Musique : l’Asie centrale sans frontières en deux concerts
- 27 sept. 2018
- Par jean-pierre thibaudat
- Blog : Balagan, le blog de Jean-Pierre Thibaudat
L’Histoire est remplie de conflits entre des territoires dont les contours ont été dessinés par des traités ou des despotes ; la musique, elle, ne connaît pas de frontières. En Asie centrale peut-être plus qu’ailleurs. Bien malin celui qui tenterait de délimiter l’étendue du maqâm, même en construisant des murs. C’est pourquoi, ce passe-frontières qu’est Soudabeh Kia, l’illustrissime programmatrice des musiques dites traditionnelles de cette zone du monde au Théâtre de la Ville (et ailleurs), a eu la bonne idée de bricoler un week-end Asie centrale qui, en deux concerts, va voyager dans quatre pays.
D’abord samedi en Ouzbékistan avec l’impressionnante Yulduz Turdieva, jeune chanteuse de 33 ans qui a vu son enfance bercée par la musique. Le virus l’a très tôt contaminée et son talent n’a pas mis longtemps à se confirmer au sortir du conservatoire de Tackhent. On avait pu s’en rendre compte lorsqu’elle était venue en France pour la première fois en 2013 au Théâtre de la Ville qui n’était pas encore en travaux. On avait pu apprécier son talent multiple qui va des airs les plus classiques à une musique populaire à briser les cœurs comme celle des mavregi d’origine persane.

Dimanche, on partira du Kazakhstan pour gagner l’Iran. Au Kazakhstan, on dénombre plus de cent mots pour qualifier la robe d’un cheval mais il n’y a qu’un mot, dombra, pour désigner le luth à deux cordes qui est comme une carte d’identité du pays. Vous avez le mal de votre mère, vous pleurez un amour enfui, vous attendez que l’être aimé vous fasse signe, votre cœur se serre en pensant à un proche disparu, la dombra est là pour vous consoler, boire vos larmes et vous entraîner dans ses effluves enchanteresses. Et quand une voix accompagne la dombra comme celle d’Uljan Baybusinova, vous oubliez tout. Venue au Théâtre de la Ville une première fois en 2000, ce fut une belle découverte. Si les épopées épiques sont chantées le plus souvent par les hommes, Uljan s’est immiscée dans ce genre au long cours avec sa voix aux inflexions multiples qui court la steppe, passe le gué des rivières et galope vers les sommets. Pour l’accompagner, que du beau monde : Raushan Orazbayeva, virtuose du kobyz (vièle à trois cordes), Murat Abugazi à la dombra.
Tout le monde ne peut pas s’appeler Oghlan Bakhshi (traduction libre : le fils devenu maître ou l’élève devenu professeur). C’est ainsi que tous les turkmènes d’Iran appellent Mohammadgeldi Geldinejad, et le plus étonnant c’est qu’il n’a que 25 ans. Les Bakhshi sont des bardes qui portent dans leur mémoire et dans leurs muscles une vieille tradition de contes et de poèmes chantés. Il était déjà venu à Paris à l’abri de grands maîtres en 2014 ; le voici propulsé à l’avant de la scène pour sa première tournée européenne. A ses côtés, le non moins jeune et très doué Yalda Abbasi, 24 ans. Il vient, lui, du Khorassan, au nord-est de l’Iran, région férue en musiciens, il chante et joue du dotar.
Point commun entre ces différents artistes d’Asie centrale : leur jeunesse. La relève est assurée, l’enchantement continue.
Théâtre des Abbesses, samedi 16h, dimanche 15h.
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