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Billet de blog 16 mars 2016

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Bolivie : menaces dictatoriales après le referendum

Le gouvernement bolivien tisse une toile d’araignée policière afin de se venger de ceux qui ont mis en échec son plan pour la réélection d’Evo Morales à la présidence.

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L’échec qu’il vient de subir au referendum du 21 février dernier empêche Evo Morales d’être à nouveau candidat à la présidence de la Bolivie en 2019. Ce camouflet  et le scandale de sa paternité cachée associée à un probable trafic d’influence le poussent à une fuite en avant pathétique et grotesque, mais également cynique et menaçante. « Je veux vous dire que les oligarchies d’Amérique latine doivent respecter notre révolution démocratique et pacifique. Si elles ne respectent pas notre révolution ..., je veux qu’elles sachent qu’il y a aussi d’autres formes de libération, et nous verrons qui perdra, l’oligarchie ou le peuple », a-t-il déclaré  à Caracas, à l’occasion de la commémoration de la mort de Hugo Chávez[1]. À quelles autres formes de lutte non démocratiques songe le caudillo ? « Sauf les pelotons d’exécution et  les goulags… il a tout utilisé, et toujours violemment », accuse Susana Seleme, citant à l’appui de son argumentation une liste d’agressions – mortelles pour certaines d’entre elles – et d’exactions montrant la brutalité et l’immoralité d’un gouvernement obsédé par l’exercice d’un pouvoir sans partage[2].

Et tandis que leur chef affirme qu’il a perdu une bataille mais pas la guerre, la première mi-temps mais pas la partie[3] –et on sait que le footballeur Morales ne recule devant aucun coup bas pour gagner [4]– ses plus proches collaborateurs font assaut de courbettes.  Le vice-président évoque un « petit faux pas ». Le ministre des Autonomies, Hugo Siles, annonce que la question de la réélection sera débattue en 2018[5]. Les troupes des « mouvements sociaux » ne cessent de clamer que, d’une manière ou d’une autre, leur héros sera à nouveau candidat en 2019. C’est notamment le cas de la Centrale ouvrière bolivienne (COB). Et aussi des producteurs de coca du tropique de Cochabamba dont le dirigeant, Leonardo Loza, annonce qu’ils trouveront bien un artifice  légal pour qu’Evo Morales puisse se représenter en 2019[6].  La représentante des élus du département d’Oruro rappelle que la demande de modification de l’article 168 de la CPE a été portée par une initiative citoyenne et que le même chemin pourrait être à nouveau emprunté pour faire approuver la possibilité de réélection[7]. À l’occasion du déplacement de son chef à Irupana, dans les Yungas, le chancelier Choquehuanca, habitué jusque-là à se tenir dans l’ombre, connu pour ses discours sur le sexe des pierres et les vertus aphrodisiaques de la papalisa (Ullucus tuberosus), s’est lancé dans une véhémente exhortation en espagnol et en aymara : « Nous devons rester unis. Ils veulent nous diviser. Ils ne veulent pas d’un gouvernement indigène. Mes frères, nous nous sommes organisés pour nous gouverner nous-mêmes ». « Un jour ce devra être ici comme en Afrique … En Afrique tous les ministres sont Noirs…un seul Blanc, mes frères. C’est pour cela qu’ils veulent nous diviser, nous sommes la majorité »[8]. Discours de mobilisation et d’appel à l’unité, bien sûr. Mais peut-être aussi ballon d’essai dans l’optique des futures élections nationales, lancé par le seul ministre du gouvernement qui sache s’exprimer en aymara. En tout cas, voilà un discours qui remet les divisions raciales au premier plan de la vie politique.  Mais qui a dit que la loi antiraciste[9] s’appliquait aussi aux supposés Indiens ? Et Choquehuanca en est un, c’est sûr. Ne se présente-il pas comme le dernier descendant de l’Inca[10] ?

Illustration 1
bolivia

L’épuration se prépare. Evo Morales se déchaîne aussi contre les fonctionnaires, et il évoque une purge à venir au sein du MAS, parce que des employés publics ont fait campagne pour le Non. La dirigeante  cocalera Leonida Zurita demande d’établir la liste des employés de l’État  non affiliés au MAS pour les chasser des institutions publiques[11]. Et la présidente de la Chambre des députés Gabriela Montaño lance : «  le minimum que l’on puisse exiger des fonctionnaires c’est qu’ils partagent les idéaux du gouvernement, sinon ils n’ont qu’à partir »[12].Chaque administration et entreprise publique est donc invitée à remettre un rapport circonstancié sur ces mauvais sujets.

Les  cocaleros défaillants sont aussi l’objet de menaces. Bien que les votes des planteurs de coca aient été largement favorables à la modification de la Constitution et que le Chaparé soit toujours « l’épicentre » de la révolution, le jefazo fulmine contre les absentéistes : 16%, qui s’ajoutent aux 13% ayant voté Non. Evo Morales cherche les raisons de ces anomalies: peut-être les enfants des cocaleros se laissent-ils influencer par les réseaux sociaux, avance-t-il[13].Les syndicats sont à l’œuvre pour identifier et châtier les traitres à la cause.

De fait, les réseaux sociaux font l’objet d’une attention particulière.  « Ils (les opposants) ont arrosé les réseaux sociaux de mensonges... quelqu’un a dit que les réseaux sociaux sont des égouts, toutes les ordures y passent » ; « Ils ont utilisé une femme, ils ont utilisé un enfant dont on ne sait s’il vit ou pas (sic) » s’est écrié Son Excellence lors d’une assemblée des six fédérations de cocaleros du tropique à Lauca Ñ[14]. Il y a donc lieu d’agir fermement : « Nous allons contrôler les réseaux sociaux pour être invincibles aux attaques de l’Empire»[15]. Tandis que le vice-président des six fédérationsde cocaleros du tropique de Cochabamba, Leonardo Loza, annonce une réunion des dirigeants de la  Coordinadora Nacional por el Cambio (CONACALM) pour élaborer le projet de loi destiné à les  réguler[16].

Enfin Morales s’en prend aux journalistes, ses souffre douleurs depuis 2006, tour à tour traités de poulets de batterie, de “vuvuzelas” (corne d’Afrique du sud au son entêtant, popularisée pendant la coupe du monde de football de 2010), d’agents de renseignements, de traîtres, couards, trafiquants de drogue… Dans la même veine, le ministre de la Présidence s’interroge : « Combien de journaux qui ont osé mentir au pays vont-ils fermer boutique, à l’image du quotidien La Prensa obligé de cesser sa parution, il y a peu?”[17]. La Centrale ouvrière (COD) de La Paz annonce une évaluation de la politisation de la presse ; pour les journaux politisés, une seule solution, la disparition[18].

Plusieurs personnes sont particulièrement visées par l’evocrate et ses sbires. En premier lieu, bien sûr, le journaliste Carlos Valverde qui a soulevé le lièvre de la paternité cachée du président et du trafic d’influence qui s’en est suivi. Le  ministre de la Présidence, Juan Ramón Quintana voit en lui un agent secret  (agente encubierto) exécutant les basses œuvres de l’administration nord-américaine qui aurait monté le scandale du trafic d’influence supposé entre le gouvernement et l’entreprise chinoise CAMC[19]. L’accusation ne s’arrête pas là.  Valverde serait aussi un indic (soplón) de la CIA. Et le journaliste Andrés Oppenheimer de la chaîne télévisée nord américaine CNN, qui lui a acordé une entrevue, est accusé de servir de relais à un trafiquant tortionnaire, rien moins que  le « chapo Guzman » bolivien[20]. Pour lancer cette  accusation contre Carlos Valverde, le ministre a débusqué une plainte déposée contre lui au début des années 1990,  archivée depuis par la justice pour être sans fondement[21].

Evo Morales reprend le ballon : la chaîne de télévision CNN a pour correspondant en Bolivie « un narco trafiquant poursuivi par la justice »[22]. Mais CNN répond qu’il y a erreur sur la personne : la chaîne a depuis des années une correspondante attitrée en Bolivie, et Valverde n’est en rien son relais. Morales réplique qu’il l’est dans les faits puisque la chaîne répercute ses dires et n’invite pas de contradicteurs, comme elle devrait le faire si elle était une entreprise journalistique sérieuse[23]. En fait Andrés Oppenheimer a bien cherché à plusieurs reprises à recueillir l’avis des autorités sur l’enfant de Morales et le trafic d’influence, mais il s’est heurté à un mur de silence.[24]

Que faire contre ces malfaisants ? Le ministre de la Présidence propose de créer une agence d’espionnage capable de protéger l’Etat plurinational contre ces « fourbes et rageuses » attaques[25]. Les services qui existent déjà seraient donc inefficaces?

En attendant, c’est Valverde qui est en danger, en grand danger si le sort qui le guette est à la mesure de la charge au canon du président et de son ministre. La police le traque et surveille son domicile. Si bien qu’à la suite de mouvements suspects dans les rues proches de chez lui, le 2 mars dernier, la population s’est mobilisée pour former un cordon de sécurité[26]. Selon le ministre de la Présidence c’est un autre narco-trafiquant qui était visé. Un vrai ?   Personne n’est dupe, le suspect mentionné gravite habituellement dans un autre quartier de la ville.

D’autres personnalités qui ont pris position pour le Non, subissent les foudres du caudillo. C’est le cas du gouverneur de Santa Cruz, Rubén Costas, contre lequel on ressort une accusation de 2007 concernant l’achat, prétendument irrégulier, de 40 fourgonnettes, ou de l’ex président Carlos Mesa, défenseur du droit pour la Bolivie à un accès à l’océan Pacifique via le Chili, dont les succès en cette matière et la popularité montante, font visiblement trop d’ombre au caudillo[27].   

En résumé, l’evocrate, ses sbires et autres suiveurs n’ont que deux idées en tête : trouver un moyen pour annuler le résultat d’un referendum dont le résultat leur déplait, et se venger de tous ceux qui les ont empêchés d’atteindre leur objectif, en fomantant la délation et en tissant leur toile d’araignée policière.  Si l’on ajoute à cela les arrestations, les intimidations et les artifices  déployés pour endiguer la vague de scandales, les cas avérés de corruption et les interrogations sur le sort de l’enfant caché du jefazo, chaque jour nous rapproche de la dictature.


[1] http://eju.tv/2016/03/presidente-morales-advierte-no-se-respetan-las-revoluciones-otras-formas-lucha/

[2] http://eju.tv/2016/03/otras-formas-lucha/

[3] 10 de marzo de 2016http://www.paginasiete.bo/nacional/2016/3/10/garcia-linera-vamos-olvidar-votaron-89372.html et http://eju.tv/2016/03/evo-sugiere-repostulacion-2019-habla-del-segundo-tiempo-tras-referendum-febrero/

[4] https://www.youtube.com/watch?v=I4HcVv91sXA

[5]http://www.erbol.com.bo/noticia/politica/09032016/siles_dice_que_pedidos_de_reeleccion_se_debatiran_el_2018

[6] Fuente: Cadena A  http://eju.tv/2016/03/cocaleros-buscan-habilitar-evo-morales-candidato-2019/

[7]http://elpotosi.net/nacional/20160309_evo-2019-el-mas-habla-de-iniciativa-ciudadana.html

[8] http://eju.tv/2016/03/canciller-boliviano-ansia-gabinete-ministros-solo-blanco/

[9] Ley contra el racismo y toda forma de discriminación ; loi 045 du 8 octobre-2010.

[10] «Yo soy el último inca, de verdad, investiguen» http://www.paginasiete.bo/nacional/2014/12/23/choquehuanca-yo-ultimo-inca-investiguen-42097.html

[11]En 2013, le nombre des employés publics (Poder Ejecutivo, empresas descentralizadas, gobernaciones y alcaldías) approchait121.600, la grande majorité sous contrôle du clan au pouvoir http://eju.tv/2016/03/la-mira-funcionarios-votaron-no/

[12] http://eju.tv/2016/03/montano-funcionarios-votaron-no-lo-mas-logico-retirarse/

[13]Noticiasfides.com http://eju.tv/2016/03/evo-observa-ausentismo-16-chapare-principal-bastion-politico/

[14] Source : PAT, El Deber  Evo:“Las redes sociales son como las alcantarillas”, 5 mars 2016.

[15] http://www.paginasiete.bo/nacional/2016/2/27/morales-desafia-revocatorio-descarta-retorno-chapare-88118.html

[16] http://eju.tv/2016/02/evo-se-apresta-controlar-las-redes-sociales-dice-ahora-prepararnos-invencibles/

[17] 02/03/2016,  http://eju.tv/2016/03/quintana-sostiene-medios-comunicacion-van-desaparecer-mentirle-al-pais/

[18] http://eju.tv/2016/03/obreros-exigiran-el-cierre-de-algunos-medios/

[19] La Paz, 16 feb (ABI). http://eju.tv/2016/02/arremetida-gubernamental-periodista-quintana-valverde-agente-encubierto-eeuu-juntos-montaron-caso-camc/

[20] Joaquín Archivaldo Guzmán Loera dit « El Chapo », célébre trafiquant de cocaïne mexicain qui dirige le cartel de Sinaloa faisant actuellement la une des journaux.

[21] http://www.eldeber.com.bo/bolivia/quintana-aclara-cnn-y-ataca.html

[22] La Paz, 5 de marzo (ANF).http://eju.tv/2016/03/evo-dice-cnn-bolivia-corresponsal-narcotraficante-perseguido-la-justicia/

[23] http://eju.tv/2016/03/tras-desmentido-la-cadena-internacional-evo-insiste-los-hechos-valverde-corresponsal-cnn/

[24] http://eju.tv/2016/02/oppenheimer-zapata-gobierno-contestan/

[25] http://eju.tv/2016/03/quintana-anuncia-creacion-de-agencia-de-inteligencia-para-evitar-escenarios-como-el-desatado-por-valverde/

[26]http://eju.tv/2016/03/carlos-valverde-agradece-la-vigilia-ciudadanos/

[27]http://www.eldeber.com.bo/opinion/coletazos-del-lagarto.html

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