J'ai mis en ligne hier 6 juillet le début de ma nouvelle série sur les origines du christianisme, consacrée à l'histoire de la recherche :
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http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/jeanpaulyveslegoff/060709/origines-du-christianisme-histoire-de-la-recherche-1
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http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/jeanpaulyveslegoff/060709/origines-du-christianisme-histoire-de-la-recherche-2 .
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Voici la suite :
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A moins d’être un spécialiste du XVIIIème siècle, qui sait que Voltaire est l’auteur d’une « Histoire de l’Etablissement du christianisme », parue (sous un pseudonyme) en 1777, c’est-à-dire un an avant sa mort ? Il n’en est nullement à son premier travail en la matière : en 1769, il a fait paraître une « collection d’anciens évangiles ou monuments du premiers siècles du christianisme », c’est-à-dire une cinquantaine de évangiles dits apocryphes (ou fragments d’évangiles) traduits par lui-même de l’hébreu qu’il pratique.
De même en 1776, il a réalisé une traduction des premiers livres de la Bible qu’il fait circuler sous le titre de « La Bible enfin expliquée par plusieurs aumôniers à Sa Majesté le Roi de Prusse ».
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Au début de son « Histoire de l’établissement du christianisme », Voltaire écrit : « D’épaisses ténèbres envelopperont toujours le berceau du christianisme (…) Quiconque cherche la vérité sincèrement aura bien de la peine à découvrir le temps de la naissance de Jésu et l’histoire véritable de sa vie (…) Les quatre évangiles canoniques font mourir Jésu à trente ans et quelques mois , ou à trentre-trois ans au plus, en se contredisant comme ils font toujours. Saint Irénée, qui se dit mieux instruit, afirme qu’il avait entre cinquante et soixante années, et qu’il le tient de ses premiers disciples (…) Toutes ces contradictions sont bien augmentées par les incompatibilités qu’on rencontre presque à chaque page de son histoire, rédigée par les quatre évangélistes reconnus (…)
Si ces énormes prodiges s’étaient opérés, quelque auteur romain en aurait parlé. L’historien Josèphe n’aurait pu les passer sous silence. Philon, contemporain de Jésu, en aurait fait mention. Il est assez visible que tous ces évangiles, farcis de miracles absurdes, furent composés secrètement, longtemps après, par des chrétiens répandus dans des villes grecques. Chaque petit troupeau de chrétiens eut son évangile, qu’on ne montrait pas même aux catéchumènes ; et ces livres, entièrement ignorés des Gentils pendant trois cents années, ne pouvaient être réfutés par des historiens qui ne les connaissaient pas. Aucun auteur parmi les Gentils n’a jamais cité un seul mot de l’Evangile (…) Ne nous appesantissons pas sur les contradictions qui fourmillent entre Matthieu, Marc, Luc, Jean et cinquante autres évangélistes (…) Ce qui est certain, c’est qu’aucun des compagnons de Jésu ne songeait alors à faire une religion nouvelle (…) Avouons-le hardiment, nous qui ne sommes point prêtres et qui ne les craignons pas, le berceau de l’Eglise naissante n’est entouré que d’impostures. Tous ces contes furent écrits dans des galetas, et entièrement ignorés de l’empire romain. Lorsqu’ensuite les moines furent établis, ils augmentèrent prodigieusement le nombre de ces rêveries ; et il n’était plus temps de les réfuter et de les confondre (…) Telle est même la misérable condition des hommes que l’erreur, mise une fois en crédit et bien fondée sur l’argent qui en revient, subsiste toujours avec empire, lors même qu’elle est reconnue par tous les gens sensés et par les ministres mêmes de l’erruer. L’usage alors et l’habitude l’emportent sur la vérité. Nous en avons partout des exemples (…).
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Si beaucoup de choses nouvelles ont été découvertes depuis « La vie de Jésus » de Renan, a fortiori peut-on faire une même remarque pour ce texte de Voltaire. Cependant, en dépit de quelques erreurs d’importance très secondaire, au long des 26 chapitres de l’ouvrage, pour l’essentiel, cette présentation est historiquement vraie et pour la première fois secoue le joug de la déformation théologique. C’est sa subversité qui est à l’origine de la véritable censure qui s’est abattue sur cet ouvrage. La judéité de Jésus, le fait que les disciples n’imaginaient pas qu’ils créaient une religion nouvelle, la multiplicité des formes originelles du christianisme sont autant d’aspects fondamentaux dont on parle aujourd’hui encore avec une grande timidité.
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La vérité la plus essentielle tient dans la toute première phrase : « d’épaisses ténèbres envelopperont toujours le berceau du christianisme ». Et, dans cette phrase, l’essentiel tient en un mot, c’est toujours. Telle est la raison pour laquelle, les historiens-théologiens se sentent à l’aise quand on amalgame les débuts du christianisme et de l’Eglise avec l’histoire hypothétique de Jésus. Rien ne sera jamais démontré ni dans un sens ni dans un autre, par conséquent tout pourra être affirmé sans qu’aucun contredit soit possible. En conséquence, tant que l’on campe dans cette éternelle pénombre , l’attention n’est pas disponible pour les événements situés au grand jour qui marque la véritable naissance du christianisme, entre le début du quatrième où l’empereur Dioclétien persécutent les chrétiens pour tenter de les éliminer et la fin du même siècle où l’empereur Théodose persécute les autres religions pour imposer le christianisme.
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Selon les quelques rares livres qui traitent de l’histoire de la recherche, tout se passe à peu près comme si Voltaire n’avait pas existé. Dans l’un d’eux (La Bible en France, entre mythe et critique, 1994) long de 300 pages, le nom de Voltaire est cité six fois de manière anecdotique. Aucun de ces ouvrages n’est mentionné, alors qu’il est question en long et en large de deux ouvrages de Nicolas-Sylvestre Bergier (1718-1790)qui sont des réfutations de Voltaire (dont le « Dictionnaire philosophique » déjà contenait de nombreuses attaques contre la « vérité » établie ) : il s’agit de « La certitude des preuves du christianisme « (1767) et « La Bible enfin expliquée » . Ce théologien, d’ailleurs très prolixe, n’était pas le seul de son état : l’auteur de « La Bible en France entre mythe et critique » qui oublie pratiquement le rôle joué par Voltaire, croit bon de mentionner le « Traité des premières vérités et de la source de nos jugements » d’un certain Père Buffier (1724).
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Un autre aspect du christianisme primitif encore systématiquement occulté aujourd’hui et qui, à lui seul, suffit à démontrer le caractère artificiel de l’histoire conventionnelle est la présence de très bonne heure du christianisme en Mésopotamie. Voltaire le signale dans un autre de ses ouvrages, également tombé dans les oubliets qui a pour titre « Dieu et les Hommes » (paru sous le pseudonyme de Docteur Obern en 1769) : « Les disciples de Jean s’établirent vers l’Euphrate et en Arabie ; ils y sont encore. Ce sont eux qu’on appelle, par corruption, les chrétiens de saint Jean… » Dans cet ouvrage, Voltaire écrit encore : « La discorde fut le berceau de la religion chrétienne et en sera probablement le tombeau. Dès que les chrétiens existent, ils insultent les juifs, leurs pères. Ils insultent les Romains sous l’empire desquels ils vivent ; ils s’insultent eux-mêmes réciproquement. A peine ont-ils prêché le Christ qu’ils s’accusent les uns le autres. »
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Le christianisme originel ne se comprend si l’on ne dépeint pas la gigantesque polémique au sein de laquelle il s’établit. Ce n’est d’ailleurs pas le christianisme naissant qui crée cette polémique : celle-ci préexistait. Déjà les philosophes grecs, Platon en tête, étaient très polémiques. Quant à la littérature apocalyptique juive qui commence bien deux siècles avant la venue alléguée de Jésus-Christ, elle est souvent d’une grande violence. Comparée à celle-ci, les furieuses diatribes de l’Apôtre Paul contre, entre autres, « les adultères, les pédérastes de tout genre, les voleurs, les accapareurs, les ivrognes, les calomniateurs, les filous » (qui, selon lui, « n’hériteront) pas du Royaume de Dieu)[1] sont de légères sautes d’humeur.
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Quatre types de polémiques spécifiquement liées à la naissance du christianisme sont à repérer : la polémique interne au peuple juif. Elle porte sur bien des points, mais l’une est décisive et consiste à savoir qui est susceptible d’être sauvé et qui ne l’est pas, et en vertu de quels critères. Dans le Nouveau Testament, cette polémique oppose, notamment, Pierre et Paul. Une deuxième polémique va ensuite opposer d’une part des « pagano-chrétiens » (ou des « pagano-juifs », le problème étant de les distinguer les uns des autres, c’est-à-dire ceux que l’histoire conventionnelle appelle les « prosélytes » ou les « craignant-Dieu » et ceux des juifs établis dans la Diaspora qui restent fidèles à une certaine (et relative) orthodoxie, telle qu’elle est courante en Palestine. C’est dans cette polémique-là surtout qu’apparaît la tendance qui deviendra le christianisme, précisément sur la base de cette distinction : quel est le « véritable » Israël ? Ce courant, qui devrait être appelé « pré-chrétien » car il contient bien peu des croyances qui forment plus tard le christianisme, occupe environ la durée des trois premiers siècles et va se renforcer et se structurer dans une troisième polémique : celle qui l’oppose au paganisme et aux religions perçues comme rivales, dont le manichéisme. Quatrième et dernière polémique, c’est celle qui opposent entre eux ces « pré-chrétiens » et abourira, via la lutte contre les « hérésies » et la définition des premiers dogmes, aux véritables chrétiens qui finiront, tant bien que mal, à se reconnaître dans l’adhésion à ce qui recevra le nom de « foi de Nicée ». C’est-à-dire à la fin du IVème siècle, sous Théodose.
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Ces deux livres de Voltaire, « Dieu et les hommes » et « l ‘Histoire de l’établissement du christianisme » ne sont pas absolument pas plus démodés que ne le sont Zadig ou Micromégas et si l’histoire des origines du christianisme n’était pas l’objet d’un tabou généralisé, au lieu d’être introuvables seraient continuellement réédités.
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En ce début du XXIème siècle, où le spectre du fanatisme religieux semble réapparaître sous différentes formes , on aura peut-être intérêt à redécouvrir cet aspect de l’œuvre du grand homme et méditer sur ce dernier chapitre de « L’établissement… » qui s’intitule « Du théisme » : Dans celui-ci, Voltaire explique qu’il suffit largement de croire en Dieu ; prétendre le connaître et qui plus est, vouloir parler en son nom, consiste à ouvrir la porte à toutes les formes, y compris les plus dangereuses, du dogmatisme :
« Le théisme ressemble à ce vieillard fabuleux nommé Pélias que ses filles égorgèrent en voulant le rajeunir. Il est clair que toute religion qui propose quelque dogme à croire au-delà de l’existence d’un Dieu anéantit l’idée d’un Dieu ; car dès qu’un prêtre de Syrie me dit que Dieu s’appelle Dagon, qu’il a une queue de poisson, qu’il est le protecteur d’un petit pays et l’ennemi d’un autre, c’est véritablement ôter à Dieu son existence ; c’est le tuer comme Pélias en voulant lui donner une vie nouvelle (…) Pardonnons aux hommes et qu’on nous pardonne. Je finis par ce souhait unique que Dieu veuille exaucer ».
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C’était donc écrit peu de temps avant sa mort, et de ce point de vue, ces phrases pourraient être prises pour son testament spirituel. Mais du point de vue du rapport à Dieu, Voltaire n’avait pas changé depuis le temps où, en 1733, à 37, il écrivait dans son Epître à Uranie :
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« Entends, Dieu que j’implore, entends du haut des vieux
Une voix plaintive et sincère.
Mon incrédulité ne doit pas te déplaire.
Mon cœur est ouvert à tes yeux.
L’insensé te blasphème et moi je te vénère
Je ne suis pas chrétien, mais c’est pour t’aimer mieux ».
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(à suivre).
[1] Paul 1 Corinthiens, 6-11