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J'ai mis en ligne hier 6 juillet le début de ma nouvelle série sur les origines du christianisme, consacrée à l'histoire de la recherche :
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http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/jeanpaulyveslegoff/060709/origines-du-christianisme-histoire-de-la-recherche-1
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http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/jeanpaulyveslegoff/060709/origines-du-christianisme-histoire-de-la-recherche-2
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Voici la suite :
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Avant qu’apparaisse avec la fortune que l’on connaît les expressions de « sciences religieuses » ou « science de la religion », celle de « critique biblique » était couramment employée. Pour une bonne part, la critique biblique est le fait de philosophes qui ont donc, de beaucoup, précédé les historiens dans la démarche consistant à envisager le fait religieux sous l’angle de la rationalité. Erasme (1467-1536) est l’une des des figures emblématiques de ce mouvement et la découverte de l’imprimerie joue un rôle essentiel dans le développement de cette critique, comme aujourd’hui Internet pourrait être le moyen de l’envahissement de l’histoire par le politiquement correct pourrait finalement être mis en échec.
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Tout au long du Moyen-Age, les seuls débats religieux acceptés sont ceux qui portent sur ce que l’on appelle « l’harmonisation » des quatre évangiles, qui consiste, en réduisant les contradictions ou en les niant, à sacraliser l’interprétation et le « sens spirituel » détenu par le savant exégète. Les choses changent avec la découverte de l’imprimerie. On la prête à Gutenberg (Mayence, 1468). Le premier livre imprimé par Gutenberg est, naturellement, la Bible. Il en sera de même des livres suivants, imprimés par d’autres « éditeurs » : Aldo Manuce à Venise, Robert Estienne à Paris.
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Chaque imprimeur utilise la bible manuscrite qu’il a à sa disposition. C’est à partir de là que des érudits s’aperçoivent qu’il existe de sérieuses divergences entre les différentes bibles imprimées qui circulent. Erasme est de ceux-là, d’autant plus attentif qu’il a pris lui-même en charge la traduction du Nouveau Testament (en 1516) à partir de plusieurs manuscrits existants et en s’interrogeant et en raisonnant sur les différences qu’il constate. « Quelle est la bonne version », s’interroge-t-il quand les divergences sont flagrantes. Il en vient à conclure que s’il n’existe pas de texte fondamental il ne peut pas non plus exister d’autorité fondamentale.
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Erasme pour sa part est catholique, mais ce type d’interrogation ne peut pas laisser indifférents les fondateurs du protestantisme tels que Luther ou Zwingli. Erasme s’attire aussi, par sa recherche, l’attention sympathisante de toutes les têtes couronnées de France, Angleterre, Allemagne et d’érudits contemporains tels que Guillaume Budé et Rabelais. Mais rapidement son œuvre suscitera tant de controverses qu’il finira par faire l’unanimité contre lui. Une bulle du pape Paul V, en 1559, renouvelée par le pape Sixte-Quint en 1590, interdit la lecture des œuvres d’Erasme. Il lui faudra attendre deux siècles pour triompher de cet interdit. Cependant, le mouvement rationaliste qu’il a lancé fait immédiatement des émules. Par exemple, Calvin (1509-1564) fait remarquer que les événements narrés au chapitre XV du livre de Josué dans l’Ancien Testament, attribués à Josué lui-même sont nécessairement postérieurs à sa mort et ne peuvent pas, par conséquent, avoir été rédigés par Josué lui-même
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Spinoza . (1632-1677) tiendra un raisonnement semblable dans le Tractatus théologico-politicus, à propos du Pentateuque dont la tradition attribue la rédaction à Moïse lui-même. Le philosophe d’Amsterdam fait remarquer qu’il y a au moins unepartie que Moïse n’a pas écrire, c’est le récit de son propre enterrement ! Spinoza multiplie les exemples à propos de livres portant des noms d’auteurs supposés, tels que Josué, Ruth, Samuel, etc. et généralise en disant que l’attribution d’un livre à une personnage ne signifie pas que celui-ci en soit l’auteur. C’est l’historicité de l’Ancien Testament qui est mise, pour la première fois, en question. Il va plus loin : il montre que la production des écrits religieux doit beaucoup à l’imagination humaine et que la croyance aveugle en ces préjugés n’a pour effet chez les croyants que d’attiser les rivalités et les haines, ce à quoi la religion bien entendue n’a rien à gagner. Spinoza montre enfin que la Bible présente toutes les caractéristiques d’une œuvre humaine et qu’elle doit être étudiée comme une œuvre humaine. C’est l’idée qui sera reprise un siècle plus tard par Richard Simon. Incidemment, Spinoza utilise dans le Tractatus théologico-politicus l’expression de « méthode historique et critique », destinée, sous une forme à peine différente, à la fortune que l’on sait au XIXème siècle.
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Après Erasme et avant Spinoza, l’anglais Thomas Hobbes (1588-1679) dans Léviathan (1651) posait la question essentielle de la détermination du « canon » : c’est-à-dire les critères d’authenticité : par qui, quand, comment, pourquoi, certains textes ont-ils été déclarés authentiques au détriment d’autres qui leur ressemblaient ?
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Chez de tels auteurs, la démarche historique et la démarche philosophique vont de pair. A la Renaissance et par la suite, au XVIIème siècle, c’est l’esprit critique qui renaît, étouffé qu’il était durant tout l’interminable durée du Moyen-Age. Peu ou prou tous les grands écrivains qui sont tous des humanistes s’intéressent à la religion et mettent en question les affirmations dogmatiques : Montaigne (1533-1592), La Mothe-Le Vayer (1588-1672), Bayle ( 1647-1706), en France ; en Angleterre John Toland (1670-1722), le Comte de Shaftesbury, (1671-1713), plus tard lord Bolingbroke (1678-1751). David Hume (1711-1776), contemporain de Voltaire, dont l’apport est considérable, comme nous le verrons plus loin et dont toute cette partie de l’œuvre a été systématiquement occultée.
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Celui qui est parfois, en lieu et place de Reimarus cité comme le « père » de l’histoire des religions, Richard Simon a une démarche nettement plus historique que philosophique. Dans son « Histoire critique du Vieux Testament » de 1678 qui se présente comme une réfutation de Spinoza, Richard Simon n’en reprend pas moins à son compte les principales idées de celui qu’il prétend contester. Moïse n’a pas pu écrire toute le Pentateuque et dans les parties qu’il a pu écrire, il a certainement utilisé des sources multiples ; au demeurant, il s’agit plus vraisemblablement d’auteurs multiples, car il n’y a , dans le Pentateuque, aucune unité stylistique. Ce type de remarques annonce, une nouvelle fois, la critique textuelle à venir. Là-dessus, grande innovation, Richard Simon fait des hypothèses sur la date de rédaction de l’Ancien Testament. Evidemment, il fait scandale quand il avance que l’antiquité d’une opinion ne garantit en rien sa vérité. Il n’y a pas, fait-il valoir, comme Calvin l’avait fait avant lui, d’autorité qui puisse se substituer à la vérité : « Quand il s’agit d’une matière qui est purement de critique, il ne faut pas s’arrêter aux simples autorités, si elles ne sont pas conformes à la vérité » .
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Ses écrits lui valent beaucoup d’ennuis, spécialement de la part de Bossuet qui, bénéficiant de la force que lui assure la proximité du pouvoir, n’hésite pas mettre en œuvre à son encontre de véritables mesures de persécution. Cela n’empêche pas Richard Simon de consacrer, non pas un mais trois livres au nouveau Testament.
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Mort en 1712, Richard Simon suscite encore après lui de violents remous. De bossuet, mort lui-même en 1704, paraît en 1743 « Défense de la tradition des Saints Pères », tandis que J. Astruc publie en 1753 une autre réfutation de Richard Simon, intitulée « Conjectures sur les mémoires originaux dont il paraît que Moïse se serait servi pour composer le livre de la Genèse ». Il est donc clair qu’avec Richard Simon la critique biblique est désormais sur une voie qui la conduira inéluctablement à réclamer son indépendance par rapport à l’autorité de la religion. Ce pas sera définitivement franchi avec Reimarus dont, cependant, je ne crois pas convenable de parler avant de passer en revue la contribution énorme apportée par Voltaire dans ce domaine.
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(à suivre).
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