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Billet de blog 8 mars 2023

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Nathalie Béasse fait de l’œil au jeune Tchekhov

Sous la direction rêveuse de Nathalie Béasse, trois jeunes acteurs issus du projet Premier acte favorisant la diversité sur les plateaux, interprètent « Nous revivrons », une adaptation à la hache de « L’homme des bois », pièce de jeunesse prometteuse du jeune Anton Pavlovitch Tchekhov.

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Illustration 1
Scène de "Nous revivrons" © Jean-Louis Fernandez

Qui a lu, vu Oncle Vania d’Anton Tchekhov, ne peut oublier la fin de la pièce. Après bien des péripéties, Vania et Sonia se retrouvent seuls, tous les autres sont partis. « Oh si tu savais comme j’ai le cœur lourd » dit Vania. « Mais que faire, il faut vivre »  répond Sonia ( traduction André Markowicz et Françoise Morvan). Après une pause, indique Tchekhov, Sonia parle à nouveau, longuement cette fois. « Nous allons vivre, oncle Vania, toi et moi » commence-t-elle. « Nous allons vivre une longue, longue série de jours, et de longues soirées » poursuit-elle, puis, « l’heure venue », nous mourrons « docilement ». « Nous nous reposerons  dit encore Sonia. Cette réplique reviendra une autre fois et encore une fois , « Nous nous reposerons »ce seront les derniers mots de la pièce.

Nathalie Béasse a probablement pensé à ce monologue en titrant son spectacle Nous revivrons, sorte de condensation entre le « nous allons vivre » premier et le « nous nous reposerons » final. Béasse s’inspire comme d’une fredaine de L’homme des bois ou Le génie de la forêt selon les traductions, pièce de jeunesse de Tchekhov, laquelle, largement remaniée et amplifiée, deviendra, huit ans plus tard, Oncle Vania.

C’est une pièce peu montée en France et ailleurs. Roger Planchon s’y était risqué en 2005 à Villeurbanne sous le titre Le génie de la forêt dans une traduction commandée à Simone Sentz-Michel et avec une distribution nombreuse, citons Hélène Fillières (Elena), Jean-pierre Darroussin (Voïnitski), Laurence Causse (Ioulia), Planchon jouant lui-même le rôle de Serebriakov et Thomas Cousseau celui de l’homme des bois.

Nathalie Béasse a répondu, elle, à une commande menée conjointement par le TNS et le CDN de Colmar pour réaliser un spectacle itinérant donné dans les villages alsaciens avec en scène trois ou quatre interprètes issus du programme Ier acte piloté par le TNS et visant, par son recrutement, à promouvoir la diversité sur les plateaux.

Nathalie Béasse s’en est tenue à trois interprètes (elle semble avoir une préférence pour les chiffres impairs) choisis, après audition, parmi les membres du dispositif Premier Acte : Mehmet Bozkurt né à Istanbul de parents kurdes, Julie Grelet née à Abidjan de parents ivoiriens et Soriba Dabo né à Nantes de parents guinéens. Les trois ont entre 23 et 26 ans. Julie Grelet tient avec brio les rôles de femmes de la pièce de Tchekhov et les deux comédiens se partagent les rôles d’hommes.

La pièce est largement coupée et saucissonnée et il vaut mieux se laisser aller à une écoute instantanée des répliques sans chercher à savoir qui est qui et qui parle. Il sera question de l’amour des êtres et des arbres, de la solitude, de l'enfance, du vieillissement, thèmes auxquels Béasse n’est pas insensible, ses autres spectacles (tous ont été présentés au Théâtre de la Bastille et le dernier créé au Festival d’Avignon) le prouvent.

Cependant, il faut surtout s’engouffrer dans les délices d’un vocabulaire scénique cher à Nathalie Béasse et qui contribue au charme de ses spectacles  (habituellement non basés sur une pièce existante): danse collective peu à peu désarticulée, présences incongrues (dans la pièce on parle d’un épervier, le revoici empaillé, qui dit bois dit cerf, et hop une tête empaillé itou), jeux de scène basés sur la légèreté (un voile en plastique) ou la densité (tas de terre que l’on forme et déforme, tas de vêtements), chûtes et étreintes multipliées, et, nouveauté due à la pièce, peinture à vue. Il est beau de voir ces jeunes interprètes entrer en béassitude. Ce qui ne nous empêche pas d’avoir hâte de voir un nouveau Béasse fait maison avec quelques uns des interprètes qui l’accompagnent fidèlement depuis longtemps, parmi eux, seuls Clément Goupille (assistant) Etienne Fage et Sabrina Delarue (avec la complicité de), figurent dans le générique du spectacle.

Pour finir, juste un petit délice très béassien. Sur le plateau sont disposées une table et cinq chaises. Il y a aussi cinq verres et on apporte un gâteau avec cinq bougies. Or ils sont trois sur le plateau et la pièce compte une bonne dizaine de personnages  dont aucun âgé de cinq ans. On a beau formuler des hypothèses, relire la pièce, rien n’est dit, souligné autour du chiffre cinq. Qui sont les deux absents ? Alors on rêve, on rêvasse... cinq actes? Non il n’y en a que quatre... Comme à chaque fois, Nathalie Béasse aime faire en sorte que le spectateur imagine aussi le spectacle.

Nous revivrons, Théâtre de la Bastille jusqu’au 14 mars 20h, du 15 au 27 mars 19h, du 28 au 31 à 20h, relâche le dim et le jeudi 9 mars.

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