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Nous avons l’immense tristesse de vous informer que l’artiste inclassable Yves Noël Genod a décidé de mettre un terme à sa carrière publique d’artiste indépendant foisonnant. Le faire-part, comme il se doit, a pris la forme d’une performance titrée Titanic, hélas . A la mi novembre, trois avant-premières avaient réuni ses proches et ses fidèles à la POP. Ses adieux vont officiellement se dérouler en trois séances, toujours à la péniche de la POP , devenue ainsi l’immense sarcophage de son ultime apparition.
Ceux qui ne pourront pas venir à la POP, peuvent toutefois consulter l’intégralité de son texte d’adieu sur son blog le dispariteur, voire lui envoyer un mail ému et reconnaissant à ledispariteur@gmail.com.
Ce n’est ni atteint pas l’âge et ses limites, ni rongé par une maladie sans retour, ni parce que son inspiration se serait tarie au coin d’un feu de bois de paillettes, ni parce qu’il en aurait fini avec son dialogue infini avec Marguerite (Duras), Claude (Régy) et quelques autres, mais plus probablement, comme il le laisse entendre, parce que les lieux ayant accueillis ses divines divagations sont en voie de disparition (la directrice de La ménagerie de verre n’est plus, José Alfarobba a quitté le Théâtre de Vanves depuis longtemps, etc.) et parce que bien des producteurs, auront une fois de plus troqué leur curiosité contre une abyssale paresse. Ainsi va la vie en Macronie, à l’aube de l’effondrement du monde.
Après avoir participé naguère à trois spectacles de Claude Régy, un spectacle du Théâtre du radeau et quelques autres, après avoir engrangé les propos des artistes amis sus-nommés (Claude & Marguerite) constituant ainsi un répertoire infini de sublimes citations, Genod devenu YNG , s’était lancé, au début des années 2000 (en 2003 précisément, il a vingt ans donc) dans des spectacles, seul ou entouré d’amis célèbres ou inconnus. Le premier, à Nantes, avait pour titre En attendant Genod. Premier d’une série que l’on croyait infinie jusqu’à ces derniers jours. Et puis, parallèlement, vinrent aussi ses stages, nombreux et variés, à Paris ou ailleurs, à propos d’un auteur ou autour de rien, entre danse et théâtre, les derniers encore récemment au Carreau du temple, il y avait foule.
Circulant entre la danse, le théâtre, la performance, jusqu’à ces derniers jours il voguait de ci de là, avec sa haute silhouette, ses longs cheveux blonds, sa voix un rien fluette et étrangement douce, ses bras d’albatros. Il sut aussi s’entourer d’artistes amis d’un soir ou complices de presque toujours. De Valérie Dréville à Jean-Paul Muel en passant par Marlène Saldana ou Kate Morane, la liste est longue. On le vit prendre Hamlet entre ses bras, adorer Baudelaire comme personne avant lui, faire entrer Tchekhov dans un café de Pantin ou lire Proust derrière une petite table au Théâtre des Bouffes du Nord, une demi-saison on lui donna les clefs d’un théâtre à Lyon. Il promenait partout comme il le dit dans Titanic, hélas « son bonheur d’être triste ».
YNG avait aussi l’art des titres glamours : Pour en finir avec Claude Régy, Chic y accident, Remise Venise, Hamlet unlimited, Leçon de théâtre et de ténèbres, Ier avril, Un petit peu de Zelda (ah la sublimissime soprano Jeanne Monteilhet) …C’était un homme de tribus non de collectifs, il n’aimait rien tant que de réunir autour de lui de belles singularités.Aucun spectacle ne ressemblait au précédent mais il les nimbait tous d'une atmosphère particulière, une douceur aigre-douce, un indéfinissable je ne sais quoi.
Titanic, hélas est aussi un patchwork de citations, de Barbara à Walt Whitman (cherchez-les), cela commence ainsi :
« J’ai pensé que j’avais plus grand chose à vous dire, que je vous avais déjà tout dit. Et j’ai pensé aussi que vous m’aviez-oublié et que mon métier était de répéter les choses, mais que je n’avais plus envie de les répéter. J’ai pensé que j’allais peut-être faire tout un tas d’autres choses que ce métier dorénavant. Après tout, j’avais formé des gens, j’avais eu — moi aussi — mon petit conservatoire de Mireille — où pas mal de monde était passé…La situation, avouons-le, n’est plus — aux p’tits gars comme moi, non, la situation est aux lesbiennes ! C’est normal. Quand je suis arrivé à Paris… c’est bien simple, moi, j’ai cru que tous les garçons étaient gay. Ils étaient partout… les parcs, les ministères… Ils étaient la mode, l’art, la culture, le sexe, la vie, la fantaisie, le désir. « Immoral comme le désir », on disait à ce moment-là. Et je me suis dit, je m’en souviens : « Quid des lesbiennes ? » On les voyait pas, elles ne faisaient pas partie du tableau, si vous voulez. Elles étaient, oui, le mot est juste : in-vi-si-bi-li-sées. Vingt ans après, toutes les jeunes chanteuses sont lesbiennes, bon, la tendance s’est renversée et c’est normal. Je veux dire, ça fait un moment déjà que, tous les vingt ans, ça se renverse. Peut-être que, maintenant, ça s’accélère, (...) ».
Au moins, aura-t-il eu l’immense privilège de lire sa nécrologie, de son vivant.
Titanic, hélas, à la POP (61 Quai de Seine, à Paris ), les 25 et 26 nov à 19h30, le 27 à 15h30. Places limitées, réservez.