de l’ordre capitaliste plutôt que ceux de Président de la République Le premier de la classe, à l’air paisible et avenant, s’est mué en robocop qui matraque, qui gaze, qui expulse à la grenade. Avec lui, la violence de l’Etat de droit se répand partout.
Il est grand temps de faire converger les luttes pour « impuissanter » Emmanuel Macron.