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Billet de blog 17 mai 2023

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Plaidoyer en acte pour ceux et celles qui entendent des voix

Gérard Watkins a écrit et mis en scène « Voix » à partir de travaux de psychiatres hollandais sur ceux et celles qui entendent des voix ainsi qu’à partir d’improvisations avec de jeunes acteurs et Valérie Dréville. Une étrange et fascinant voyage.

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Illustration 1
Valérie Dréville dans "Voix" © Christophe Renaud de Lage

Qui n’a pas entendu une voix, au fond de soi-même, dire dans une forêt où l’on s’est perdu « prends le premier chemin à gauche, c’est le bon » ; ou bien, un soir de grosse déprime, alors que l’on marche dans la rue, entendre la voix dire « ferme les yeux, compte jusqu’à trois et traverse ». Ces voix, autant subjectives qu’imaginaires, peuvent devenir plus intenses et constantes chez certain.e.s : les entendeuses et les entendeurs de voix. C’est là le sujet de Voix, le nouveau spectacle de Gérard Watkins. Pour l’écrire, il s’est appuyé sur la littérature des « Réseaux des entendeurs de voix » nés aux Pays-Bas et il y a une vingtaine d’années, réseaux menés par des psychiatres qui entendent sortir ce phénomène ou cette pathologie du carcan de la schizophrénie et des lourds traitements médicamenteux.

La pièce, basée sur cette documentation, a été construite à partir de séances d’improvisations reproduisant, en le biaisant, le dispositif d’un groupe de paroles. Les entendeurs de voix sont sur le plateau, le psychiatre ou écouteur-questionneur ou auteur est dans la salle, invisible, et sa voix (bien réelle, elle) intervient ici et là (rôle tenu par l’auteur et metteur en scène du spectacle, Gérard Watkins). Nous, dans la salle, sommes les spectateurs-voyeurs de ce dispositif fictif, mais aussi les spectateurs d’un spectacle joué dans un ptremier mouvement par Lucie Epicureo, Marie Razafindrakoto et Malo Martin, deux jeunes actrices et un acteur sorti.e. s des écoles nationales, avant que, dans un second mouvement, n’arrive celle que l’on ne présente plus, Valérie Dréville. C’est comme une revue de music-hall de naguère:la première partie présente des artistes en devenir chargés de chauffer la salle avant l’arrivée de la star dans la seconde partie et un final réunissant tout le monde.

.C’est ainsi qu’ à travers leur personnage, Lucie, Malo et Marie puis,plus longuement, Valérie, racontent comment cette voix qu’ils entendent -chacun la sienne- les perturbent, les oblige à effectuer des actes, etc. Une dépossession de soi. Manon vit à demeure dans une institution médicale, la voix qu’elle entend est plutôt bienveillante ; Eloïse entend deux voix, l’une d’un homme plaintif, l’autre d’une femme qui attire le malheur, Clément lui est l’esclave d’une voix mauvaise qui lui intime de faire du mal. Trois histoires qui nous facilitent l’entrée dans la voix entendue par Dréville, plus développée, comme un chemin d'embûches et de bifurcations. L’actrice qui se souvient de ses années Vitez autant que de ses années Vassiliev est passée maître pour dire l’incertain, l’improbable, la poésie des bords extrêmes, tenant en main un prospectus qui longtemps ne la quitte pas, se livrant à des jetées de bras, des changements vifs du visage. Son phrasé timbré lance les paroles comme des bouées, nous prenant comme par la main, l’actrice nous entraîne avec elle dans ce monde comme parallèle.

Dans une dernière partie du spectacle, tout se renverse dans une embardée carnavalesque collective, un exutoire, une porte de sortie. Gérard Watkins, grand ordonnateur de la soirée, déboule du gradin pour venir saluer avec les actrices et les acteurs. Dans le programme, il cite aussi bien un entretien de Zinédine Zidane paru dans France Football (une nuit le footballeur s’est réveillé et a entendu une voix des heures durant, « j’étais comme interdit devant cette force qui me dictait ma conduite ») que Virginia Woolf dans sa lettre d’adieu à son mari (« je commence à entendre des voix et je ne peux pas me concentrer ».

Théâtre de la Tempête jusqu’au 21 mai 20h, dim 16h.

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