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Billet de blog 13 mars 2021

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Paris 13 mars, cinq jours avant …

Nous sommes cinq jours avant la Commune insurrectionnelle de Paris. L’heure va bientôt sonner. L’heure de la revanche prodigieuse …

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Paris, 13 mars 1871, cinq jours avant, il y cent-cinquante ans exactement. La ville affamée est assiégée. La Prusse, maîtresse de l’Allemagne, occupe une bonne partie du nord de la France et l’armée des casques à pointe encercle la capitale depuis l’été. Le gouvernement français a fui à Bordeaux. Les Parisiens tiennent. L’hiver a été atroce : froid glacial, plus de bois pour se chauffer, flambée des prix, plus rien à manger, bombardés. Dans son journal, Edmond de Goncourt note qu’il n’avait jamais vu misère si effrayante dans cette ville de deux millions d’âmes assiégées. Au moins, depuis février, c’est le cessez-feu et le soleil brille. Jusque début mars, le temps a été étrangement estival. Les bombardements ont cessé : c’est l’armistice, pas encore la paix. Cette paix, Paris assiégée n’en veut pas, pas à n’importe quel prix. Pour se défendre, la ville a armé deux-cent-cinquante-mille civils : la Garde nationale et ses bataillons massivement recrutés dans les quartiers populaires. Ces bataillons réclament la guerre à outrance d’où leur surnom, les outrances. Ils exigent une sortie torrentielle contre les lignes allemandes. Grâce à une souscription, Paris a fait forger deux-cent-vingt-sept canons alignés sur la butte Montmartre. Un peuple en armes attend depuis six mois que les armées françaises de province, dirigées par des généraux défaitistes, viennent les aider. Mais personne ne vient. En janvier, une sortie en force de l’armée populaire pour rompre les lignes allemandes du côté de Mont Valérien, a été si improvisée, si impréparée que quatre-mille gardes nationaux y sont restés, mitraillés comme à la foire. A croire que l’état-major de l’armée l’a fait exprès. Mi-février, toujours pas de renfort, ce sont les résultats des élections qui arrivent. Car la France a organisé des législatives en pleine guerre pour donner une légitimité au gouvernement constitué après la défaite de Sedan et l’abdication de Napoléon III. Au moins, les résultats arrivent avec le ravitaillement. Le pain blanc réapparait ; avant, on mangeait de la mie noire de suie et on en crevait. Enfin pas tous.  Pas ceux qui peuvent payer une livre de viande une fortune ou mangent les animaux du zoo dans des restos prestigieux. Comme Goncourt justement, qui dîne au Brébant avec Théophile Gautier et Ernest Renan : terrine d’antilope et consommé d’éléphant au menu. Ailleurs, on mange du rat. Car Paris, c’est deux villes.

Une capitale, deux villes.

Paris 13 mars 1871. A l’ouest et rive gauche de la Seine, les beaux quartiers espacés : Faubourg Saint-Honoré, Champs-Élysées, Auteuil, Neuilly, Passy, Levallois. Le long des boulevards arborés, s’alignent les immeubles opulents de la bourgeoisie : hauts fonctionnaires, actionnaires, propriétaires, … Leur domesticité vit dans les mansardes des greniers car Paris 1871, c’est aussi cent-vingt-mille domestiques : bonnes, cochers, servantes, gouvernantes, laquais, palefreniers, concierges. Et puis il y a la deuxième ville, celle du nord, du sud et de l’est, celle de l’autre rive, celle des quartiers populeux des arrondissements populaires. Des centaines de milliers de foyers ouvriers, presque la moitié des habitants, s’entassent à Belleville, Charonne, Ménilmontant, Montmartre, ... Avec des milliers d’artisans qui travaillent seuls ou avec un apprenti et des milliers de boutiquiers qui vivotent. Ce monde du travail et des sans-travail, habite un Paris insalubre : logements sans eau, lits sous-loués, dortoirs collectifs, taudis, deux-pièces où on vit à six. Dans les années 1860, les loyers ont doublé, les salaires ont diminué. La prostitution est massive, systémique, parfois infantile.

Et le centre de la capitale ? Depuis 1853, on a rasé les ruelles de la ville médiévale. Les boulevards du baron Haussmann quadrillent le centre. En cas d’épidémie de choléra, c’est mieux, c’est plus salubre. En cas d’insurrection urbaine aussi : on peut tirer au canon sur les émeutiers. Et puis c’est rentable les grands boulevards : sous la préfecture Haussmann, la valeur de l’immobilier parisien a été multipliée par trois, passant de deux à six milliards de francs. La ville nouvelle est livrée à la spéculation immobilière, véritable curée écrira Zola. Mais c’est couteux les grands boulevards : les travaux d’Haussmann ont fait plonger les finances municipales dans le rouge, faisant de Paris la ville la plus endettée du monde, sept-cents millions de francs de dettes que les Parisiens vont rembourser pendant un demi-siècle. Et c’est injuste les grands boulevards : on a exproprié et repoussé les couches populaires vers la périphérie ou plus loin, vers les bidonvilles, le long des fortifications parisiennes aujourd’hui démantelées. Ou plus loin encore, en banlieue, le lieu du ban, là où on bannit. Le peuple parisien sait bien que la modernisation de sa ville s’est faite à son détriment. On ne le dit pas souvent parce qu’on est aveuglé par l’éclat politique des choses mais la Commune 1871 sera la plus grande révolte de locataires de l’histoire et l’histoire d’une foule d’expulsés qui voulaient se réapproprier leur ville. On ne le dit pas assez non plus : Paris l’ouvrière est déchristianisée voire très anticléricale quand Paris la bourgeoise est ostensiblement catholique, d’autant plus catholique que les curés et les congrégations exercent une pression constante pour que le peuple vote à droite. Paris, 13 mars 1871 : une capitale, deux villes … Un des deux a voté à gauche.

Une France, deux pays.

On a voté au suffrage universel le 8 février 1871. La capitale et le département de la Seine ont voté républicain, souvent radical et même radicalement rouge : trente-sept députés sur quarante-trois. Ces résultats vont à contre-sens de ceux du reste de la France. En province, la droite monarchiste a profité d’un scrutin à un tour, organisé dans l’urgence, noyauté par l’église et les maires conservateurs. Sur six-cent-trente-huit députés, quatre-cents sont royalistes. Pourtant, c’est Adolphe Thiers, républicain libéral, qui est élu président du gouvernement. La République, Thiers la veut lui-aussi. Mais il la veut conservatrice, autoritaire, capitaliste, bourgeoise, coloniale, antisociale. Les monarchistes de sa majorité sont de vieux gentilshommes de province, sans direction, potentiellement puissants mais politiquement médiocres, versatiles, pusillanimes. Ces notables veulent exactement la même chose que le chef qu’ils se sont choisis : faire la paix au plus vite avec l’Allemagne du Chancelier Bismarck et puis retour à l’ordre, au business, à la propriété. Cependant ils ont un problème, un gros problème : Paris, Paris la résistante, Paris la républicaine, Paris la rouge, Paris l’athée, Paris et ses deux-cent-mille prolétaires en armes.

Les résultats du scrutin parisien donnent la taille du fossé qui s’est creusé. Paris a élu Auguste Blanqui, que les monarchistes appellent le communiste, Blanqui qui inspira à Marx le concept de lutte des classes, Blanqui dit l’enfermé parce ce révolutionnaire a passé la moitié de sa vie en prison. Élu mais inéligible. Paris a élu Victor Hugo. Pas communiste, non, génie universel, forcené de la cause des misérables, rocher de bienveillance face aux marées bienpensantes. Paris a élu le marquis de Rochefort,  noble déclassé, républicain enragé, employé communal, franc-maçon, anticlérical, le seul homme qui se sera jamais échappé du bagne de Nouméa. Paris a élu Guiseppe Garibaldi. Garibaldi, même pas Français, Italien, soldat du Risorgimento qui s’était mis au service de la défense de la France, Garibaldi que la droite appelle le métèque. Ces quatre-là ont fait pas loin d’un million de voix. Les Parisiens ont aussi élu des quarante-huitards, des jacobins, des utopistes : Blanc, Brisson, Tolain, Malon, Millière et Louis Delescluze, prisonnier politique revenu de l’Île du Diable. Quelques modérés quand même, bizarrement appelés radicaux, comme Clémenceau et Littré. Ces élus parisiens seront accueillis au Parlement réuni à Bordeaux par les sifflets et les bordées d’insultes de leurs collègues.

Paris, 13 mars 1871, le contexte est explosif. Gustave Rouland, Gouverneur de la Banque de France, écrit à Thiers toute la peur que le peuple lui inspire : ces gens-là, Monsieur, c’est la République Rouge ; ces gens-là, Monsieur, ne connaissent qu’une défaite, celle qu’on leur infligera par la force. Feu Rouland n’est pas le seul à paniquer. La peur des conservateurs se lit dans la correspondance et les romans de Flaubert, Du Camps, Sand, Dumas fils, Daudet, Gongourt, Gaultier, Féval, de Lisle et Zola - oui même Zola. Voilà comment ils parlent du peuple, de ses militants, ses chefs, ses intellectuels : voyous, alcooliques, repris de justice, galériens, femelles avinées, éternels mineurs, tourbe de nomades, sanglants imbéciles, incapables, envieux, vagabonds, voleurs, mauvais poètes, mauvais peintres, journalistes manqués, romanciers de bas étage, animaux de savane, lie de l’humanité… Quant à Thiers, chef d’un gouvernement de désunion nationale, il appelle le peuple : la vile multitude. Ville multitude, en effet. Ces insultes disent toute la haine de classe qui règne. 

Vers le printemps des idées et des actes.

Pourtant, pour des minables et des imbéciles, ces éternels mineurs réfléchissent. Dans les sections de la Garde nationale, les journaux, à l’Union des Femmes, ça réfléchit même beaucoup. On parle de séparer l’Église et l’Etat, d’instituer l’école gratuite pour garçons et filles et l’égalité salariale entre instituteurs et institutrices. On réclame les interdictions des retenues sur salaire et du travail de nuit des ouvriers boulangers. On demande de réduire le temps de travail, de créer des emplois dans des ateliers nationaux. On veut réquisitionner les logements vacants pour les sans-abris, occuper les ateliers abandonnés par les patrons, en faire des coopératives. On veut démocratiser : donner le droit de vote aux travailleurs étrangers, élire les hauts-fonctionnaires des services publics, remplacer les notaires par des assermentés, interdire aux élus de cumuler les traitements, révoquer les mandataires incompétents, corrompus ou les deux. On rêve de citoyenneté directe. Et puis on exige. On exige de reconnaître l'union libre et les enfants naturels, de vider les orphelinats-bagnes et les remplacer par l’assistance publique pour pupilles de la Nation. Parce que les communards inventent une idée neuve : les droits de l’enfant. On exige aussi d’abolir la peine de mort, de brûler les guillotines. On songe à abattre la colonne Vendôme érigée à la gloire des guerres meurtrières de Napoléon qui écrasèrent jadis l’Allemagne. Une ville encerclée veut abattre, je cite le décret du 12 avril : ce monument de barbarie, symbole de force brute, de fausse gloire, cette affirmation du militarisme, cette négation du droit international, cette insulte permanente des vainqueurs aux vaincus, cet attentat perpétuel à la fraternité. Ils écrivent plutôt bien pour des romanciers de bas-étage, non ? Et ils font la guerre sans haine.

Parce qu’ils parlent aussi de passer à l’action. Depuis janvier 1871, on voit sur les murs une affiche rouge signée par cent-quarante défenseurs de la ville, tous membres de l’Association Internationale des Travailleurs, la Première, celle de Marx et Bakounine. L’affiche se termine par ces mots : le gouvernement a donné sa mesure : il nous tue … Place au Peuple ! La sève monte sous l’écorce des cerisiers. Hugo le sent. Au Parlement, il refuse de voter le Traité de Paix négocié avec Bismarck, paix au prix de l’Alsace-Lorraine, paix au prix de cinq milliards de marks-or de dette de guerre qui deviendront de la dette publique. Il s’exclame : Paris se résignera à sa mort mais pas à votre déshonneur.

Vers la guerre civile.

C’est là, maintenant, en ce début mars 1871 que le gouvernement Thiers va allumer la mèche de la guerre civile. Il va commettre des « erreurs » à moins que ce ne soient des provocations pour aller à l’affrontement, allez savoir … Le gouvernement de droite piaffe d’impatience que les affaires bancaires reprennent, alors il ordonne brutalement le dégel des dettes commerciales qu’on avait suspendues en temps de guerre. Du coup, petits indépendants, patrons d’atelier, artisans ruinés comprennent que la banque va les reprendre à la gorge. Cette petite bourgeoisie du travail va passer du côté ouvrier.  

Deuxième erreur ou provocation : Thiers ordonne la fin du moratoire des loyers qu’on ne payait plus depuis l’encerclement allemand. L’historienne Jeanne Gaillard le dit : la fin du moratoire des loyers va solidariser les couches populaires, massivement frappées par le chômage, sans ressources pour payer les traites de leur taudis.

Le gouvernement, impatient de désarmer les Parisiens, va commettre une troisième provocation : il supprime la solde de la Garde nationale, privant des dizaines de milliers d’ouvriers sans travail de leur minuscule revenu assuré. La Commune sera une révolte de chômeurs désespérés.

Et puis … quatrième provocation, psychologique, culturelle, politique. Adolphe Thiers décide d’installer son gouvernement à Versailles, au château de Louis XIV, le plus haut symbole de l’Ancien Régime, l’anti-Paris depuis 1789. Une insulte pour les Parisiens et les Républicains. D’où le nom que les communards donneront aux gouvernementaux et à leur armée : les Versaillais.

Et les Versaillais ont ce qu’il faut désormais appeler un allié : Otto von Bismarck chancelier du tout jeune IIe Reich proclamé en janvier … à Versailles. Bismarck signe les ordres de libération de soixante mille soldats français, prisonniers de guerre. Il sait que Thiers va en avoir besoin pour faire ce qu’il n’a pas pu faire : écraser Paris. Échange de bons procédés : la Banque de France lui prête les liquidités nécessaires pour payer la solde des soldats … allemands. Le gouverneur de la Banque nationale signe aussi un prêt de trois-cent millions de francs au gouvernement français pour financer son armée régulière. Ses petites affaires faites, feu Rouland fuit la capitale, laissant dans les coffres trois milliards de francs en liquides, lingots et titres financiers. Il a fait ensabler la salle des coffres. Les communards n’y toucheront jamais pour ne pas provoquer une dévaluation vertigineuse dans tout le pays. Obnubilés par des chimères proudhoniennes de banques mutuelles, ils ne voulaient pas nuire aux autres Français. Fallait-il que la lie de l’humanité aime l’humanité.

Treize Mars 1871. Cinq jours avant …

Nous sommes le 13 mars 1871. Dans cinq jours, le 18, avant l’aube, les Versaillais s’infiltreront dans les ruelles qui montent à la butte Montmartre et tenteront sans succès d’enlever aux Parisiens leurs canons. Ces soldats-là vont fraterniser avec la foule venue défendre ses canons. Alors Paris fera sécession, acte fondateur de la commune, naissance de l’espoir, début de la légende.

Mais nous sommes le 13 mars. Cinq jours avant. Les drapeaux rouges fleurissent aux fenêtres des quartiers populaires. A Neuilly, on ferme les volets. Au Parlement, les mots prophétiques de Victor Hugo, résonnent encore : L’heure va sonner, Messieurs ; nous la sentons venir … cette revanche prodigieuse ...

Nous sommes le 13 mars 1871 et dans le splendide appartement du diplomate turco-égyptien Khalil-Bey, un tableau est accroché à une cimaise. Jamais un musée ne l’aurait accepté, celui-là. Son auteur, c’est Gustave Courbet, proudhonien, communard, génie. Ce tableau s’appelle l’origine du monde.

Nous sommes le 13 mars 1871 et un Ardennais de 16 ans quitte Paris ; il voulait basculer dans l’ivresse sociale. Mais les choses n'ont pas encore commencé, alors il rentre. La légende rapporte qu'il serait revenu à Charleville à pied. Menacé de maison de correction par sa mère, il va embarquer sur un bateau ivre de poésie. Il s’appelle Arthur Rimbaud.

Nous sommes le 13 mars 1871 et Louise Michel, fille naturelle d’une servante et de son châtelain de maitre, est institutrice et précurseure de la pédagogie active ; elle écrit aussi des poésies. Quand les cerisiers seront en fleur, Louise passera de l’encre noire au pétrole rouge. Louise ne sait pas encore qu’elle va passer sept ans au bagne de Nouvelle-Calédonie et s’éveiller au combat décolonial au contact des Kanaks. Non, ces soirs-là, elle voit parfois un ami, fragile et discret chef de bureau qui poétise le soir. Il s’appelle Paul Verlaine. Il sera communard, discret.

Nous sommes le 13 mars 1871 et la bretonne Nathalie Lemel a quitté son mari qui sombrait dans l’alcool. Cette ouvrière relieuse fonde La Marmite, ancêtre des restaurants du cœur, qui va nourrir huit-mille personnes par jour. Nathalie ne sait pas encore qu’un jour prochain, elle embarquera avec Louise Michel, la vierge rouge, sur le bateau-prison La Virginie. Elle ne sait pas. Elle accueille Elizaveta Dmitrieff, Russe, vingt ans, qui vient d’arriver de Londres. C’est Karl Marx qui a demandé à Elisabeth de gagner Paris … parce qu’il va se passer quelque chose.

Nous sommes le 13 mars 1871 et comme tous les jours, Henriette Toulemonde s’est fardée pour aller faire le trottoir. Ça fait longtemps que cette prostituée de la misère ne réagit plus quand les policiers se moquent de son nom qui tombe comme une prédestination. Elle sera l’égérie furieuse des barricades, fusil à la main, promettant une nuit d’amour à qui se battra. A l’officier versaillais qui, un jour de mai, lui désignera son poteau d’exécution en lui disant : toi, fous-toi là, elle répondra : qui êtes-vous, Monsieur, qui tutoyez les femmes ?

Nous sommes le 13 mars 1871 et Louis Rossel, provençal, protestant, officier à Metz, a démissionné de l’armée, écœuré par la nullité et la résignation de ses chefs. Ce héros de la guerre refuse la Légion d’honneur. Professeur bénévole en école ouvrière, il avait écrit : on leur a appris à lire mais pas à la manière de s’en servir. Il a 27 ans. Il n’est pas socialiste mais gagne Paris et rallie la classe ouvrière. Le général De Gaulle vouait un culte à ce soldat qui avait dit : non. Et qui refusa d’être gracié après sa condamnation à mort. Il aura toujours 27 ans. 

Nous sommes le 13 mars 1871 et les danseuses des Folies bergères ont écrit une lettre publique au gouvernement pour protester contre le défaitisme, la lâcheté et la politique antisociale des classes dirigeantes. 

Nous sommes le 13 mars 1871 et Jules Vallès, enfant battu, romancier, journaliste, fait paraître son journal, imprimé 9, Rue d’Aboukir : Le Cri du Peuple, une feuille grand format, cinq colonnes à la page, vendu dix centimes, quasi rien. Il y a même un chansonnier qui rime à la une du journal, celui qui a écrit cette chanson qui court dans les rues et parle de cerises. Le Cri du Peuple est tiré à soixante-mille exemplaires. Pour des analphabètes, ces gens-là lisent beaucoup. Bien qu’il appelle à la non-violence, le journal est interdit et Jules Vallès condamné à six mois de prison. Alors il se rase la tête et la barbe et se cache pour échapper à la police. Il sortira de sa planque, le 18 mars, avec sa tête de bagnard juvénile, pour la révolution,  pour la faire et pour l’écrire.

Nous sommes le 13 mars 1871 et quelque part dans Paris une ouvrière, une domestique, la femme d’un artisan, une couturière, on ne sait pas, pleure son garçon mort en janvier. On ne sait rien d’elle, même pas son nom. Tout ce qu’on sait, c’est que quand la foule pacifique manifestait devant l’Hôtel de Ville, un dimanche brumeux de janvier, les gardes mobiles ont tiré dans le tas. Quatre-vingt-trois arrestations, des dizaines de blessés, cinq morts dont un garçon de neuf ans. Le sien.

Nous sommes le 13 mars 1871 et il fait encore très froid dans les hautes solitudes de Kabylie. Depuis plusieurs semaines, El Mokrani et son frère Boumezrag, constatent ainsi qu'il y a de moins en moins de soldats français. Ils repartent en masse à Paris où il se passe quelque chose ... Alors ils lancent un mot d'ordre : unfaq urrumi ! Guerre décoloniale. Le plus grande révolte kabyle commence. En même temps que la guerre sociale.

Nous sommes le 13 mars 1871 et Eugène Varlin, artisan-relieur, syndicaliste, internationaliste, se souvient qu’il avait déclaré à son procès pour fait de grève en 1869 : tant qu’un homme pourra mourir de faim à la porte d'un palais où tout regorge, il n’y aura rien de stable dans les institutions humaines. Rien.

Nous sommes le 13 mars 1871 et à l’orphelinat des mauvais pères de la charité, Jeannot, dit le frisé, se réveille dans son dortoir de merde. Bientôt il sera pupille de la Commune ; bientôt, comme des centaines d’enfants en armes, il ira sur les barricades venger son enfance saccagée.

Nous sommes cinq jours avant la Commune insurrectionnelle de Paris. L’heure va bientôt sonner. L’heure de la revanche prodigieuse …

Jean-Paul Mahoux, historien, coopérant, romancier

(éditions L’Harmattan et éditions Académia),

vers mars 2021.

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