Le protocole sanitaire renforcé et de continuité pédagogique publié par le ministère de l’éducation nationale le 5 novembre[1] prévoit que « chaque lycée met en place un plan de continuité pédagogique qui garantisse au moins 50% d’enseignement en présentiel pour chaque élève (…) Tous les élèves doivent travailler pendant la totalité du temps scolaire ordinaire, que ce soit en cours, en classes virtuelles ou en autonomie. Les modalités d’organisation sont laissées à l'appréciation des chefs d'établissement : l’accueil en demi-groupes ; l’accueil par niveau ; le travail à distance un ou deux jours par semaine ».
En ce jour de rentrée de janvier, la situation est inchangée dans les lycées, ce qui signifie que certains d’entre eux assurent 100% d’enseignement présentiel à leurs élèves, d’autres 50%, d’autres encore entre 50 et 100%. Quant au travail à distance pour les lycées qui n’assurent pas 100% d’enseignement présentiel, le recours aux classes virtuelles est bien moins fréquent que celui à l’autonomie. On sait ce qu’il en est de l’autonomie à la suite du premier confinement : elle est propice au décrochage non seulement des plus fragiles, mais aussi de tous ceux qui ne trouvent pas les moyens personnels et techniques de travailler de cette manière. On peut donc dire que la crise sanitaire et ses conséquences sur l’organisation de la vie des élèves renforcent à leur égard l’inégalité de traitement.
La fiction de l’égalité des chances repose sur la croyance que, tous les élèves et tous les professeurs étant semblables et interchangeables, une heure de cours ici vaut une autre heure de cours là. Comme, en principe, les élèves reçoivent, où qu’ils soient scolarisés, le même nombre d’heures de cours dans chaque discipline ou spécialité, l’égalité des chances affichée peut paraître assurée. Mais cela n’est plus le cas quand les élèves, justement, ne reçoivent plus, des mois durant, le même nombre d’heures d’enseignement. Pour les élèves de terminale, la question est encore plus brûlante : comment vont se dérouler les admissions en classe préparatoires aux grandes écoles, en sections de techniciens supérieurs, à l’université ? Quel sens donner encore au baccalauréat attribué dans ces conditions ?
Cette situation, si contradictoire avec le principe d’égalité de traitement, est l’occasion d’interroger notre modèle de formation et de certification.
D’une part, peut-on croire encore à la fiction entretenue d’un diplôme national, quand la réalité du parcours scolaire des lycéens est si diverse sur le territoire ?
D’autre part, quel sens peut avoir la moyenne des notes obtenues indispensable pour obtenir ce diplôme, quand elle ne dit rien, finalement, de ce que le titulaire dudit diplôme maîtrise ? Outre la question de la validité des notes d’examen, qu’aucun dispositif de double correction effective ne garantit, laissant la main à l’aléatoire, celle du sens d’une moyenne qui permet à du grec ancien de compenser une insuffisance en mathématiques est posée depuis longtemps, sans être jamais remise en question.
On touche ici à la question de fond : une moyenne permettant de distinguer ceux qui sont « admis » de ceux qui ne le sont pas est effectivement discriminante en terme de sélection (on "réussit" ou on "échoue"), mais elle ne dit absolument rien de ce que l’élève a effectivement acquis. On est bien loin de ce qui se passe dans d’autres pays, où l’on propose aux élèves plusieurs niveaux d’épreuves permettant de faire un bilan représentatif de ce que chacun a acquis, sans système de compensation généralisée. On lira a ce propos avec intérêt la fiche Evaluation des élèves et curriculum[2], illustration parmi d’autres du désordre régnant dans les savoirs scolaires.
La crise sanitaire et ses conséquences sur la formation scolaire des élèves pourraient être l’occasion salutaire d’aborder certaines questions taboues dans le débat éducatif français.
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