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Depuis trois ans, chaque année au tout début septembre, après les festivals de l’été et avant que ne déferlent les spectacles de la rentrée, dans l’Orne, au bord du Noireau et deux pas du village de Saint Pierre d’Entremont, se tient, durant un week-end, le festival de l’Hydre. Le nom vient de celui d’un moulin naguère en activité, puis détruit, remplacé par une usine d’emboutissage depuis fermée. Le tout, vendu à une bande de six et chamboulé par ces derniers a retrouvé son nom d’antan et chaque jour lui donne de plus en plus vie.
Et donc, en ces premiers jours de septembre, s’est tenue au Moulin la troisième édition du « Festival de Hydre ». C’est là l’un des volets d’une utopie théâtrale rurale, aussi rêveuse que factuelle, fruit de l’amitié entre six ami.e. s réunissant l’association les Bernards Lhermite et K, la compagnie de Simon Falguières.
J’avais raconté cette belle histoire lors du second festival l’an dernier (lire ici). En y revenant un an plus tard et en visitant les lieux, on mesure l’avancée des travaux dans les deux bâtiments (ateliers bois, fer, couture, cuisine, stockages de décors, couchages, etc), les espaces de jeu, le jardin, le camping bien plus vaste que l’an dernier. Et l’attrait persistant que présente « le Moulin » pour la région. Comme l’an dernier, le maire de Saint Pierre d’Entremont durant les deux jours du festival veilla à la bonne marche du parking s’étalant le long de la rivière jusqu’à un pâté de maisons, reste ce de qui fut, il y a bien longtemps, le centre du village au pied du Mont Cerisy Belle étoile.
Deux jours de théâtre, de concert, de danse et de performances. Comme l’an dernier mais avec une présence bien plus virulente, la pluie s’invita à la fête. Vaillant, bravant joyeusement l’adversité avec brasero et vin chaud, le festival se déroula entre les gouttes. D’Eva Rami à Melina Despretz et quelques autres ; la palette était large. Mathias Zakhar, le monsieur Badine de l’inoubliable Nuit de cendres de Simon Falguières (lire ici) avait signé l’an dernier une splendide version d’une nouvelle de Dostoïevski avec une belle partenaire, Anne Duverneuil ( qui joue cette année Molière dans la pièce de Falguières). Il nous emmène cette fois, seul, depuis le sources du Danube jusqu’à son delta. Un voyage qui, à l’origine, était un croquis de voyage lorsque Mathias Zakhar était élève à l’École du Nord en 2017, croquis qu’il a, depuis, longuement développé, et, après une présentation dans le hall du Théâtre de Nanterre au printemps dernier, il a donc créé le spectacle au Moulin de l’Hydre. Un voyage aussi intérieur que géographie, aussi familial (sa famille vient de la région) que fantastique.
Et, bien sûr, on attendait la création de la nouvelle pièce de Simon Falguières Molière et ses masques sous-titrée « Farce rêvée sur la vie et la mort de Molière ». Une farce effectivement. Autant qu’une fraternité. « Nous ne sommes pas Molière mais notre art est le même. Et en parlant de lui, c’est de nous et de tous nos tourments que nous faisons le portrait » dit le Prologue. Simon Falguières fait un clin d’œil au Molière qui, après avoir crapahuté en France avec des tragédies signées par d’autres et connu la faillite du premier Illustre théâtre, change de cap, opte pour la comédie, passe enfin à l’écriture avec L’Étourdi et devient pleinement Molière.
Falguières reprend la situation cocasse de la pièce en l’étourdissant tout en racontant les rapports du chef de troupe qu’est Molière avec les puissants protecteurs dont le prince de Conti avant que ce dernier ne tombe dans l’obscurantisme religieux. Falguières s’amuse à désarticuler et les personnages de la pièce (Mascarille,Anselme, Léandre, Lélie,…) brocarde son écriture en vers et en cinq actes tout en ajoutant des personnages comme les Dupont et Dupont devenus historiographes, allant jusqu’à passer de la pièce à sa réception et mettant en scène Molière lui même regardant sa pièce et se projetant dans ce allait suivre et même au-delà. Chaplin passe en courant et Falguières met en scène l’écrivain russe Boulgakov -auteur d’une biographie de Poquelin commandée par Gorki, La vie de Monsieur de Molière- face à Staline (« appelez-moi Joseph ») , rencontre qui, dans la réalité n’a pas eu lieu, mais le théâtre a tous les droits.
Trois actrices (, Anne Duverneuil, Victoire Goupil, Manon Rey) et trois acteurs (Antonin Chalon, Charly Fournier, Louis de Villers) se partagent les rôles et assurent les musiques du spectacle, évoluant dans une scénographie volontairement sommaire (un simple tréteau fait de cinq praticables à un mètre du sol et deux petits rideaux blancs se partageant la scène). Le spectacle dure une heure quinze. Le tout se monte et se démonte en quelques heures et tient dans une camionnette. Tout est parti du Moulin de l’Hydre (conception, répétitions, fabrication), tout y reviendra (stockage). L’itinérance était le but. Elle va prendre corps dans les jours et les mois qui viennent au fil des villages normands et ailleurs. Avec, à l’horizon, la perspective de relier au printemps prochain le Moulin de l’Hydre à Caen, spectacle en bandoulière, à pied et à cheval. Où s’arrêtera le K et le cas Simon Falguières ? Sa prochaine épopée fleuve est en cours d’écriture…
Molière et ses masques, spectacle créé le 7 septembre au Moulin de l’Hydre, tournée en itinérance autour du Moulin le 13 sept à Domfort, le 15 sept à Saint Pierre d’Entremont. Puis en itinérance autour de la scène conventionnée de Verdun : Hanoville le 25 sept, Stenay le 26, Verdun le 27 et Dompcevrin le 27. Puis tourné dans les collèges de l’Orne toute la saison 24-25, et itinérance entre le Moulin de l’Hydre et la Comédie de Caen au printemps prochain.