Ils disent une chose, et ceux qui réfléchissent en disent une autre[1]
Selon les spécialistes en communication politique, celui qui exprime un message lui donne un sens mais le public peut fort bien l’interpréter autrement. Et pour que le message soit crédible, il faut d’abord que l’énonciateur le soit. Exerçons- nous à comprendre cette règle en décryptant la telenovela « Trafic d’influence » et « Adieu, mon roi ».
Voici deux mois, jour pour jour, une révélation laissa le public plutôt froid, dans un premier temps. Beaucoup pensaient que le président Evo Morales allait la démentir.
Les problèmes ont commencé avec les réponses. Le 4 février, J. R. Quintana déclare : « Zapata fut effectivement la maîtresse de Morales ». Mais il nie un quelconque trafic d’influence et ne veut rien dire de l’enfant du Président.
Le public mal pensant comprit autre chose : le président avait eu un enfant, en secret, avec une gamine qui aurait pu être sa fille, et il l’avait dédommagée par de l’argent.
Ce même jour, Zapata annule une conférence de presse. Et le public pense : « Pourquoi ne veut-elle plus parler ? Elle nous cache quelque chose. »
Le 5 février, Morales nie tout trafic d’influence. Il affirme que Gabriela fut sa maîtresse pendant deux à trois ans, qu’en 2007 ils eurent un bébé qui est mort, et qu’il ne l’a plus revue depuis.
Et le public se dit : « Le fils du président est mort et le pays n’en a rien su ! Comment est-il mort ? N-a-t-il rien fait pour le sauver ? Et l-a-t-il pleuré, cet enfant ? »
Le jour même, une photographie prise le 15 février 2015 [qui montrait Evo Morales et G.Zapata bras dessus, bras dessous] fit apparaître Evo comme un menteur.
Et le public raisonne : « Evo nous a menti. Il cache quelque chose. »
Le 9 février, à propos du cliché, le président déclare : « J’ai vu une femme que je n’ai pas bien reconnue, une tête familière (cara conocida) qui est venue vers moi ; c’était Gabriela ».
Et le public commence à ricaner. « Il nous prend pour des imbéciles. Deux ou trois ans avec elle, un enfant, et il la traite de « cara conocida ». Il veut nous faire croire qu’on fait un enfant sans préliminaires [à l’improviste] ? »
Le 11 février, Evo demande à la Cour des comptes et à l’Assemblée législative d’instruire un dossier sur le trafic d’influence.
Et le public en déduit : « Il ment et il commande à ses valets (llunkus) de le couvrir. »
Le 14 février, Morales demande que l’on enquête sur l’enrichissement de son ex-maîtresse et déclare que l’affaire est close.
Et le public interprète : « Il se prend pour qui ? Tout doit être mis sur la table, y compris son enrichissement à lui. »
Le 15 février, Evo évoque l’expulsion d’un fonctionnaire nord-américain en l’accusant d’être à l’origine des rumeurs.
Et le public pense : « Chaque jour qui passe, Evo est chaque se rapproche de Maduro. »
Le 26 février, le ministre de l’Intérieur, Carlos Romero, ordonne la détention de Zapata, et le public déduit : « On met la femme en prison pour sauver Evo. »
Le jour suivant, une tante de Zapata secoue le pays : « l’enfant est en vie », déclare-t-elle. Et le public s’exclame : « Terrible, Evo a tué son fils ! »
Ce même 27 février, la ministre de la Transparence vient à la rescousse : « Notre président n’a pas menti ; on lui avait dit que son enfant était mort. »
Les mal pensants comprennent : « Non seulement, il n’a pas vu naître son enfant, mais il n’est même pas allé à son enterrement. Quelle horreur ! »

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Le 29 février Morales déclare : « Si sa famille me le permet, je veux récupérer le bébé… Je ne peux pas croire que l’on m’ait menti à propos de son décès. »
Et le public médite : « Il ne sait pas si son enfant est mort ou vif. Quel genre de père est-il ? Mais on dit qu’il n’a jamais été un bon père. »
Le 2 mars, Álvaro García affirme que le président a connu son enfant.
Le 13 mars, le ministre de la Défense assure que l’enfant est mort en 2007.
Le 16 mars, le procureur général affirme que l’extrait d’acte de naissance est un faux, et García affirme « Il n’y a jamais eu d’enfant, ils [l’opposition] le savaient mais ils ont quand même attaqué Evo. »
Et les mal pensants se disent : « S’il n’existe pas, qui Evo Morales a-t-il reconnu pour son enfant ? Le fils du voisin ? Ils sont perdus. »
Le 28 mars, Gabriela Zapata déclare : « Evo ne peut pas nier la naissance de l’enfant parce qu’il a versé 100 dollars de pension chaque mois jusqu’en 2010, et cet argent ne suffisait pas pour l’entretenir ».
Et le public : « Mon dieu ! Faut-il en rire ? Se moquer ? Ou en pleurer ? »
Le 29 mars, Zapata envoie une lettre au ministre Quintana qui prétend ne pas la connaître, et elle diffuse des extraits de messages intimes échangés avec lui par WatsApp. Elle termine son envoi par un éloquent : "Adieu, mon roi ».
Et le public pensant n’a plus qu’une envie, se précipiter aux toilettes.
[1] http://www.paginasiete.bo/opinion/2016/4/3/cosa-dicen-ellos-otra-entiende-gente-pensante-91937.html