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Billet de blog 12 nov. 2021

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Antigone et Tirésias, combattant.e.s solitaires

Guy Cassiers met finement en regard Antigone et Tirésias, deux figures héritées des Grecs, portées par deux écritures contemporaines, celles de Stefan Hertman et de Kae Tempest, chacune magnifiquement embrassées par une actrices,respectivement Ghita Serraj et Valérie Dréville.

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Illustration 1
scène d'"Antigone" © Simon Gosselin

Loin de la sophistication technique excessive de ses Démons à la Comédie Française qui, in fine, se retourne contre les acteurs, contre les spectateurs et donc contre lui-même (lire ici) , le metteur en scène Guy Cassiers associe intensément deux figures du théâtre qui accompagnent bien des récits depuis l’Antiquité  grecque: Antigone et Tirésias. La première avec Antigone à Molenbeek du flamand Stefan Hertman (texte traduit par Emmanuelle Tardif et publié aux éditions Castor Astral). La seconde avec Tirésias qui puise dans Hold your Own de l’anglaise Kae Tempest (traduit de l’anglais par D de Kabal et Louise Bartlett et publié dans la traduction de cette dernière sous le titre Etreins-moi/ Hold your own dans une édition bilingue aux Éditions de l’Arche). Un dispositif quasi identique pour les deux spectacles et, dans les deux cas, un accompagnement musical du Quatuor Debussy interprétant les quatuors à cordes n°8, 11 et 15 de Dmitri Chostakovitch, live pour les représentations à la MC93 dans le cadre du festival d’automne qui viennent de s’achever, et en version enregistrée (ou live selon les villes) par le quatuor Danel pour la tournée. En scène, une seule actrice. Ghita Serraj pour Antigone et Valérie Dréville pour Tirésias. On ne présente plus la seconde, la première, plus jeune, on l’avait découverte dans le sillage de Joris Lacoste et de son « Encyclopédie de la parole », elle était l’unique et formidable interprète de l’étonnant Jukebox (lire ici).

Si le titre de l’auteur flamand fait référence à Antigone, dans le texte, elle s’appelle Nouria. Elle est fille d’un marchand de meubles, étudiante en droit à Bruxelles. Son jeune frère, terroriste (pro-islamique devine-t-on), a été tué dans une explosion qu’il a provoquée. Elle veut le voir, récupérer son corps ou ce qu’il en reste, pour l’enterrer. C’est ce qu’elle demande à tous, à commencer par Monsieur Crénom, l’agent du commissariat de police de son quartier. (Echos entre "restes" et Oreste, Crénom et Créon, etc). Monsieur Crénom , je vous en supplie !/ Je veux le dépouillement...la dépouille/ de mon frère pour l’enterre, c’est tout » suppllie Nouria « Enfin, Nouria, comme tu y vas.../ On n’est pas au théâtre ici » réplique l’agent et il ajoute : « cette ordure ne mérite même pas ton chagrin ». Nouria va s’obstiner. Jusqu’à aller à la morgue, ouvrir les tiroirs aux corps congelés. Elle trouve un sac portant le nom de son frère, on l’arrête, on l’enferme....

Tout le texte est porté par la jeune actrice, des caméras disposées ici ou là la filme, un écran nous la montre en gros plan. La musique (les musiciens) accompagne(nt) les scansions du texte au flux continu rentrant peu à peu dans le corps de Nouria pour ne plus en sortir ou pour mieux l’enfermer.

Illustration 2
scène de "Tirésias" © Simon Gosselin

On retrouve le même dispositif pour Tirésias avec les mêmes adjuvants : jeu d’écrans, petite table équipée de caméras miniatures, aquarium remplie de neige où tremper ses mains, accoler son visage, etc. Le flux des mots n’est plus continu, il est plus heurté, plus complexe. Cassiers a fait un montage dans le texte éclatée en séquences de Kae Tempest. Tirésias est plus ouvert, vagabond, tout à tour enfant, homme, femme  et de nouveau homme. Citoyen et étranger comme Nouria. Personne autour d’eux ne les écoute vraiment. L’un et l’autre, du fond de leur solitude et de leur isolement nous questionnent. « Le langage vit quand tu le parles. Fais-le entendre. /La pire chose qui puisse arriver aux mots, c’est d’être inexprimés. / Qu’ils chantent dans tes oreilles, et dansent dans ta bouche, et se tordent dans tes tripes. Qu’ils fassent que tout se serre et scintille. / La poésie tremble isolée, saisie seulement pour être dépecée » écrit Kae Tempest.

Guy Cassiers avait créé ces deux monologues en octobre 2000 chez lui, au Toneelhuis d’Anvers. Il les a recréés cette année en version française aux Nuits de Fourvière en juin dernier puis au Festival d’Automne à la MC93 du 5 au 14 nov en version musique live et maintenant en tournée (musique enregistrée ou live selon les lieux, comme précisé ci-après ) : théâtre national de Bretagne, Rennes du 24 au 27 nov, au Maillon, Théâtre de Strasbourg du 1er au 3 déc, à Points communs -Cergy-Pontoise / Val d'Oise du 7 au 8 déc, à la Comédie de Valence (version live) les 5 et 6 janv, au Phénix de Valenciennes les 12 et 13 janv, à la Maison de la Culture d'Amiens (version live) les 17 et 18 janv, au Théâtre de Vidy-Lausanne du 26 au 29 janv, au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence (version live) les 2 et 3 fév.

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