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Billet de blog 17 mai 2023

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« Médée » à la Comédie-Française: les méfaits des effets

Lisaboa Houbrechts, artiste associée au Toneehuis d’Anvers,met en scène « Médée » d’Euripide à la Comédie-Française. Flanquée de sa servante, l’excellent Bakary Sangaré, Dephora Pondi défend avec force sa Médée. Quant au reste...Partenaires victimes d’une direction confuse, costumes insipides, décor aux effets toc, belle traduction de Florence Dupont par trop traficotée...

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Illustration 1
Scène de "Médée" © Vincent Pontet , coll. Comédie-Française

Une sorte de chasuble aux pans interminables monte dans les cintres de la salle Richelieu. Apparaît à son pied, Médée, imposante Sephora Pondi. Premier effet de toute beauté où tout s’accorde. La suite contredira cette belle entrée en matière. Aux pieds de Médée, sa suivante, qui rôde autour d’elle comme son chien, en rampant, en gigotant son texte, est incarnée par un homme, Bakary Sangaré. A cette inversion des sexes s’ajoutera celle de Jason confié à Suliane Brahim pour mieux « renverser la misogynie du texte » assure la metteuse en scène qui aborde la pièce d’Euripide par ses contours et non par son cœur, qui la contourne plus qu’elle ne l’affronte.

On connaît l’histoire, sordide et sublime comme un fait divers passionnel, depuis l’Antiquité  grecque. Elle a connu de multiples versions. Lisaboa Houbrechts a choisi celle d’Euripide traduite par Florence Dupont.

Jason a conquis la Toison d’or grâce à Médée. Deux enfants sont nés de leur union. Des petits. Créon le roi de Corinthe les accueille, il doit son trône à Médée qui a fait tuer son oncle par ses propres filles. Mais Jason répudie Médée pour épouser la fille du roi et dit vouloir s’occuper des enfants et leur assurer un avenir meilleur. Médée fait porter par ses deux jeunes enfants un cadeau à la future épousée : des vêtements empoisonnés qui la tueront ainsi que son père. Après quoi Médée tue ses propres enfants et, protégée par le roi d’Athènes, s’envole sur un char.

Loin de s’en tenir à la traduction choisie, celle de Florence Dupont dont on connaît la haute qualité, Lisaboa Houbrechts la biffe, la découpe en morceaux , ajoute ici, retire là, on s’éparpille. Et les personnages, hormis celui central de Médée, y perdent de leur puissance et ils ne doivent pas compter sur leur costume souvent malhabiles.

Un exemple résume assez bien l’esprit de cette mise en scène, c’est la façon dont est traitée la mort des enfants. Dans la pièce, Médée sort de scène avec un couteau et va dans la maison. « Tu entends le cri ? Tu entends les enfants?Io La malheureuse ! Io » clame le chœur. On ne voit pas les enfants qui, « dans la maison », demandent à être sauvés, on ne voit pas le double meurtre. Dans la mise en scène de Lisaboa Houbrechts ont voit le meurtre ou plus exactement ont voit deux ballons gonflables comme on en achète dans les fêtes foraines tenir lieu d’enfants. Médée les écrase entre ses mains et ils explosent entre ses jambes. Aussi gadget que glauque.

Bref, les acteurs et non des moindres (Didier Sandre, Serge Bagdassarian, Suliane Brahim, Marina Hands , Anna Cervinka) et les autres ne sont pas à la fête. Quand au décor, en matière de pesanteur li, la palme revient aux vêtements d’enfants séchant sur un fil en travers de la scène et montant dans les cintres après avoir fait de la figuration. On frise le pathétique.

Alors, en sortant de la salle Richelieu, on se remémore d’autres Médée, celle de Laurent Fréchuret pour lequel Florence Dupont avait traduit la pièce et où la grande Catherine Germain interprétait Médée, celle de Christian Esnay avec Marie Desgranges. Et puis comment ne pas citer la Médée Matériau  de Heiner Muller dans une mise en scène d’Anatoli Vassiliev avec Valérie Dréville dans le rôle titre, l’un des spectacles les plus inouïs qu’il m’ait été donné de voir.

Comédie Française, salle Richelieu, en alternance à 14h ou 20h30 selon les jours, jusqu’au 24 juillet .

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