Tout avait bien commencé. Gulan Muhammad Abdul Hassan Kabouli, jeune étudiant afghan, avait reçu une bourse pour venir étudier en France la littérature et la langue française après ses années passées au lycée français de Kaboul. Ce n’est pas un exil forcé mais choisi, n’empêche « les gens dans la rue me scrutent comme des chouettes » nous dit-il.
Le voici à la fac d’Amiens où tout le monde l’appelle « Kabouli ». Le responsable d’une revue universitaire de la fac lui commande la traduction d’un texte afghan de son choix, il ; choisit un poème du grand Sayad Majrouh.
Bientôt, le voici à Paris où il va de la Sorbonne à l’école Normale supérieure, rencontre l’amour en la personne d’Etid, une jeune hongroise. De plus, il a un métier qui le fait plus ou moins vivre : traducteur littéraire. Tout baigne ? Non, tout se complique.
Les visas n’ont qu’une durée de vie limitée, il faut les renouveler, l’administration française est tatillonne, il manque toujours un papier, Kabouli part pour Berlin où les services qui accueillent les étrangers ne lui cherche pas les poux dans la tête comme en France. Il visite Vienne avec son amoureuse hongroise, bientôt ils se marient. Tout baigne ? Non, tout se complique.
Le visa allemand de Kabouli arrive à expiration. Il flippe, perd confiance en lui de plus en plus. Mariée à une hongroise , il tente le Graal : un visa de dix ans délivré par les autorités hongroises. C’est un travail à plein temps qui l’oblige à d’incessants voyages aux postes frontières.Vaille que vaille, il poursuit ses traductions aussi alimentaires que littéraires, ne veut pas voir que son épouse s’éloigne de lui, mais il s’obstine. Il n’a pas besoin de lire Kafka pour le vivre Car dans tel bureau il manque un tampon, dans tel autre un document qu’il faut faire venir de Kaboul, ailleurs une attestation de, un certificat de. Bref la galère. Miracle, le visa long finit par arriver. Tout baigne ? Non tout se complique.
La volage hongroise veut divorcer. Et la galère recommence…
Seul en scène, avec pour partenaire et tout bagages deux valises et un sac à dos, formidablement bien dirigé, le jeune Marco Carrafa aux jeu et gestes d’une grande précision vocale et physique, nous emmène dans la galère de son personnage, avec détermination, tendu dans une énergie concentrée, fuyant comme la peste tout apitoiement.
Le spectacle se donne dans un recoin du Lycée Mistral, on se croirait presque dans un squat clandestin. Christine Letailleur avait repéré le jeune acteur italien lorsqu’un stage avec des élèves de l’ESCA (Ecole Supérieure des Comédiens par Alternance) à Asnières. Lectrice assidue et fervente d’Aiat Fayez, elle a eu la bonne idée de lui commander ce texte qui sera publié à l’Arche comme bon nombre de ses œuvres. Une fois de plus, dans cette forme toute simple, après ces beaux voyages que furent Éden cinéma de Duras ou son adaptation des textes de Julie de l’Espinasse pour ne citer que des spectacles récents, artiste associée au TNS durant les années Stanislas Nordey (qu’elle a souvent dirigé), Christine Letailleur prouve, une fois encore, qu’elle est l’une de nos metteures en scène les plus incisives.
Avignon off Au Onze à 19h25 (sf jeudi) jusqu’au 26 juillet