« Viendra un jour.
Viendra le soir où je ne souhaiterai pas me réveiller.
Ce soir-là, le cinéma m’aura quitté.
Je ne pourrai pas remplacer Rex Harrison auprès de Gene Tierney ; prendre madame de… dans les bras pour une valse sans fin; m’installer avec Claude Dauphin dans la cuisine sordide de Gaby Morlay ; aller gambiller au Paradis de la Danse ; rejoindre Damia au moment ou Inkijinoff lui présente Gina Manès ; devenir un mouton à la mort de Bathazar ; accompagner Gaby Morlay jusqu’au cimetière dans une lumière d’outre-tombe ; récupérer l’étoile de mer que Ledoux doit remettre à Gabin de la part de Morgan ; pleurer avec Deborah Kerr face à Gary Grant ; ramasser les souliers de Marlène abandonnés dans le Sahara ; refermer la porte sur John Wayne, prisonnier du désert ; dégringoler la colline avec Keaton poursuivi par nos fiancées en folie ; aboyer avec Darrieux lorsqu’on s’occupe d’Amélie ; jouer les trouble-fêtes dans la mansarde de Miriam Hopkins ou voler comme elle à Venise ; empêcher Gene Tierney de se perdre à Shanghaï dans le bras de Victor Mature ; ressouder le vieux couple Victor Moore/Beulah Bondy ; soulever Cyd Charisse à la place de Fred Astaire ou de Gene Kelly ; être le pêcheur à qui s’adresse l’intendant Sansho ; ou le valet de chambre de Boyer à Mayerling ; épier Darrieus, légèrement vêtue, chantant « Une charade »; la réveiller de son cauchemar lors de son retour à l’aube. »
C’est avec ces lignes magnifiquement amoureuses que Paul Vecchiali ouvre le dernier chant du second volume de ses monumentales mémoires (plus de 1200 pages) parues l’an dernier : Le cinéma français émois et moi . Le premier volume Approches raconte l’histoire de sa double famille, les Vecchiali et les Raffali, ses années à l’Ecole polytechnique, jusqu’à ses premiers films.
Le second volume Accomplissements, l’histoire de sa société de production Diagonale et de ce qui s’en suivi comme films, les siens et ceux des autres ,jusqu’à sa dissolution, la naissance d’une nouvelle société de production Dialectik en 2014, jusqu’à ses derniers tournages. Son décès a été annoncé par son compagnon depuis des lustres, le producteur Malik Saad
Dans ces deux volumes, les seuls mots écrits en gras et en capitales sont les titres des milliers de films vus au fil de sa vie, pour certains chroniqués dans des revues de cinéma comme Les Cahiers , les titres de ses propres films et ceux des autres pour certains coproduit par Diagonale comme ceux de Jean-Claude Biette pour ne citer que lui, ou de Chantal Akerman pour ne citer qu’elle. Il avait aussi aidé Jean Eustache à réaliser ses premiers films.
L’infatigable Paul a également signé une énorme dictionnaire L’encinéclopédie consacré aux films tournées en France dans les années 30 et le début du parlant, un livre personnel qui ne se veut nullement objectif mais bel et bien subjectif. Vecchiali fera également quelques petits tours au théâtre, jusqu’à mettre en scène un spectacle à la Comédie Française, par amour des comédiennes et des comédiens , mais sans jamais s’éloigner du cinéma. Il tournera aussi des séries pour la télévision dont les cachets lui serviront à financer ses films.
Corps à cœur (1978), titre d’un de ses plus beaux films, aurait pu être celui de presque tous les autres. Une histoire d’amour en un garagiste du Kremlin Bicêtre et une pharmacienne bien plus âgée que lui. On y retrouve deux actrices fétiches, Sonia Saviange et Hélène Surgère (déjà présentes dans d’autres films comme le sublime Femmes femmes en 1974), et un acteur fétiche lui aussi, Nicolas Silberg « « Corps à cœur, c’est le film que je rêvais de faire quand j’étais gosse. Les mélodrames des années 1930 sont vraiment les films qui m’ont fait vibrer et donné le secret désir d’en fabriquer moi-même. Le point de départ du film, la chose la plus importante, c’est le Requiem de Fauré œuvre qui aborde le thème de la communication entre les vivants et les morts. Mais je crois que malgré tout Corps à cœur est plus près du populisme que du mélodrame. Je m’y suis surtout efforcé, avec un regard d’aujourd’hui, de restituer l’univers des films de René Clair, Marcel Carné et Pierre Prévert. Je dois dire que si le scénario s’est enrichi dans ce sens, c’est grâce à la complicité d’hélène Surgère » disait-il
On retrouve les deux actrices et l’acteur aux côté de Danielle Darrieux dans En haut des marches (1983) : « « J’ai essayé, avec En haut des marches, de faire le portrait d’une femme détruite par la guerre et qui tente de renaître de ses cendres. Quand j’étais enfant, j’étais frappé par les contradictions apparentes que je décelais chez ma mère : faiblesse physique mais énergie considérable… Autant de goût pour la rêverie que pour le travail… Courage imperturbable devant l’adversité et peur de tout… Frivole et concrète. Extrêmement sévère pour son entourage, elle était intransigeante pour elle-même. Ce qui ne l’empêchait pas de distribuer du plaisir et du bonheur autour d’elle. Le film, je le souhaite un hommage à ma mère et, plus généralement, à l’obstination de tous ceux qui ont organisé pendant la guerre, face aux écroulements du monde, l’âpre résistance du jour le jour, en veillant farouchement à la survivance matérielle et spirituelle des enfants »
Deux ans plus tard, il signe deux films Trous de mémoire et Rosa la rose, fille publique avec une autre des ses actrices fétiches, Marianne Balser. Il faudrait aussi citer Nicole Courcel et d’autres encore. En 1988 cela sera Le café des jules autour de Jacques Nolot avec, comme souvent, la musique composée par Roland Vincent, la prise de vue signée Georges Strouvé et celle du son Antoine Bonfanti.
A 85 ans, dans son film Le cancre, Vecchiali joue le rôle d’un vieillard qui se souvient d’un amour de jeunesse (Catherine Deneuce) malgré les femmes qui l’entourent. Le film sera invité à Cannes, Deneuve fera faux bond mais Vecchiali descendra les marches avec les autres actrices du film (Edith Scob, Françoise Arnoul, Françoise Lebrun, Marianne Basler et Annie Cordy) comme il le raconte dans ses mémoires.
Dans Pas...de quartier sorti au printemps dernier, tout ce passait dans un cabaret, où l’amour entre hommes est plus fort que la trahison, à la fin un groupe d’extrême droite assassinait le metteur en scène. En 1961, son tout premier film aujourd’hui perdu, avait pour titre Les petits drames…,
Le cinéma Français émois et moi, Editions Libre et solidaire I Approches,776p 38,50€ II Accomplissements, 472p, 33,50€