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Billet de blog 21 mai 2018

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Gaza: « Ca vous regarde » le 16 mai: MSF confond Richard Pasquier et François Puponni

Dans l’émission « Ca vous regarde » du 16 mai, Richard Prasquier, président d’honneur du CRIF, et François Pouponni, député PS, donnent leur version de la mort de 60 Palestiniens et de milliers de blessés lors de la nouvelle manifestation à la frontière de Gaza avec Israël jusqu'au moment où arrivent les chiffres de MSF qui fracassent leurs positions.

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Dans l’émission « Ca vous regarde » du 16 mai, Richard Pasquier, président d’honneur du CRIF, et François Pouponni, député PS, vice président du groupe sur l’antisémitisme à l’Assemblée nationale, donnent leur version de la mort de 60 Palestiniens et de milliers de blessés lors de la nouvelle manifestation à la frontière de Gaza avec Israël.

François Pupponi reprend à son compte la déclaration de Nikki Haley aux US: « Quel Etat accepterait que son voisin marche à l’assaut de sa frontière?
Une question rhétorique supposée provoquer l’adhésion de l’audience mais qui a malheureusement un air de déjà vu, et qui, de plus, pratique l’amalgame.
Dans son livre « Malaise dans l’inculture", Philippe Val comparaît Israël à la France, et la Belgique à la bande de Gaza, d’où seraient tirées des roquettes sur le territoire français.
La comparaison est tentante, sur le plan géographique, si ce n’est que les Belges ne vivent pas sous un blocus, ou un siège, mis en place par la France. Ils n’ont pas été chassés de France en 1948, et ils n’ont pas de liens identitaires avec ceux qui seraient restés en France, soit comme citoyens français « assimilés », (arabes israéliens) soit comme « belges » (Cisjordaniens).
Par ailleurs, les Gazaouis sont pour les deux tiers des réfugiés de 48 et 67, et donc des habitants de la terre de Palestine, et non ceux d’un Etat voisin agresseur. Il y a bien eu retrait des israéliens de Gaza, en 2005, mais, comme le dit Rony Brauman à propos des derniers événements: « ceux qui répètent à l’envie qu’il n’y a plus de présence israélienne à Gaza, en sont pour leurs frais ».
François Pupponi et Richard Prasquier dénoncent une manifestation qui sous les traits du pacifisme, abriterait des gens qui veulent en découdre avec l’armée israélienne. Qui plus est la grande majorité des manifestants seraient manipulés par le Hamas qui se servirait d’eux pour fabriquer des martyrs et revenir au devant de la scène. Richard Prasquier avance même que le Hamas aurait payé les manifestants, ajoutant, toutefois, peu sûr, un « dit-on », qui en dit long sur lesdites sources. Ce faisant, l’homme, habitué de cette rhétorique, sait qu’il entretient par là une rumeur, un « ça a été », indélébile, comme dirait Roland Barthes, dans « La chambre claire », à propos d’une photo de sa mère.
Les deux intervenants n’avaient cependant pas prévu le rapport de MSF préparé par Antoine Audouin, lequel révèle que 229 personnels de santé ont été blessés et que 32 ambulances, qui n’étaient pas des véhicules du Hamas, ont été endommagées.

Richard Prasquier rend le seul Hamas responsable des événements, usant du rappel de l’article 7 de sa charte qui invite les Palestiniens à tuer les Juifs.
Il n’est pas question ici de souscrire à un appel au meurtre quel qu’il soit, d’excuser ce qui relève de la torture ou de l’exécution, mais R. Prasquier commet l’abus d’attribuer le monopole du terrorisme aux seuls Palestiniens, oublieux qu’il est des 24 massacres de la guerre de 48, et des suivants, pour faire court, au Liban à Qana ou Beyrouth , à Gaza en 2009, 2012, 2014, 2018… et du terrorisme d’Etat qui tue plusieurs Palestiniens chaque semaine.
Il s’émeut par ailleurs du sort des enfants palestiniens de Gaza, mais ne mentionne pas non plus les quelque 300 qui sont enfermés dans les prisons israéliennes, et les 3500 adultes qui y croupissent et dont certains y meurent.
Il argue aussi du fait qu’il y a bien une frontière entre Israël et Gaza, et qu’elle est légale depuis 48, croyant démontrer qu’il n’y a par là plus d’occupation ou de présence israélienne, oublieux du fait qu’une frontière à la différence d’un mur est censée réguler un échange entre les riverains de part et d’autre.
Il faut l’intervention d’un autre invité, JP Le Coq, pour lui rappeler que ladite frontière est une clôture qui ceint un parc d’où les Palestiniens, comme tout autre être humain digne de ce nom, cherchent à sortir.
Rony Brauman, pour sa part, invité de Guillaume Erner le même jour rappelle ce que cette frontière confisque de terre palestinienne sous la forme d’ une zone démilitarisée, imposée par Israël, de 300 à 500 m de large sur une bande qui fait 10 km…ajoutant au passage que les tireurs d’élite abrités derrière leur talus alignent dans leurs viseurs des manifestants palestiniens en territoire palestinien, et non en Israël.
François Pupponi essaie de renforcer son argumentation par des considérations extérieures:
Yasser Arafat aurait fait capoter les Accords d’Oslo.
Les palestiniens n’auraient pas accepté le plan de paix généreux proposé par Ehud Olmert en 2008
-Les arabes israéliens seraient des citoyens israéliens à égalité avec les Israéliens juifs.

Concernant les accords d’Oslo, citons Julien Salingue dans La Palestine d’Oslo, aux éditions l’Harmattan: « L’hypothèse d’Oslo était, en résumé, la suivante: pacifier la société palestinienne via la construction d’une administration autochtone légitime et stable sans pour autant remettre en cause les logiques d’occupation et de colonisation.
(…) l’idée même d’une structure politico-administrative a fait long feu, et cette dernière ne se maintient que parce qu’elle joue un rôle essentiel de redistribuer des aides internationales. (…) Le Hamas n’est pas épargné qui, en ayant accepté de participer aux élections de 2006 et en gérant de facto la bande de Gaza, est confronté à des difficultés similaires à celles de la direction Arafat des années 1990.
Le discours de 1995 de Yitzhak Rabin au parlement, ne laisse pas de doute sur ce qui attend les Palestiniens. Il y affiche ses principes:
Jérusalem unifiée (incluant Maale Adumin) sera maintenue sous souveraineté israélienne ; l’entité palestinienne qui sera créée dans les territoires n’aura pas le statut d’Etat ; il n’y aura pas de retour aux lignes de 1967, et la frontière de sécurité d’Israël passera par la vallée du Jourdain.
http://knesset.gov.il/rabin/heb/Rab_RabinSpeech6.htlm.

Concernant le plan d’Ehud Olmert de 2008:
Israël annexerait les principaux blocs d'implantations situés dans la banlieue de Jérusalem (Maale Adoumim, Goush Etsion, Givat Zeev), ainsi que, plus à l'intérieur de la Cisjordanie, la colonie Ariel. En guise de dédommagement, les Palestiniens recevraient des terres d'une surface équivalente dans la partie du désert du Néguev qui jouxte Gaza. On notera la générosité qui consiste à proposer les terres désertes du Néguev en lieu et place des terres de Cisjordanie. Par ailleurs, il n’ y pas trace dans le plan, d’engagement sous la forme d’un calendrier quant aux négociations sur le statut de la partie orientale de Jérusalem, annexée par Israël au lendemain de la guerre des Six Jours.
François Puponni se garde bien d’évoquer le plan de 2002 proposé par le roi Abdallah, et que les Israéliens ont superbement ignoré.
Frédéric Encel abondait également en ce sens, déclarant à France Culture le 14 septembre 2011 : « Ça fait deux ans et demi, que le gouvernement israélien, aurait dû négocier. MM Abbas et S.Fayyad correspondent à un tandem rêvé par les Israéliens depuis des années. […] Israël a commis une erreur.
Et Charles Enderlin, invité de la Grande table le 15 mai, rappelle que le Hamas a proposé une longue trêve, à propos de laquelle les Israéliens n’ont donné aucune réponse.

Concernant l’égalité citoyenne des arabes israéliens avec les juifs israéliens que brandit François Pouponni comme argument en faveur d’Israël, rappelons ce que dit Ben White à ce propos dans « Etre palestinien en Israël » aux éditions La Guillotine. 

« Seules sept villes, bidonvilles, ont été créées dans le Néguev, ce, pour faire quitter aux Bédouins leur mode de vie, comme l’ambitionne le plan Prawer.
Sur les 553 villes sélectionnées comme Zones prioritaires en 1998, seules quatre étaient arabes. - Un quart de la communauté arabe d’Israël ne bénéficie d’aucun plan d’urbanisme
En 2002, une loi interdit aux citoyens arabes d’acheter une habitation dans une communauté juive située sur les terres d’État.
Le ministère de l’Éducation dépense cinq fois plus par étudiant juif que par étudiant palestinien - A la minorité palestinienne, 20 % de la population, n’est consacré que 4 % du budget pour son développement.
En 2014 le seuil des votes pour atteindre une représentation parlementaire passe de 2 % à 3,5 % pour réduire le nombre de députés palestiniens.
Le droit de résidence est contrôlé dans 70 % des villes israéliennes par des Comités d’admission qui éliminent ceux considérés comme « inaptes » à intégrer le tissu social de la collectivité.
Assignation à résidence: En 1951, 2000 citoyens palestiniens ont été jugés par les tribunaux militaires pour être sortis de zones fermées sans permis. »

Richard Prasquier n’étant pas selon lui, un géo-politicien et usant par ailleurs de « dit-on » pour alimenter la rumeur, aurait pu décliner l’invitation, c’eût été plus digne du président d’honneur d’un Conseil qui se veut représentatif des Juifs de France.
François Pouponni, quant à lui, devrait s’émouvoir de deux faits qui ne collent pas avec l’image d’Israël comme « seule démocratie du Proche Orient ».
Charles Enderlin rappelle que si un élu étranger rend visite à une ONG de défense des droits de l’homme, comme Bet’selem ou Breaking the silence, Benjamin Netanyahu refuse de le rencontrer.
Rony Brauman, quant à lui, rappelle qu’Israël lui interdit d’entrer à Gaza…

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