
Agrandissement : Illustration 1

Peintre en bâtiment à Bordeaux et avec l’accent bordelais, devenu peintre tout court salué par André Breton et composant la couverture du numéro 2 le la revue Le surréalisme même (il fut, un temps, membre du groupe), photographe et fétichiste à tout crin, Pierre Molinier, né en 1900, s’est donné la mort (revolver dans la bouche) à 76 ans en laissant un mot : « je me donne volontairement la mort et ça me fait bien rigoler ». Sur la porte de de son appartement bordelais encombré de toiles, de mannequins et d’accessoires fétichistes, il laissa ce mot : « décédé, pour les clefs s’adresser à Claude Fonsale, notaire ».
Dans sa jeunesse, Molinier avait plus d’une fois faussé la compagnie de ses copains pour aller aux toilettes se changer en femme et revenir draguer ses potes à leur insu. Pierre Bourgeade fut l’un des premiers à lui consacrer un ouvrage et à préfacer un livre montrant une centaine de ses photos érotiques et ses photos-montages. Guêpières, bas résilles, loup accompagnent volontiers ses auto-portraits. Pierre Petit lui a consacré une biographie titrée Une vie d’enfer.
C’est ce livre et une série d’entretiens avec l’énergumène menés en 1972 par Pierre Chaveau qui donnèrent envie à Bruno Geslin de passer à la mise en scène en signant Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée… En scène ses amis de la naissante compagnie des Lucioles avec laquelle il lui arrivait de travailler : Pierre Maillet, Elise Vigier et Jean-Français Auguste. Créé en 2003 à Rennes au festival Mettre en scène, le spectacle allait repris à Paris au Théâtre de la Bastille où il ne passa pas inaperçu.
Après une reprise dix ans plus tard avec une distribution en partie modifiée, le voici repris ou plutôt recréé vingt ans après sa création avec sa distribution initiale. Vers la fin du spectacle, on voit passer des images de la première version, le contraste est fort et d’abord émouvant entre ces visages et ces corps de 30 ans d’alors et ceux d’aujourd’hui , cinquantenaires, instaurant comme le dit Bruno Geslin « un rapport à la finitude », une façon de retrouver Molinier par d’autres voix moins spectaculaires mais plus profondes et plus drôles aussi.
« J’ai décidé qu’on allait tout reconstituer par la mémoire, par le souvenir du spectacle, sans s’appuyer sur des éléments enregistrés (captations avaient été faites) qui nous auraient enfermés » note Bruno Geslin. On entre plus avant dans la relation entre Molinier (Pierre Maillet sidérant d’incarnation folle et avec l’accent du sud ouest s’il vous plaît) et ses modèles. L’homme sulfureux d’alors apparaît moins provocateur, moins impérial, plus humain. Beaucoup de préjugés sont, entre temps, tombés en désuétude mais cette piqûre de rappel qu’est Mes jambes, si vous saviez, quelle fumée est la bienvenue. Vingt ans après le choc d’étonnement que fut la découverte de ce spectacle, c’est d’autant plus troublant. Le temps fait tout à l’affaire et c’est délicieux.
Théâtre de la Bastille, 20h sf dim jusqu’au 16 février. Puis les 30 et 31 mars à la scène nationale de Brive-Tule, du 4 au 6 avril au Théâtre Sorano de Toulouse, les 11 et 12 avril à l’Archipel de Perpignan et du 18 au 21 avril du Théâtre des 13 vents de Montpellier..