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Billet de blog 2 février 2025

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« Économie de la connaissance » ou savoirs émancipateurs : un choix politique

Comment sortir de « l’économie de la connaissance » qui pèse sur les enseignements et le destin des élèves et faire de l’école le lieu d’acquisition par toutes et tous des savoirs émancipateurs ? Cette question est au cœur du dernier dossier des Carnets rouges.

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Si les « savoirs fondamentaux » sont très présents dans les discours ministériels et politiques, si l’économie de la connaissance est solidement installée dans la géopolitique, portée par de multiples déclarations comme la « stratégie de Lisbonne » adoptée en 2000 par l’Union européenne, préconisée par des organisations internationales comme l’OCDE, il n’en va pas de même des savoirs émancipateurs.

C’est l’intérêt de la dernière livraison des Carnets rouges[1] de questionner ce que l’économie de la connaissance fait aux savoirs et de se demander comment il est possible aujourd’hui de préserver la neutralité de l’école comme y appelait Lucie Tanguy dans un article republié dans ce numéro, de mettre les savoirs scolaires et les parcours de formation à l’abri de toute instrumentation, de penser la formation des enseignants, les apprentissages des élèves non pas au travers d’informations sur les savoirs mais d’une mise en culture des savoirs en évitant de répondre à des questions que ne se sont pas encore posées les élèves. « Rompre avec les évidences, mettre en relation, s’inscrire dans une histoire » comme nous y invite Jacques Bernardin, président du GFEN, c’est sans doute le moyen de penser autrement la transmission/appropriation des savoirs. Les choix politiques sont simples. Selon Samy Johsua, il s’agit de répondre à trois questions fondamentales : « Qui est scolarisé et comment ? Quels savoirs sont étudiés ? Et comment le sont-ils ? » Si l’on souhaite l’acquisition d’une culture commune, il faut s’entendre sur le choix des savoirs dispensés, et donc de ce qui constitue les disciplines scolaires, dont les choix et articulations varient selon les pays et les époques, ce qu’on perd de vue souvent. Et, en même temps, il faut permettre la diversité dans le commun. Chantier de taille que la plupart des décideurs politiques gardent précieusement sous le tapis.

La question du « comment » est essentielle quand on vise des savoirs émancipateurs. Etre fidèle au projet de Condorcet, c’est garder à l’esprit que « le but de l'instruction n'est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l'apprécier et de la corriger...» et favoriser systématiquement une approche critique des savoirs. Approche critique à cultiver dans la conception des disciplines scolaires, dont Patrick Rayou nous rappelle qu’elles sont des construits sociaux qui n’échappent pas aux enjeux de maîtrise des savoirs et qu’elles peuvent ainsi servir la reproduction et l’aggravation à l’école des inégalités sociales. Elles doivent donc faire l’objet d’un examen critique permanent de leur pouvoir émancipateur.

On est à mille lieues ici des efforts subordonnant la formation initiale et continue à l’économie, dénoncés par Jean-Marie Canu et Francis Vergne, comme de l’adéquationnisme des formations au marché du travail, justification permanente de réformes, dont les scientifiques démontrent régulièrement l’aspect fictionnel, comme le rappelle Fabienne Maillard, réformes notamment de l’enseignement professionnel, dont Caroline Renson démonte les bricolages successifs. A mille lieu également des diktats de la « compétence » et de « l’innovation » qui visent à imposer la loi de la valeur économique dans le champ des savoirs, ce que souligne Christian Laval.

Faire pièce à cette pression économique sur les enseignements est possible. Dans sa contribution, Cédric Naudet propose, pour enseigner la géographie, une approche réflexive et ancrée dans les pratiques sociales, appuyée par quelques exemples concrets de mise en œuvre.

On est en ici plus proche de l’appel à l’audace lancé par les auteurs d’Oser une école commune, Savoir et agir pour faire société[2], qui plaident pour une École qui soit celle du savoir, du savoir agir et du savoir vivre en société, qui fasse vivre une culture démocratique et solidaire. La deuxième partie de l’ouvrage propose ainsi quelques exemples de rupture en actes avec l’École de la reproduction et de la ségrégation.

Plus proche aussi de l’appel lancé à une évaluation émancipatrice lancé par les auteurs d’ Évancipation dans l’institution[3] qui promeuvent une évaluation qui émancipe les acteurs, à commencer par les élèves et les personnels qui les forment au lieu des contrôler et de les brider. « Derrière tout élève, ou tout formé, y écrit Charles Hadji, il y a une personne, à respecter absolument. Mais faut-il vraiment obéir à cet impératif ? Il le faut, en tout cas, si l’on veut pouvoir parler d’évancipation, c’est-à-dire d’évaluation émancipatrice ! Il y a bien un choix, fondamental, à faire. Que chacun choisisse son camp ! »

Savoirs émancipateurs, évaluation émancipatrice, deux piliers de l’école d’une société solidaire et démocratique dont les fondations se dessinent déjà dans des pratiques conduites dans l’école d’aujourd’hui, mais non dans la politique des savoirs héritée du passé renforcée par les ministres successifs de ces dernières années.

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[1] https://carnetsrouges.fr/numeros/numero33/

[2] J-P Véran & R Malet, Oser une école commune, Savoir et agir pour faire société, Berger-Levrault, Collection Au fil du débat Essais, 2025.

[3] J-F Marcel et C Grémion (Dir), Évancipation dans l’institution Oser le rapprochement entre émancipation et évaluation, Cépaduès Éditions, Collection L’esperluette Éducation & Formation, 2025

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