
Depuis plusieurs spectacles, Bernard Sobel n’en finit pas de ne pas en finir avec l’ Empédocle d’Hölderlin. Pas à pas, il l’accompagne jusqu’au au bord de l’Etna. (Il s'y jettera, on ne retrouvera qu’un soulier dit la légende). Sobel s’était d’abord arrêté prendre pension au château de Kafka, dire bonjour ou plutôt adieu à Amélia (lire ici) . Et puis, rasséréné, son bâton de berger du théâtre en forme de livre entre les mains, il a repris la route. Empédocle l’attendait au carrefour des trois sentiers. Depuis, ils font route commune.
De l’étroite scène du 100 rue de Charenton où Empédocle et son disciple Pausanias devisaient, Bernard Sobel a gagné une salle bien plus ample dans le bois de Vincennes. Passé les cuisines de Mnouchkine, il a établi son campement au Théâtre de l’Epée de bois.
Pas de falbalas. Une scène nue, au sol comme patiné par le passage de maints spectacles. Quand le public entre, des mains habiles finissent d’accrocher un calicot où l’on peut lire en grandes lettres : « hommage à François Tanguy ». Connivences entre deux travailleurs de force du théâtre, de générations différentes, mais mus par une commune exigence perpétuelle .Le calicot est hissé dans les cintres qui n’en sont pas, le spectacle peut commencer. Son titre ? La mort d’Empédocle. On est prévenu, aucun suspens. Un cheminement ultime.
« Ceci est son jardin ! Là dans le secret/ de l’ombre où jaillit la source, Il était là » dit Panthéa interprétée par la fidèle Valentine Catzéfils. Elle s’adresse à Délia interprétée par Julie Brochen dont les élèves du théâtre école Thélème entreront bientôt en scène pour former le chœur du peuple. Panthéa est pétrie d’admiration envers Empédocle, Délia plus réservée. Entrent Hermocrate (Marc Berman, en alternance avec Claude Guyonnet) ) et Critias (Gilles Masson), le père de Délia, eux se méfient d’Empédocle, jalousent aussi sa proximité avec les Dieux. Ils décident de convoquer le peuple pour qu’Empédocle expie « l’heure funeste où il s’est pris pour un Dieu ». Ils sortent.
Entre, enfin, Empédocle interprété, de façon d’autant plus habitée et bouleversante que dénuée de tout artifice, par l’admirable Mathieu Marie qui nous avait déjà ébloui rue de Charenton. « J’étais aimé, aimé de vous , les Dieux » dit-il . Pausanias ( remarquable Laurent Charpentier ), son disciple, rejoint « l’être d’exception » Le prêtre, le peuple et les autres arrivent pour prononcer « l’anathème sacré ». Empédocle demande à ce qu’on lui accorde « de poursuivre en silence le sentier que je suis,/ Jusqu’au bout, le sentier silencieux de la mort » L’anathème et prononcé et vaut aussi pour Pausanias. Empédocle fait ses adieux aux trois esclaves qui le servent et le vénèrent.
A l’acte deuxième nous retrouvons Empédocle et Pausanias dans une cabane non loin de l’Etna. A l’acte troisième, Empédocle demandera à Pausanias, de le quitter. Son disciple finira par obéir à contre cœur. Surgira enfin le vieux Manès (Asil Raïs) « ...un mortel comme toi/ envoyé à temps,à toi qui t’imagines/ Le Préféré du Ciel, pour te nommer/Du Ciel la colère, du Dieu qui n’est pas désoeuvré. » Deux vieilles connaissances, l’un encore vivant, l’autre presque déjà mort.
Pausanias part enfin. Resté seul, Empédocle lui adresse ces derniers mots ambigus : « Laisse-moi maintenant, Quand là-bas/Je jour sera couché, c’est alors que tu me reverras ».
Du grand théâtre à mains nues. Hölderlin, dit-on, s’identifiait à Empédocle. Le spectateur, dont l’imagination est sans bornes, peut imaginer que Bernard Sobel s’identifie à la fois au poète et à son héros.
Cartoucherie, Théâtre de l’Epée de bois, du jeu au sam 21h, sam également à 16h30 , dim à 16h30, jusqu’au 5 février.