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Et soudain Clara -qui jusqu’alors s’était peu exprimée et parlera peu- se lâche face à sa sœur Vera : « Tu me dégoûtes/ mais je suis là à t’écouter/ je l’ai promis/et tu as raison/ que puis-je faire d’autre/je suis livrée à vous C’est bien évident/que même pour l’anniversaire d’Himmler/ vous vous mettrez au lit ensemble/ après la deuxième bouteille de champagne/ Je n’ai même pas honte/Ma pauvre sœur ne peut absolument rien faire d’autre/ que de se soumettre à la folie du Président du tribunal/ son frère/ Tu es encore bien plus pauvre que moi/ Et tu ne le supportes/ que parce ce que tu es si menteuse/ encore plus perverse que ton frère/ encore plus basse que lui/ encore bien plus abjecte ». Ses lecteurs et les spectateurs de son théâtre auront reconnu le rythme, le ton, l’ambiance et le phrasé , bref le monde de Thomas Bernhard.
Nous sommes , le sept octobre, « le sommet de l’année « pour Rudolf , le frère, le jour où il s’apprête à revêtir son uniforme d’officier SS qu’il fût, pour honorer, force bouteilles à l’appui, la mémoire de son maître, Himmler. Le matin même, la bonne choisie sourde et muette, comme les précédentes, avait été congédiée pour la journée. On ne sortira pas de ce huis clos familial entre le frère et les deux soeurs.
Le troisième Reich vaincu, Rudolf a vécu dix ans caché avant de s’arranger avec la réalité. Rejeton d’une famille de juristes, il est devenu président d’un tribunal allemand et s’apprête à partir à la retraite. Sa sœur Vera et lui ont conservé intacte leur haine des juifs, « les Allemand haïssent les juifs : au moment même,où ils prétendent le contraire, /telle est la nature allemande » dit Vera. La pièce a pour sous-titre « une comédie de l’âme allemande ».
Clara a reçu une poutre qui lui a broyé les jambes lors d’un bombardement américain (« ennemi » dit Vera) ), paraplégique, elle ne quitte pas son fauteuil roulant. « Socialiste » comme la traite Vera avec dégoût, Clara ne partage pas les idées de son frère et de sa sœur, semblables à celles de leur père disparu mais sans doute éloignées de celles de leur mère qui s’est suicidée.
Pour la cérémonie rituelle du sept octobre, Rudolf revêt son uniforme de SS. L’année précédente, il avait exigé que Vera coupe à ras les cheveux de sa sœur et la revête d’une tenue de déportée. Mais cette fois Clara refuse de se livrer à ce simulacre. Elle sait aussi que ce soir là sa sœur couchera une fois encore avec son frère.
Ce dernier paraît à l’acte II. Clara s’efface. Jusqu’à la fin de l’acte où elle dira brièvement exécrer son frère et sa sœur . Rudolf : « des gens comme toi de notre temps nous les aurions tout simplement gazés ». Puis ajoute « je souhaite que tu crèves/ et nous laisse tranquille ».
Commence alors le troisième et dernier acte. Nous sommes en plein rituel du sept octobre. Une table rectangulaire à l’heure du dîner. A chaque bout Vera et Rudolf. Clara dans son fauteuil roulant est « au centre » note Bernhard dans une didascalie. Elle nous regarde de face. Elle ne dit rien. Elle ne dira rien quand après le feuilletage de l’album photo, la croyance en un autre avenir, etc. « Nous reviendrons bientôt au pouvoir » » dit Rudolf en s’adressant à Clara avant de lui mettre son revolver sur la tempe. Ivre le frère s’écroule terrassé par une attaque. « C’est de ta faute /Avec ton silence/ Toi et ton éternel silence » lance Vera à Clara. Comme il est bon de voir une pièce aussi implacable dans une période ou bien des spectacles semblent covidés ; étouffés
dans leur masque trop usagé, manquant d’ampleur, de rage et d’audace ou se réfugiant dans des formes gadgets..Comme elle croise , dans son miroir, notre actualité électorale
Entouré de collaborateurs familiers (Jacques Gabel au décor, Joël Hourbeigt aux lumières et Marie La Rocca aux costumes), c’est autour du silence de Clara qu’Alain Françon construit admirablement sa mise en scène. D’une part, en dirigeant avec maestria deux monstres de la scène, Catherine Hiegel (Vera) et André Marcon (Rudolf) portant chacun haut et fort la monstruosité de leur personnage. Et, d’autre part, en confiant le rôle peu parlant mais très présent de Clara à une néophyte de la scène (son premier rôle au théâtre), par ailleurs férue en cinéma des deux côtés de la caméra : la sidérante Noémie Lvovsky au rare et doux parlé, aux regards silencieusement assassins. En grand directeur d’acteurs qu’il est, Françon, aide les trois à cerner et suggérer la part d’énigme de leur personnage.
Notons que ce spectacle qui a toutes les apparences d’une production du théâtre public n’en relève cependant pas puisqu’ il est entièrement produit par le théâtre privé. Créé puis arrêté (confinement) Avant la retraite est enfin joué au Théâtre de la Porte Saint Martin que dirige Jean Robert Charrier (à qui il est arrivé de donner de beaux suppléments de vie à des spectacles du théâtre public comme Ça ira de Joël Pommerat). Souhaitons que cette version d’Avant la retraite de Thomas Bernhard par Alain Françon, soit accueillie, ici et là en France, dans des théâtres publics. D’où proviennent et où ont été entièrement produits les deux spectacles en ce moment à l’affiche du Petit Saint Martin : Stallone (lire ici) et Marilyn, ma grand-mère et moi (lire ici).
Théâtre de la Porte Saint-Martin, du mer au ven 20h, sam 20h30, dim 16h.
Le texte de la pièce de Thomas Bernhard, traduit de l’allemand par Claude Porcell est publié à l’Arche comme tout le théâtre de Thomas Bernhard.