On s'est étonné, notamment en France de ce rejet, vu que l'accord mettait fin à des décennies de guerre civile.
Plusieurs explications paraissent toutes, au moins partiellement, fondées. La cause la plus évoquée est que le précédent président colombien, Alvaro Uribe, encore très écouté, s'était indigné de cet accord qui équivalait à absoudre officiellement les FARC des dizaines voir centaines de milliers de morts qu'ils avaient été dits avoir provoquer. Voir leur représentants siéger désormais au Parlement était considéré à sa suite comme insupportable par une partie de l'opinion. Plus généralement, la Colombie n'étant encore que difficilement un Etat homogène, avec une opinion publique bien organisée, le référendum peut difficilement être considéré comme représentatif de cette opinion, notamment au vu du nombre des abstentions.
Mais une autre explication du rejet, de type géopolitique, peut être envisagée. Elle repose sur l'hypothèse que l'opinion publique colombienne, aussi mal organisée et soumise à des intérêts divers soit-elle, avait au moins en partie compris que ce signifiait en profondeur l'accord avec les FARC. Cet accord, bien que soutenu par les gouvernements de Cuba et du Venezuela, était apparu à beaucoup de Colombiens, même appartenant aux couches réputées mal informées de la société, comme principalement voulu par les Etats-Unis. Ceux-ci y voyaient une nouvelle phase importante de leur « pivot vers l'Amérique Latine » destiné à étendre encore leur influence croissante sur ce continent.
La Colombie était devenue peu rentable pour les investissements étrangers, essentiellement américains. Selon l'Economic Commission for Latin America and the Caribbean, le profit pour les investissements étrangers était tombé de 12% en 2014 à 4% en 2015. Les salaires avaient été rongés par l'inflation, le chômage s'était considérablement accru et la dette publique avait atteint 45% du PIB. On aurait pu penser que la guerilla avec les FARC était principalement responsable de cette situation, mais elle n'avait eu qu'un effet marginal.
La cause principale en avait été non pas la guerilla mais la généralisation de grandes haciendas aux mains d'une oligarchie colombienne très liée à Wall Street. Cette même oligarchie avait poursuivi une extraction excessive des ressources naturelles, en généralisant les violences contre la paysannerie et les travailleurs pauvres. Ces derniers s'y opposaient de plus en plus. Il fallait donc renforcer l'austérité, le militarisme et l'exploitation sociale.
Le gouvernement Santos avait espéré qu'un large Oui au référendum lui aurait donné la légitimité nécessaire pour généraliser les politiques d'austérité et d'atteinte aux droits sociaux. Celles-ci se seraient traduites par des dévaluations , une baisse des taxes pour les corporations et une augmentation de la TVA frappant les familles pauvres. Les investissements américains auraient été les premiers à bénéficier de ces mesures.
Le rejet du référendum avait finalement principalement résulté d'une révolte des électeurs de la base contre ces politiques. Il ne faut pas se faire d'illusion. Le gouvernement les mettra cependant en oeuvre, mais dans un climat de rébellion sous-jacente ne facilitant pas sa tâche. Le Financial Times, les banques HSBC et Goldman Sachs ne s'y sont pas trompés. Les milieux financiers américains ont été les premiers à exprimer leur regret de voir rejeter le référendum.
Le gouvernement colombien, n'ayant pas renoncé aux prétendues « réformes », étudie un nouveau plan pour imposer l'austérité. Parallèlement, il semble encourager actuellement, avec l'appui de la CIA, la reprise d'attaques paramilitaires contre ses opposants. Il est donc probable que les FARC, ou ce qu'il en reste, n'ayant plus la perspective des subventions et des responsabilités promises par le gouvernement dans le cadre du projet d'accord, reprendront d'une façon ou d'une autre leurs actions de guerilla. On peut penser que le gros de la population s'en accommodera. Et à Cuba, saisi par un reste d'esprit révolutionnaire, on le comprendra.
PS. à la date du 07/10
L'attribution du Nobel de la Paix au président Colombien ne changera pas grand chose au jugement selon lequel ce gouvernement est sous l'influence américaine. Le Comité Nobel a toujours été influencé par les groupes de pression américains.