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Billet de blog 6 juil. 2009

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Origines du christianisme : histoire de la recherche (1)

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Ayant terminé récemment une série d'articles consacrés aux origines du christianisme, sous le titre générique du "Le paradigme historico-théologique), commencée en décembre 2008, à l'occasion des émissions diffusées par Arte, intitulées Apocalypse (Mordillat et Prieur), j'entreprends aujourd'hui, sur un thème proche, la publication d'un petite histoire (très peu conventionnelle) de la recherche en matière de "sciences religieuses".

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Bonne lecture.

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jean-paul yves le goff

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.De quand date la notion de science des religions ou sciences religieuses et que se cache-t-il sous ces termes ? la religion peut-elle être l’objet d’une connaissance scientifique ou n’est-elle pas, au contraire, par son essence, au contraire au-delà de toute possibilité de compréhension par l’intelligence humaine ?

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Historiquement, c’est au cours du XIXème siècle que l’expression fait son apparition dans des contextes assez différents. Depuis toujours existe la théologie, qui est la science de Dieu. Qu’apporte, dans ces systèmes de croyances et de pratiques qui prétendent mettre en contact l’humanité et la divinité, la démarche scientifique, si du moins elle est possible ?

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Le XIXème siècle est, en fait, une période de grands bouleversements et de découvertes pour la science en général et la science historique en particulier et c’est dans le cadre de ce bouleversement, qui va de pair avec un bouleversement d’un autre ordre, celui de la « sécularisation » (ou laïcisation) qui consiste à disputer aux institutions religieuses leur influence sur la vie des hommes en société, qu’apparaît l’idée qu’une histoire scientifique – donc neutre idéologiquement, au moins en théorie ) serait apte à rendre compte de ce que l’on n’appelle pas encore « le phénomène religieux ».

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En réalité, la tentation pour l’intelligence humaine de mettre en examen la propension de l’homme à la croyance, d’une part, et d’autre part, les différentes propositions de croyances avancées par les institutions religieuses pour faire face à cette demande, est aussi ancienne que la religion elle-même. En d’autres termes, le scepticisme religieux est aussi ancien que la foi religieuse. Mais peut-être l’expression de ce scepticisme est-elle gênée dès le début ; c’est en tous cas dans les débuts de la Renaissance, prenant appui, comme nous le verrons, sur l’invention de l’imprimerie, que la volonté de rationaliser la foi religieuse se manifeste dans notre culture.

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Dans la mesure où les sciences religieuses ont pris en charge pour elles-mêmes, la tâche de faire leur propre histoire, l’habitude a été prise de dire qu’elles apparaissent et se structurent tout au long du XIXème siècle, même si elles reconnaissent quelques rares précurseurs aux XVII-XVIIIèmes siècles, tout spécialement Reimarus (1694-1768), linguiste allemand qui avec son ouvrage posthume « Les objectifs de Jésus et de ses disciples » ouvrait « la première quête du Jésus historique » et, le français Richard Simon (1638-1712), orientaliste et hébraïste, auteur d’une « Histoire critique du Vieux Testament » et d’une « Histoire critique du texte du Nouveau Testament ».. Mais cette quête du Jésus historique prend surtout consistance avec le lvire de David Friedriech Strauss (1808-1874), paru en 1835 sous le titre de « La vie de Jésus, examinée d’un point de vue critique » (traduite en français en 1839 par Emile Littré) et dont la « Vie de Jésus de Renan, parue en 1863, dans une ambiance tumultueuse, renouvelle l’intérêt.

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Ernest Renan, déchu du collège de France, l’année précédente dès sa leçon inaugurale (dans des conditions que nous relaterons plus loin), pour cause de propos critiques à l’égard de la théologie dogmatique et de l’obstacle qu’elle mettait à la démarche scientifique, était, comme chacun sait, un ancien séminariste « converti » au positivisme.

D.F. Strauss était, quant à lui, un théologien et pasteur protestant. Richard Simon était un prêtre oratorien. On peut déjà faire le constat que la « science des religions », dès ses premiers pas, apparaît dans l’orbite de la religion elle-même dont elle serait un satellite, talement captif de l’astre autour duquel elle gravite.

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Mais la religion n’est pas homogène et le christianisme lui-même se subdivise en différentes branches plus ou moins rivale, plus ou moins compatibles. Vers la fin du XIXème siècle, un tendance apparaîtra, notamment en France, pour donner à la science des religions son autonomie à l’égard de toute forme de religion et surtout de toute institution religieuse. En 1885, alors que la laïcisation de l’enseignement primaire bat son plein, la faculté de théologie de la Sorbonne est fermée (ainsi que dans quelques autres universités de province). Son budget et ses locaux sont affectés à la Vème section, nouvellement créée, dite « des sciences religieuses » de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE), elle-même créée en 1868 au sein de la Sorbonne.

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En Allemagne, ce courant scientifique qui prétend étudier en toute rationalité la religion se développe sous le signe du protestantisme libéral. Issu du mouvement de l’Aufklärung du XVIIIème siècle, ce protestantisme libéral allemand prétend s’opposer à toute forme d’autoritarisme dans le domaine de la foi, laquelle ne doit se concevoir que dans la liberté du cœur et l’accord de la raison.

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La démarche scientifique, au fil du XIXème siècle, va se déployer et s’organiser pour aboutir à ce qui recevra le nom de « méthode historico-critique », cependant que, d’une part l’histoire générale est profondément bouleversée par la « méthode critique » qui veut placer en contrepoint de la tradition l’analyse des documents et l’établissement des faits et que, d’autre part, en matière de religion et de mythe, le comparatisme, sous la houlette de Max Müller (1823-1900), met l’accent sur tous les aspects de parenté et de filiation que peuvent présenter les religions entre elles.

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Faut-il rappeler qu’à l’époque – pour le christianisme catholique, la Bible contient toute la science dont l’humanité a besoin, notamment pour ce qui est de la création du monde et la création de l’homme, qu’elle contient surtout ce qui est nécessaire au Salut et qu’elle n’est rien d’autre que la Parole de Dieu lui-même, relayée par des interprètes humains sous l’inspiration et le contrôle de l’Esprit Saint. D’où l’impossibilité que les Ecritures saintes contiennent quoi que ce soit qui ne soit pas confrorme à la vérité, au iota près.

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La plus dogmatique de toutes les religions, le christianisme catholique, ne eput pas ne pas se sentir fondamentalement agressée par cette irruption de la connaissance scientifique dans son domaine réservé qui est la foi religieuse ou, appelé autrement, celui de la vérité métaphysique. Passe, à la rigueur que l’attaque émane des frères ennemis abhorrés que sont les protestants – car au XIXème siècle pour l’Eglise catholique, les protestants sont des suppôts de Satan – qu’elle soit relayée par des renégats comme Renan aidés de libres penseurs comme Littré, Victor Hugo, Edgar Quinet, Pierre Larousse. Mais quand l’ennemi campe à l’intérieur même de l’Eglise, il y a vraiment péril en la demeure.

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C’est ce qui va prendre pour nom « la crise moderniste » et aboutir, en 1908, à l’excommunication du prêtre Alfred Loisy (1857-1940) déjà exclus quelques années plus tôt de l’Institut Catholique de Paris où il enseignait. Le Pape Pie X, celui qui trois ans auparavant avait refusé la séparation de l’Eglise et de l’Etat, celui-là même que les catholiques intégristes de la fin du XXIème siècle (Mgr Lefebvre) prendront pour figure emblématique, fait connaître les positons de l’Eglise sur ces tentatives d’appliquer les acquis de l’histoire aux données de la tradition dans le décret Lamentabili ((3 juillet 1907) et l’encyclique Pascendi (8 septembre 1907), cependant que pour le donner le plaisir de provoquer la Curie romaine, le gouvernement anticlérical de l’époque offre à Alfred Loisy la chaire de l’histoire des origines du christianisme au Collège de France.

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Nous verrons plus loin et en détail tous ces épisodes, d’ailleurs dramatiques. Dans le même temps, Alfred Loisy n’étant pas le seul savant à s’être formé dans le sein de l’Eglise catholique, un dominicain, le Père Marie-Joseph Lagrange (1855-1938), fonde en 1890 l’Ecole Biblique de Jérusalem, dont le but est d’accorder les évidences incontournables résultant des progrès de la méthode historique (et des disciplines annexes telles que linguistique et archéologie) et les exigences non négociables de la foi. Moyennant une soumission inconditionnelle à Rome qui se traduit notamment par le silence, c’est-à-dire la non-publication des décennies durant des travaux menés par Lagrange et son équipe, le dominicain parvient à mener à bien son œuvre, qui servira ultérieurement à l’Eglise à sauver la face quand les données de la science ne seront plus récusables de quelque manière que ce soit. L’Ecole Biblique de Jérusalem poursuit aujourd’hui ses travaux et jouit d’une excellente image scientifique.

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Pour autant, les problèmes soulevés à la fin du XIXème siècle sont loin d’avoir reçu une solution satisfaisante, pas plus sur le plan de l’histoire que sur le plan de la religion. Là où, du temps de Loisy et Lagrange, les conflits s’affichaient dans leur virulente nudité, aujourd’hui le non-dit et l’amphigouri sont devenus la règle, au grand dam autant de la science que de la spiritualité. Il demeure qu’il faut considérer qu’en ce début du XXIème siècle, la tentative de soustraire la démarche de connaissance scientifique appliquée aux religieions à l’influence de la théologie s’est soldée par un échec. La situation est d’autant moins facile à repérer que ceux qui, aujourd’hui, prétendent apporter un éclairage scientifique aux questions religieuses sont, effectivement, des scientifiques. Mais ils sont avant tout des théologiens, ou s’ils ne sont pas théologiens, ils vivent dans la terreur de faire de la peine à la théologie.

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Ainsi, le comparatisme religieux dont il est facile de comprendre qu’il met sous une lumière insoutenable la part de l’humain dans la constitution des religions et, après le comparatisme, la méthode historico-critique, sont présentés aujourd’hui comme ayant conduit à des impasses. En réalité, il n’y a pas eu d’impasse, mais bel et bien des barrages savamment construits sur les voies que ces techniques ouvraient, pour la simple raison que les perspectives ouvertes étaient fatales au dogmatisme et à la théorie de la Révélation.

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Le 21 avril 1964, dans la foulée de Vatican II, la Commission Biblique Pontificale (qui avait été créée à l’occasion de la crise moderniste) publiait une « instruction sur la vérité historique des évangiles), qui est un véritable mode d’emploi à l’intention des historiens-théologiens. En novembre 1993, la même Commission Biblique Pontificale publiait une allocution de Jean-Paul II (avec une préface de Joseph Ratzinger), intitulée « L’interprétation de la Bible dans l’Eglise » qui prétend faire la part entre la vérité issue de la tradition, les dangers liés aux lectures contextuelles (modernes, politique,s culturelles) et le bon usage possible de disciplines actuelles, sous réserve qu’elles soient bien comprises : rhétorique, sémiotique, narratologie, etc. Mais, sous couvert de s’ouvrir aux dernières découvertes de la science, c’et, en réalité, la primauté de la théologie qui s’affirme. Dans son Jésus de 2007, Joseph Ratzinger, devenu Benoit XVI, fait allusion à « l’échec » de la méthode historico-critique et à la nécessité de revenir à l’exégèse traditionnelle et canonique.

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C’est une boucle qui serait définitivement bouclée s’il était admis – ce qui correspond à la tendance actuelle profonde dans les milieux des sciences religieuses – que toute la démarche scientifique des siècles précédents n’a conduit qu’à une conclusion et une possibilité : revenir au point d’où l’on était parti, à savoir l’exégèse. C’est pour tenter de m’opposer (avec de biens faibles moyens ) à cette tendance que j’entreprends une rétrospective la démarche scientifique appliquée aux questions de religions, autrement dit une petite histoire de la science des religions.

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De telles histoires existent déjà. Bien entendu, exactement de la même manière que l’histoire des origines du christianisme elle-même et exactement pour les mêmes raisons, ces histoires sont de « A » à « Z » sous l’influence du paradigme théologique. C’est-à-dire qu’elles édulcorent les faits et pratiquent l’occultation pure et simple des plus gênants, selon une conception très particulière de la vérité historique en vigueur dans les institutions religieuses , ce qui n’exclut nullement l’institution religieuse protestante.

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(à suivre)

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