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Billet de blog 16 novembre 2022

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Herculine, Alexina, Camille, Abel Barbin, d’un sexe l’autre

Catherine Marnas met finement en scène le journal d’Herculine Barbin exhumé des archives et édité en 1978 par Michel Foucault dans une éphémère collection titrée « les vies parallèles », ouvrage réédité et augmenté dans une nouvelle édition parue l’an dernier en poche avec une postface d’Eric Fassin. Yuming Hey, acteur-actrice genderfluid. excelle dans ce spectacle merveilleusement troublant.

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Illustration 1
Scène de "Herculine Barbin" © Pierre Planchenaut

Elle est née femme le 8 novembre1838 , elle-il est mort-e (suicide) homme, sans avoir subit ma moindre transformation physique. Elle-il a laissé un journal qui commence par ces mots : « J’ai vingt-cinq ans, et quoique jeune encore, j’approche, à n’en pas douter, du terme fatal de mon existence ». Herculine Barbin devenue Abel Barbin se suicidera dans la nuit du 12 au 13 mars 1868. Deux paragraphes plus loin, deux mots soulignés (l’un au masculin, l’autre au féminin) résument le drame de sa vie : « Soucieux et rêveur, mon front semblait s’affaisser sous le poids de sombres mélancolies. J’étais froide, timide et, en quelque sorte, insensible à toutes les joies bruyantes et ingénues qui font s’épanouir un visage d’enfant ». On comprend que la lecture des Métamorphoses , l’ait « singulièrement bouleversée » comme elle le note dans son journal.

Née en 1838 à Saint Jean d’Angely dans un milieu modeste et religieux, Herculine suit sa mère gouvernante, devient femme de chambre,obtient une bourse pour suivre une formation d’institutrice au couvent des Filles de la sagesse à Chateau d’Oléron. Devenue institutrice, son premier poste la conduit dans un pensionnat dirigé par madame Bastia qui a deux filles. Une relation amoureuse se noue entre Herculine, devenue Camille dans son Journal, et Sara l’une des deux filles, institutrice elle aussi. Le soir, les enfants couchés au dortoir, Camille va la rejoindre. Enlacements, baisers dont Sara peine à se détacher. ‘Que de fois je fis monter à son front, la rougeur de l’étonnement et de la honte ! ». L’idylle se poursuit, s’amplifie. Camille va connaître des douleurs à l’aine, des poils apparaîtront sur son visage. Un jour, après l’avoir examiné.e, un médecin lui dit « franchement, votre marraine a eu la main heureuse en vous appelant Camille. Donnez-moi la main, mademoiselle ; avant peu, je l’espère , vous vous appellerons autrement. » Puis il s’adresse à sa mère : « vous avez perdu votre fille, c’est vrai, lui dit-il ; mais vous retrouvez un fils que vous n’attendiez pas » écrit Herculine Barbin dans son journal.

L’archevêché demande à Camille de faire ses adieux à celle qu’elle aime. Camille s’exécute. « Plus tard, je devait me repentir amèrement de ce que je regardais alors comme un impérieux devoir. Le monde devait m’apprendre bientôt que j’avais fait acte de faiblesse stupide, et m’en punir amèrement ». Camille, devient officiellement Abel, est tenu de s’habiller en homme. L’affaire s’ébruite. Elle-il part pour Paris, y trouve un travaille. Les lettres entre Camille et et Sara se multiplient, (on ne sait ce qu’elles sont devenues). Bientôt Herculine-Camille-Abel perd son travail. Journal : « profondément dégoûté de tout et de tous, j’endure, sans en être ému, les injustices des hommes , leurs haines hypocrites. Elles ne sauraient m’atteindre dans le sûr retranchement où je m’enferme ». Elles l’atteignent, au contraire. En février 1868, on retrouve dans une chambre du quartier de l’Odéon le cadavre d’Abel Barbin, suicidé avec un réchaud à charbon. Sur une table son manuscrit.

Le livre préfacé par Foucault titré Herculine Barbin dite Alexina B n’eut pas beaucoup d’écho en France , il devint vite introuvable. Sa traduction américaine eut, elle, un considérable écho sous l’ impulsion de Judith Butler. Sous le titre Michel Foucault présente Herculine Barbin dite Alexina B. l e livre est aujourd’hui disponible en Tel-Gallimard, , augmenté du texte d’Oscar Panizza « Un scandale au couvent » reprenant romancée l’histoire d’Herculine, l’ouvrage s’achève par une éclairante postface d’Eric Fassin.

Foucault note : « Les souvenirs de cette vie, Alexina les a écrits une fois découverte et établie sa nouvelle identité. Sa « vraie » et « définitive » identité. Mais il est claire que ce n’est pas du point de vue de ce sexe en fin trouvé ou retrouvé qu’elle écrit. Ce n’est pas l’homme qui parle enfin, essayant de se rappeler ses sensations et sa vie du temps qu’il n’était pas encore « lui-même ». Quand Alexina rédige ses mémoires, elle n’est pas très loin de son suicide ; elle est toujours pour elle - même sans sexe certain ; mais elle est privée des délices qu’elle éprouvait à n’en pas avoir ou n’avoir pas tout à fait le même que celles au milieu desquelles elles vivait, et qu’elle aimait, et qu’elle désirait si fort »

Ces mouvements du corps et du cœur, le frêle Yuming Hey nous les donne à voir et à entendre avec une sensibilité et une acuité extrêmes. A ses côtés, le grand Nicolas Martel avec sa belle carrure donne la réplique étant tout à tour homme, femme, homme d’ordre et complice du désordre.

Un très beau travail orchestré par Catherine Marnas qui cosigne l’adaptation avec Procuste Oblomov, en y ajoutant délicatement des poèmes de Verlaine mis en musique par Léo Ferré tout en s’assurant la complicité de Vanasay Khamphommala et Arnaud Alessandrin.

Le spectacle créé au TNBA à Bordeaux que dirige Catherine Marnas est l’affiche du Théâtre14 à Paris, les mar, mer, ven à 20h, jeu 19h, sam 16h, jusqu’au 3 décembre.Il sera repris du 13 au 17 déceau TNBA puis le 9mais à Dax.Micehl Foucaut présente Hzercukline Barbin dite Alexina B , collection TEL-Gallimard, 260p,11,50€

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